Arnaud Beltrame, mort pour la France ?

Demain la France, en la personne de Monsieur le Président de la République rendra un hommage solennel au colonel Arnaud Beltrame.

Il est à supposer que la Nation retiendra son souffle, mais sans doute pas ses larmes pour associer sa voix silencieuse à cet hommage.

Des lignes de plus ne rendront pas plus beau le témoignage, en lui-même non seulement exemplaire, mais presque inimitable, qu’Arnaud Beltrame a rendu.

Des mots comme « héros de la patrie » déjà en eux-mêmes glorieux, qui ornent des monuments à la mémoire, des plaques de rues, des stèles funéraires sont aujourd’hui portés à leur sommet pour rendre compte du geste de livrer sa vie.

Ajouter des mots à des mots …

Il est heureux que des voix nombreuses se sont élevées qui nous font oublier que, si une Nation est multiple dans ses composantes, dans ses convictions, et même parfois dans ses combats, elle sait être une quand il s’agit de s’incliner devant un acte qui, je ne sais si l’expression est heureuse, rend plus belle l’humanité souvent dégradée par des actes qui sont autant de plaies et aussi de cicatrices indélébiles quand on se penche sur l’histoire.

Les convictions acérées et blessantes qui conduisent les hommes à s’opposer avec une brutalité verbale se tairont demain.

Peut-être aussi des regrets, le remords monteront-ils au cœur de ceux qui reviendront sur des actes passés et seront-ils l’occasion d’un nouveau départ.

L’exemple d’Arnaud Beltrame ne saurait être que celui qu’il n’a sans doute même pas souhaité être lui-même être, celui du héros salué aujourd’hui.

Ceux qui l’ont connu ont su placer son acte à sa vraie place.

Sa mère : « Ça ne m’étonne pas de lui, je savais que c’était forcément lui. Il a toujours été comme ça. C’est quelqu’un, depuis qu’il est né, qui fait tout pour la patrie. Il me dirait : « Je fais mon travail, Maman, c’est tout ». »

Son épouse :  « Pour lui, être gendarme, ça veut dire protéger. Mais on ne peut comprendre son sacrifice si on le sépare de sa foi personnelle. C’est le geste d’un gendarme et le geste d’un chrétien. Pour lui les deux sont liés, on ne peut pas séparer l’un de l’autre. »

Et la prière du gendarme qu’il devait avoir à l’esprit dès qu’il a pris conscience qu’il devait intervenir … les mots :

« Dieu d’Amour, de Justice et paix… Je suis gendarme, Je veux être chrétien… Aide-moi à rester juste…. Je dois être vigilant face aux hommes qui peuvent devenir … violents, criminels. …Donne-moi la sagesse… discernant en chacun la présence de ton image…. Garde mon âme dans la sérénité. … Mon devoir … la paix, l’ordre et la sécurité. …Ouvre les esprits et les cœurs… S’il me faut aller jusqu’au sacrifice de ma vie…soutiens mon service, ranime mon courage et fortifie ma foi[1]. »

Arnaud Beltrame … Mort pour la France ?

Oui mais pas seulement.

Mgr Planet a inclus dans son homélie, Dimanche, quand l’Église célèbre l’entrée de Jésus à Jérusalem, ce verset de l’Évangile de la messe du jour :  «… et ce n’était pas seulement pour la nation, c’était afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés[2] Ce verset fait suite à la prophétie du grand prêtre sur la mort de Jésus.

Nous ne pouvons en rester simplement aux symboles.

Dans le monde aujourd’hui, des hommes, des femmes, des enfants souffrent et aussi sont morts et meurent toujours par fidélité à leur baptême.

Arnaud Beltrame est un maillon de cette chaîne qu’aucun fanatisme ne saurait briser.

Un mot est souvent apparu dans les messages : « Respect ».

Plus que du respect… ce qui est déjà beaucoup, c’est une immense reconnaissance d’avoir redonné un sens à des mots comme « service », « don de soi », « sacrifice ».

Et aussi merci de nous rappeler que nous devons rester dignes de l’héritage que nous avons reçu.

 

2018.03.31

201803.30 DENIS MONOD-BROCA

Désolé de jouer les rabat-joie mais un minimum de lucidité ne serait pas superflu…

Quand Séguéla dit « par son sacrifice Arnaud Beltrame nous a lavés de nos péchés », il ne croit pas si bien dire. Très certainement il y croit, à ce sacrifice rédempteur, et il n’est pas le seul.
Dans une invraisemblable régression, retombés corps et âme dans la pensée sacrificielle, c’est bien cela que nous croyons et que nous espérons : par le courage d’un seul être lavés de notre pusillanimité à tous, par l’abnégation d’un seul être lavés de notre addiction collective au confort et à la sécurité, par la mort d’un seul être lavés de tous nos reniements individuels et collectifs, par le sang d’un seul être sauvés.
Mais ça ne marche pas comme ça.
Un sacrifice n’a pas ce pouvoir-là.
Ce n’est pas ainsi que nous retrouverons courage, abnégation, lucidité, fidélité à nos principes.
A moins d’un miracle…
Par l’hommage national rendu à Arnaud Beltrame, par la bouche d’Emmanuel Macron, nous avons crié à la face du monde : « vous voyez, nous non plus nous n’avons pas peur de la mort, vous voyez, nous aussi nous pouvons nous sacrifier pour notre idéal ! » Mais c’est un énorme mensonge. Nos vies, nos pensées, nos politiques sont entièrement tournées vers le confort pas vers le risque, vers la sécurité pas vers la mort, vers la satisfaction individuelle pas vers l’amour d’autrui, vers la réussite pas vers le sacrifice.
Allons-nous miraculeusement nous corriger, nous convertir ?
En mettant tant d’espoir en un acte exemplaire isolé, nous nous préparons une très redoutable gueule de bois…

RÉPONDRE À DENIS MONOD-BROCA ANNULER LA RÉPONSE.

 

Réponse du 2018.03.31

Je ne connais Mr Séguéla que par la médiatisation dans laquelle il est à considérer comme un orfèvre.

Vous : « Quand Séguéla dit « par son sacrifice Arnaud Beltrame nous a lavés de nos péchés », il ne croit pas si bien dire. »

Commentaire : Votre analyse est bonne quand vous dites (je résume) que la France aurait communié à ce chant de louange en saluant « l’acte sacrificiel » d’Arnaud Beltrame tous unis derrière « son » Président.

Vous dites à juste titre que ça ne marche comme ça.

J’en conviens d’autant plus que nous sommes dans un semaine que la liturgie catholique appelle Sainte.

Avant-hier et hier, les catholiques ont célébré le mémorial et le sens de ce mémorial dans les célébrations de la liturgie des Jeudi et Vendredi Saint.

Vous me pardonnerez ce rappel théologique qui n’est pas l’habitude sur ce site.

Mais vous êtes aussi dans le vrai quand vous affirmez : « Mais c’est un énorme mensonge. Nos vies, nos pensées, nos politiques sont entièrement tournées vers le confort, pas vers le risque, vers la sécurité, pas vers la mort, vers la satisfaction, individuelle pas vers l’amour d’autrui, vers la réussite, pas vers le sacrifice. »

Vous êtes grandiose ! On croirait lire Victor Hugo !

Hélas oui ! Le courage d’aller jusqu’au bout, l’altruisme … ne sont pas les vertus propres de la plupart de ceux qui, comme des moutons, suivent les cortèges qui se forment dans nos rues après Charlie, Nice, Le Bataclan… pour en rester à l’hexagone. Ils sont légion ceux qui adoptent une nouvelle identité « Je suis … » sur fond de drapeau bleu-blanc-rouge ».

Mais au fond ça veut dire quoi ? Quelques jours plus tard à peine on passe à autre chose.

Je reviens à l’essentiel.

Personne parmi ceux qui ont assisté avant-hier et hier aux Offices de la Semaine Sainte n’a dit « Je suis le Christ » et pourtant tous ont « communié » à cette identité dans le contexte de la liturgie catholique… dans leur cœur.

Nous n’avons pas besoin de cet affichage public (publicitaire à la façon Séguéla) pour affirmer notre identité. Elle reste intérieure.

Arnaud Beltrame a été, par les circonstances, appelé à exprimer extérieurement cette identité mais pas, comme beaucoup le pensent, par désir de s’afficher. Il a agi d’abord en personne responsable conscient que sa fonction pouvait (… et d’une certaine façon devait) avoir cette dimension. Il n’est pas « mort pour la France ». Il a donné à tout le monde l’exemple de la cohérence qui, si nécessaire, conduit à donner sa vie. C’est, faut-il encore le rappeler, ce qu’on fait beaucoup de Français qui ont donné leur vie pour défendre -aussi- la patrie, pour m’en tenir au XX° siècle, au cours des deux guerres mondiales.

Le « sacrifice » ? Cette dimension, pour un catholique, n’est pas séparable de l’union qui le lie par le caractère qu’il a reçu, avec Jésus-Christ, le seul qui peut dire « Ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne afin de racheter tous mes frères humains ». Si Arnaud Beltrame a fait le sacrifice de sa vie dans ce contexte ce n’est que, si l’on veut comprendre qu’il l’a fait à titre personnel, sans chercher à devenir le héros qu’il est devenu -ce qu’il est légitime et juste de souligner- mais sans qu’il soit l’objectif premier de son acte. 

Votre conclusion : « Allons-nous miraculeusement nous corriger, nous convertir ? »

C’est bien là toute la question.

« En mettant tant d’espoir en un acte exemplaire isolé, nous nous préparons une très redoutable gueule de bois… »

Et vous donnez aussi la réponse… Hélas

Cordialement

[1] https://dioceseauxarmees.fr/prieres/53-priere-du-gendarme.html

[2] Jean 11, 52