La France vient de se doter d’une loi inique qui se prétend « de bioéthique », votée, malgré toutes les dénégations de ceux qui veulent s’exonérer de toutes les critiques justifiées dont ce vote a été l’objet, dans l’indifférence et l’assoupissement propres à la période estivale qui ont plongé l’assemblée nationale dans une anesthésie inquiétante. Inquiétante surtout parce que les rares députés présents étaient pour la plupart les petites mains soumises à la volonté implacable d’un petit potentat : Jean Louis Touraine, député LREM, rapporteur du projet. On ne présente plus monsieur Touraine, l’artisan des basses-œuvres du projet qu’avait inscrit dans son programme E. Macron.

Juste pour la mémoire, le discours d’E. Macron au Collège des Bernardins le 10 avril 2018.

Extrait : « Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord. Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer. Pour cela, il n’est pas d’autre moyen qu’un dialogue en vérité. Le dialogue est indispensable, et si je devais résumer mon point de vue, je dirais qu’une Eglise prétendant se désintéresser des questions temporelles n’irait pas au bout de sa vocation ; et qu’un président de la République prétendant se désintéresser de l’Eglise et des catholiques manquerait à son devoir. » Et plus loin dans le même discours : « Paul RICŒUR, si vous m’autorisez à le citer ce soir, a trouvé les mots justes dans une conférence prononcée à Amiens en 1967 : « maintenir un but lointain pour les hommes, appelons-le un idéal, en un sens moral, et une espérance, en un sens religieux. »

Ainsi donc, la loi a été votée et non seulement mais avec des dispositions introduites sans vrai débat au mépris du respect que l’on doit à une instance censée représenter la volonté du peuple et à l’exigence que l’on est droit d’attendre. Ce vote inscrit sur la France une tache indélébile qui ne manquera pas d’étendre l’opprobre sur une législation déjà entachée par ce que les défenseurs de cette loi appellent depuis des décennies le progrès. Ainsi Mr Touraine s’est-il permis d’écrire, comme rapporteur du projet de loi : « Au début sont essentiellement formulés des interdits, souvent plus par prudence que pour de véritables raisons du respect de certaines valeurs humaines. Puis, avec la progression des connaissances, lorsqu’est acquise la certitude que l’on ne s’aventure pas dans une direction non maîtrisée tels des apprentis sorciers, il devient possible de soulever progressivement le voile des interdits. » …/… « L’enjeu est fondamental, il s’agit de choisir la société dans laquelle nous vivrons demain, de dessiner la condition humaine à laquelle nous consentons à nous soumettre et l’humanité que, tout à la fois, nous voulons transformer. » … Tout cela va bien dans le sens du « en même temps » cher à qui vous savez.

En 1959 Gustave Thibon a écrit une pièce de théâtre : « Vous serez comme des dieux ». On lit à propos de cette pièce « Au risque d’inciter le lecteur à penser qu’il est un inconditionnel du progrès technique, Thibon présente une technoscience ayant tenu toutes les promesses qui, en 1959, date de publication du livre, paraissaient folles : sérum d’immortalité, voyages dans l’espace, clonage, santé parfaite, paix sociale et même liberté d’opinion. En 2014, les mêmes promesses sont les objectifs d’un mouvement de pensée soutenu par les milliardaires californiens du numérique : le transhumanisme. Cela fait apparaître Thibon comme le premier critique du transhumanisme. Dans les oeuvres d’anticipation les plus connues, Nous autres de Zamiatine, le Meilleur des mondes de Huxley et 1984 de Orwell, l’avenir créé par la technoscience est clairement un enfer, préfigurant ou rappelant les régimes totalitaires du XXème siècle. Il va de soi qu’une personne sensée le rejette. Dans tous ces cas c’est moins le progrès technique démesuré qui est dénoncé que les régimes politiques qui l’utilise à des fins totalitaires. Ce qui aide à comprendre pourquoi l’élan progressiste n’a pas été brisé, ni même ralenti par l’horreur universelle que ces dystopies ont inspirée. Dans ce contexte, par exemple, on a renoncé à l’eugénisme pratiqué par un État, mais pour le réhabiliter ensuite en tant qu’objet d’un choix individuel. Thibon s’attaque directement à la démesure dans le progrès technique. C’est pourquoi, il donne à son meilleur des mondes toutes les apparences d’un vrai paradis sur terre. Son utopie ressemble à celle que le psychologue behavioriste B.F. Skinner a présenté dans Walden II. Il place son lecteur devant l’alternative fondamentale. La grande question est posée par l’héroïne de la pièce, Amanda. Elle a mis toute la contrée des immortels en état de choc en annonçant qu’elle redeviendrait mortelle. On la considère comme malade, de cette maladie d’avoir une âme ayant la nostalgie d’un autre monde. À défaut de réussir à la guérir, on en tire un clone, un copie conforme à tous égards mais sans âme. Elle s’adresse en ces termes à Hélios, l’homme qu’elle aime et qui l’aime: « Choisis. Moi je vais mourir. Je ne veux pas t’entraîner dans cet abîme — néant ou Dieu — dont je ne sais rien, sinon qu’il m’attire et que je le préfère à tout. Celle-là sera tienne éternellement, vous serez heureux de tout ce bonheur que j’ai refusé : aucun Dieu ne lui parlera, aucune mort ne te la prendra. Choisis ! » Vue sous l’angle de cette question, la pièce de Thibon est une métaphore futuriste pour décrire, en la portant à sa limite, une situation contemporaine. Déjà en 1959, le salut avait été remplacé dans les mentalités occidentales par cette longévité que les transhumanistes se proposent d’accroître indéfiniment. La croissance économique d’autre part, laquelle semblait illimitée, incitait les gens à situer leur bonheur dans l’avenir et à s’imaginer immortels sur terre. Choisis! Cette injonction qui, en 1959, n’avait de sens et d’importance que pour ceux, déjà très rares, dont la soif d’absolu n’avait pas encore été réduite à rien par l’appétit de consommation, est devenue une obligation politique à laquelle personne n’échappe. Il faut dire oui ou non au transhumanisme. En ce moment, nous disons oui, majoritairement, par l’enthousiasme ou l’indifférence avec laquelle nous acceptons aussi bien les innovations elles-mêmes que le rythme auquel elles s’opèrent. Cela, pour durer plus longtemps, mais sans l’ombre d’une réflexion sur les conséquences de notre choix. » (in http://encyclopedie.homovivens.org/documents/vous_serez_comme_des_dieux)

En imposant dans le contexte délétère que nous connaissons, lié à un phénomène inusité depuis longtemps et alors que nous croyions même avoir dépassé les limites de notre impuissance à tout contrôler grâce au progrès, notamment en matière médicale, un hémicycle déserté a imposé par cette loi, les contours de « la condition humaine à laquelle nous consentons à nous soumettre et l’humanité que, tout à la fois, nous voulons transformer », pour reprendre les termes dithyrambiques de Touraine dans son rapport. Il ne nous reste donc plus qu’à attendre cette transformation de l’humanité qui ne tardera à montrer ses visages monstrueux quand les manipulations génétiques insensées, les gestations anarchiques, les hybrides incohérents auront délivré leurs innommables productions incontrôlées en laboratoire. Le XX° siècle avait mis sous nos yeux les horreurs à peine cachées des idéologues du nazisme et nous les avions rejetées dans le soulagement douloureux de la victoire qui avait ouvert sur l’espérance. Le XXI° siècle qui commence les réintroduit dans la légalité sous le prétexte du progrès incontournable et avec la conviction « que l’on ne s’aventure pas dans une direction non maîtrisée tels des apprentis sorciers ». Ces gens ne croient pas en Dieu et pourtant ils répondent sans hésitation à la suggestion : « Vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal ». Mais savent-ils qui leur répond à la question qu’il avait lui-même posée ?

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