Sauvegarder le patrimoine religieux

« Début janvier, sur le plateau de France 5, Roselyne Bachelot a évoqué la nécessité de « raser certaines églises » qui ne présentent selon elle « aucun intérêt notoire » sur le plan patrimonial. Des propos très durs, qui ont cependant le mérite de mettre les catholiques – et les non catholiques – face à leurs responsabilités. »[1]

Je lis dans cet article : « Si la « solution » proposée par Roselyne Bachelot pour la conservation du patrimoine religieux est inadaptée, le diagnostic duquel elle découle n’en est pas moins réaliste. »

Sans doute la solution est-elle inadaptée et aussi mal proposée dans un contexte où le dialogue passe mal entre la sphère profane et la sphère religieuse, mais elle a le mérite d’un réalisme judicieux.

Pour commencer il faudrait dresser un inventaire objectif de ce qui est patrimonial et avant tout définir de quel patrimoine on parle.

D’ores et déjà se démarquent deux conceptions : l’une de l’ordre d’un inventaire architectural et artistique pour déterminer ce qui présente vraiment une valeur patrimoniale et l’autre qui est de l’ordre de la valeur religieuse.

Il sera nécessaire dans ce contexte de mettre les pendules à l’heure et de sortir d’une laïcité enfermée dans un carcan idéologique, positionnée entre un laïcisme sectaire et une religiosité qui confine parfois à une « béatitude sentimentale » qui mériterait d’être revisitée en profondeur.

Il sera évidemment nécessaire de relire les conditions dans lesquelles les édifices religieux seraient à inscrire au titre de « patrimoine » en tenant compte de la législation en vigueur à partir de 1905[2].

Il ne s’agit pas de sauvegarder à tout prix sans considérer le coût parfois exorbitant des travaux qui seraient nécessaires. Entre la destruction sauvage et sans motif et la conservation au risque d’une dégradation inéluctable, il devrait être possible de s’accorder sur un consensus autour de critères clairement définis par des spécialistes compétents et indépendants sans exclure la consultation des instances concernées de la vie civile et des autorités compétentes pour l’utilisation des édifices religieux.

Quant à l’usage des églises et des chapelles, Il faudrait aussi respecter, même s’il ne s’agit pas de monuments de valeur patrimoniale, l’usage de proximité des fidèles et dans la mesure où l’état des lieux n’indique pas un manque de sécurité. Il n’est pas justifié de procéder à un rasage indiscriminé de tous les clochers.

Benoît de Sagazan, directeur de l’Institut Pèlerin du patrimoine[3] souligne avec pertinence que « les églises doivent s’appuyer sur trois piliers : la transcendance, le rassemblement, et le service du bien commun. Si elles répondent à ces trois objectifs, elles vivront, et la question de leur existence ne se posera même plus. Les églises n’ont pas vocation à demeurer des vestiges du passé. »

https://www.canalacademies.com/emissions/a-voix-lue/linstant-poesie/la-vierge-a-midi-un-poeme-de-paul-claudel


[1] https://fr.aleteia.org/2023/02/03/destruction-des-eglises-et-si-roselyne-bachelot-avait-raison/

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000508749

[3] https://patrimoine.blog.lepelerin.com/

Kinshasa 22 août 2008

Le voyage apostolique du pape François à Kinshasa

Extraits

« Jésus souffre avec toi pour que tu trouves la force de pardonner à toi-même, aux autres et à l’histoire, et le courage d’accomplir une grande amnistie du cœur ».

Il est bien conscient qu’il s’adresse à un population meurtrie depuis de longues années par les innombrables souffrances passées et toujours actuelles engendrées par la haine.

Même un tribun hyperactif sur un canal d’inspiration très libertaire et accessoirement plutôt anticatholique[1] reconnaît la valeur des paroles du pape. Il est heureux de noter que l’accord peut toujours se faire sur des points de convergence, malgré la distance des convictions. Je ne partage pas vraiment les positions idéologiques de Daniel Mermet mais pour une fois je suis d’accord avec lui : « VIVE FRANÇOIS ! … le pape, oui ! Non, non, vous ne rêvez pas… »

Et de reprendre le mots-mêmes du pape, prononcés dans les jardins du palais présidentiel : « Ôtez vos mains de la République Démocratique du Congo, ôtez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser ».

Ce discours qui a des accents politiques est tout à fait légitime parce que la voix de l’Église n’est pas muette sur les sujets de société alors qu’une conception étroite de la laïcité voudrait la réduire au silence.

Le pape a dit aussi : « La paix soit avec vous, la paix qui arrive dans les cœurs en ruines ». Et il rappelle que les apôtres se trouvaient dans cet état après la mort de Jésus sur la croix, au Golgotha. « Alors qu’ils ressentent en eux la mort, [Jésus] annonce la vie, la paix au moment où tout semble fini pour eux, au moment le plus inattendu et inespéré, où il n’y aucune lueur de paix ».

« Le Seigneur tend la main lorsque nous sommes sur le point de sombrer, il nous relève quand nous touchons le fond ».

Avant de remettre le pouvoir de pardonner aux apôtres, Jésus montre ses plaies, « parce que le pardon naît des blessures. Il naît lorsque les blessures subies ne laissent pas des cicatrices de haine mais deviennent le lieu où faire de la place aux autres et accueillir leur faiblesse. Alors les fragilités deviennent des opportunités, et le pardon devient le chemin de la paix ».


[1] Mercredito #30 | VIVE FRANÇOIS ! (le pape, oui ! Non, non, vous ne rêvez pas…)

https://la-bas.org/la-bas-magazine/chroniques/mercredito-30-vive-francois-le-pape-oui-non-non-vous-ne-revez-pas
30. janvier 2023 · 1 commentaire · Catégories: Calamus · Tags:

Toute les questions qui se posent en fin de vie à ceux qui sont appelés à « être là » -professionnels de santé, proches, bénévoles, …- peuvent se résumer à une seule : que dire ? Ou même seulement comment être ?

En effet il ne s’agit pas tant de « faire » ni même, d’abord de « dire ». Il faut tout simplement être là. C’est d’ailleurs sous cette appellation qu’ont choisi de se définir les structures fédérées sous l’égide de la SFAP, Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs.

Un constat s’impose d’emblée : il sera toujours impossible, et en dépit de la plus grande empathie, de prendre la place de celui qui aborde cette étape qui ouvre ce qu’il est convenu d’appeler « le grand passage », qu’il reste toujours aujourd’hui difficile d’appeler par son nom, la mort. Les discours très empathiques du style « je partage ce que tu souffres » tombent mal : en effet est-on conscient que la douleur ne se partage pas malgré toute l’empathie dont on voudrait faire preuve ?

Toutes les certitudes, toutes les assurances sur lesquelles on pouvait s’appuyer s’effondrent quand la vie ne se conjugue plus au futur mais qu’elle est déjà entrée dans l’histoire.

C’est le moment d’affronter la grande solitude, la seule et définitive solitude de celui qui s’en va et devant qui s’ouvre la porte qu’il ne fermera pas lui-même.

Il ne faut pas cacher ni se cacher l’hypothèse toujours possible de l’ultime angoisse. Elle est en embuscade sur le pas de la porte mais il reste encore une possibilité pour les proches de se tenir là pour prendre la main, pour accompagner car tout se résume dans ce seul mot mais qui pose une question essentielle : « comment bien accompagner ? ».

Celui qui est sur le départ sera peut-être disposé à parler de sa mort, alors pourquoi sans fausse prudence, sans esquive maladroite, ne pas saisir la perche tendue : il faut apprendre à prononcer le mot, entreprendre ce pas de deux que pourrait devenir le dialogue autour de la mort. On sait combien il est faux de faire semblant, de donner un espoir qui n’a plus de sens sans pour autant renoncer au sens le plus profond du mot espoir qui peut-être se convertira et nous convertira, c’est-à-dire nous tournera vers, en devenant une authentique espérance qui est aussi une vertu et pas seulement un état d’âme, une attente.

La mort

La langue française est riche de mots dont la signification s’articule comme un galaxie autour du mot mais le seul qui convient vraiment est celui de la vérité, de la sincérité : la mort. Nous allons tous vers ce moment que nous voyons toujours dans un avenir lointain, imprévisible et que quand tout va bien nous préférons tenir à distance. Alors brisons définitivement le tabou et acceptons de le dire : nous allons mourir et bien évidemment quand elle est là, non comme une ennemie ni comme une amie mais comme une compagne qui était déjà à nos côtés dès le premier instant, dès le premier cri : il faut apprendre à dire nous sommes mortels.

Et puisque nous pouvons accepter qu’elle nous tende la main, essayons de la prendre, sans la refuser parce qu’elle est aussi l’occasion de parler de sujets importants, de ce qu’a été notre vie, … sans s’arrêter à compter les jours, les mois les années…

Pour commencer, celui qui accompagne doit abandonner toute attitude qui, au fond, l’éloigne précisément de l’accompagnement : la plainte morbide qui exprime un désespoir tourné vers soi parce qu’on va, c’est indéniable, perdre un être qui nous est cher. Il faut sortir de l’orbite qui déplace le centre de gravité vers soi en même temps qu’il nous éloigne déjà, avant l’heure, de l’autre, de celui qui va partir, que nous abandonnons à sa solitude. Quand le moment s’approche il n’est pas question de laisser monter en première ligne nos propres sentiments, légitimes mais qui risquent de défaire prématurément un lien qui est toujours actuel. C’est l’instant de l’amour, de la tendresse, de la sérénité, de la paix intérieure, ce dont celui qui va partir a le plus besoin.

Le malade en fin de vie est d’abord un malade et la fin de vie un accident de la maladie, même s’il a quelque chose de révoltant. Il ne faut pas s’étonner qu’elle déstabilise et qu’on reste sans voix et surtout sans la voix qui apporte le réconfort.

Pourquoi ne pas donner au malade l’opportunité de parler de lui, de ce qui l’habite, en restant simplement présent pour écouter. A cette heure il se produit souvent, même si cela ne jaillit pas comme une source, le besoin de parler, d’exprimer peut-être des choses qu’il avait jusque-là laissées dans l’ombre et que la perspective de partir sans laisser de mémoire, lui suggère de dire, de confier. Alors laissons du temps au malade pour parler et surtout parler de lui-même s’il le souhaite. Il est plus important d’écouter que d’inonder la fin de vie sous un flot de paroles qui masquent la vérité d’une vie qui s’éteint. On pense à Job, seul sur son tas de souffrances dont les amis se tenaient là en silence.

De toutes les maladresses qui peuvent encombrer ce moment essentiel de la vie, la plus grande est peut-être de ne pas permettre à celui qui va nous quitter de s’exprimer, même si toute l’expression peut parfois se réduire à un long silence. Mais il est des silences plus éloquents que les plus beaux discours.

Les derniers instants peuvent aussi être l’occasion de confidences qu’il faut voir comme une porte toujours ouverte vers l’avenir : les ultimes confidences que le malade voudrait laisser comme un testament non écrit mais qui le projette déjà dans cet au-delà qu’il ne connaît pas mais qu’il peut préparer dans son cœur. Il ne faut pas briser le lien qui subsistera toujours et qui n’est pas rompu par la mort : le lien qui nous unit, même si nous ne savons pas bien comment, et qui ne sera jamais brisé même par la mort, le lien spirituel. C’est une occasion unique de faire tomber à cet instant essentiel le mur du matérialisme dressé par ceux qui ne voient la « bonne mort » que la mort volontairement donnée. Si des paroles peuvent se révéler justes elles seront celles qui inviteront le malade à regarder sa vie sans regret stérile mais plutôt avec le sentiment qu’il peut encore réparer des accrocs qui ont laissé chez les autres des plaies qu’il peut à ce moment-là fermer. Il ne faut ni contraindre en faisant pression, ni empêcher de s’exprimer celui qui éprouve le besoin de parler en toute sincérité. Les derniers moments sont une étape qui mérite plus que jamais son expression « la fin de la vie ».

Une fois que celui qui est sur le départ a accepté qu’il va partir, quand le silence est rompu, il faut toujours laisser ouvert le champ libre pour un échange de cœur à cœur qui pourra permettre d’ouvrir la voie à la parole sur des sujets fondamentaux autour desquels s’est construite la vie et en particulier la famille, les proches, ceux que l’on a entourés de son amour ou, le cas échéant, envers lesquels a été entretenu un manque que l’on souhaiterait combler avant qu’il ne soit trop tard. Il n’est pas rare que la souffrance de celui qui va partir soit motivée pas la douleur qu’il ressent de la souffrance qu’il va, involontairement, imposer à ceux qu’il aime sans avoir eu le temps de se réconcilier. La réconciliation, le désir d’union ou de ré-union à distance des brisures du passé prend souvent dans les derniers instants une force qu’il faut savoir soutenir et accompagner. Ce qui peut ajouter à la souffrance c’est l’impossibilité d’effacer les traces d’un passé parfois douloureux, de conflits non éteints. Sans penser qu’il sera possible de tout effacer, au moins le pardon accordé pourra-t-il permettre d’accéder à une fin de vie plus sereine. On peut demander au malade s’il souhaite s’adresser, par notre intermédiaire à ceux qu’il aurait pu faire souffrir, sans entretenir la culpabilisation.

Il peut être utile de réveiller le souvenir de moments heureux passés en famille, entre amis, d’actions positives, de réalisations qui ont apporté du bonheur à autrui, un ultime moment de contemplation devant ce que celui qui va partir a construit et qu’il laissera en héritage.

Si la personne est ouverte à la dimension spirituelle de son existence et en respectant ses convictions, il sera possible de parler du sens de la vie. Il suffit d’ouvrir cette porte, de l’aider à l’ouvrir, sans contrainte. Il n’est pas nécessaire de recourir aux discours classiques sur la valeur de la souffrance. Si certaines expressions sont bien connues comme la valeur rédemptrice de la souffrance, il vaut mieux les laisser dans les pages que tant de grands prédicateurs nous ont laissées. Cette belle littérature n’est pas écrite pour le malade en fin de vie, pour l’accompagnement au lit du malade.

Le cardinal Veuillot en fin de vie nous a laissé son témoignage : « Nous savons faire de belles phrases sur la souffrance. Moi-même j’en ai parlé avec chaleur. Dites aux prêtres de n’en rien dire ; nous ignorons ce qu’elle est, et j’en ai pleuré. »

Si le malade en fin de vie ouvre la porte de son intimité spirituelle qu’il suffise d’évoquer le grand silence qui s’est étendu sur le Golgotha après que Jésus s’est adressé à sa mère et à saint Jean « Voici ton fils… Voici ta mère »… juste avant de lancer sa dernière parole : « Consummatum est ! ».

Une lecture, une musique que la personne aime pourront adoucir les moments qui vont l’emporter dans l’au-delà qu’il ne connaît pas mais qu’il pressent, sans laisser du temps à l’installation de pensées pessimistes et moins encore d’anéantissement devant cet inconnu qu’il n’est pas pertinent de représenter comme un vide absolu.

Le 2 janvier 2023, Raphaël Enthoven, philosophe, conjointement avec Pierre Juston, juriste et délégué de l’ADMD, ont répondu à l’essayiste Erwan Le Morhedec qui « dans la tribune publiée dans FigaroVox les accusait de discréditer la parole des chrétiens dans le débat sur la fin de vie »[1].

Je retiens cette invective sans nuance : « La « rare agressivité » qui touche tant Monsieur Le Morhedec est celle de concitoyens qui, s’étant arrachés au prix du sang à la tutelle de l’Église depuis plus d’un siècle, ne souhaitent pas que les représentants de ce qui n’est désormais qu’une association civile et privée se prennent à nouveau pour des législateurs. On peut le comprendre. »

Je ne sais pas à quoi ils font allusion par ces mots « s’étant arrachés au prix du sang à la tutelle de l’Église »… Peut-être veulent-ils rappeler le sang versé pendant la terreur en oubliant qui étaient les victimes ?

Qu’il me soit permis de répondre en ma modeste qualité de médecin spécialiste, partageant sans réserve, et sans me reconnaître dans la « rare agressivité » qu’ils ont voulu déceler, la position d’Erwan Le Morhedec. Mais dans ma réponse je tiens à en rester à me présenter avant tout comme membre actif de « l’association civile et privée » qui, pour certains s’appelle aussi l’Église catholique.

Messieurs,

Vous avez ouvert des hostilités mais vous vous trompez de guerre : ce faisant vous avez rendu impossible le dialogue sur la fin de vie parce que vous l’avez pris en otage et réduit à celui, inconciliable par essence, entre d’un côté les philosophes et les militants qui veulent une législation favorable au droit à mourir, sans avoir à passer par la case meurtre programmé avec ses conséquences juridiques et pénales.

Vous faites des « droits » dont nous disposons le seul critère de la liberté. Dont acte, mais si je suis bien d’accord avec vous sur la notion de liberté garantie par la loi, il n’en reste pas moins que nous ne partageons pas les mêmes références anthropologiques concernant la définition de la liberté. Je le conçois bien dans le contexte des convictions que vous assumez mais qui sont incompatibles avec celles de la « minorité vindicative » à qui vous contestez la position, ce que vous appelez avec un certain mépris, d’exercer un « magistère moral », à vos yeux insupportable. Mais, sur ce point il est évident qu’aucun pont n’est possible pour se rencontrer dans un dialogue serein.

Malgré le défi que vous lancez, permettez-moi de vous répondre, sans fair preuve de la « rare agressivité » que vous taclez. 

Vous écrivez : « Réduire le souhait de mourir au manque de soins palliatifs, à l’insuffisance des structures d’accueil ou bien au défaut de personnel, et considérer, par conséquent, qu’il suffirait de remédier à tout cela pour qu’aucun malade, jamais, n’exprime le souhait d’avancer l’heure de sa mort, c’est confondre l’explication et l’excuse. »

La réduction que nous ferions du « souhait de mourir au manque de soins palliatifs » est un mauvais procès que vous faites à tous ceux qui s’emploient, professionnels de santé et bénévoles, à accompagner les malades en fin de vie.

Venons-en à votre raisonnement en trois points et à vos arguments qui condamnent la position de ceux qui contestent le droit de pouvoir librement désirer mettre un terme à ses jours ou tout simplement que cela devienne un droit.

  1. « …il arrive, hélas, que ce ne soit pas le défaut de soins palliatifs qui pousse les gens à vouloir mourir, mais la maladie elle-même. »

Vous avez raison et je partage vos arguments émis sous la forme d’un catalogue des situations devant lesquelles le médecin – et je parle d’expérience et en mon nom propre – est impuissant quand, comme vous le dîtes justement, « être prisonnier de son corps n’est pas soluble dans la morphine ». Sans prolonger inutilement le discours autour des soins palliatifs qui ne se résument pas à plonger un malade dans une quasi-inconscience que peuvent provoquer les morphiniques, non, je ne garde pas les clefs de la cellule de celui que vous appelez un prisonnier. Je sais que je suis là, même toujours impuissant quand arrive la fin de la vie, même si je sais si maladroitement accompagner celui qui va partir, qui est arrivé au terme du chemin. Je ne suis pas un héros et lui non plus s’il refuse le poison mortel mais j’essaie d’« être là »[2], pour l’aider jusqu’au bout à ouvrir la porte parce qu’il sait que la mort est là. Il sait et il l’accepte sans la vouloir. Quant à vous, vous avez opté, selon vous, pour l’ultime liberté. Vous anticipez l’heure, avec de bons sentiments mais, pardonnez-moi de le dire, non sans brutalité en ouvrant la porte de sortie… sur une voie sans issue.

  • « Réduire le souhait de mourir au manque de soins palliatifs… c’est faire comme si une décision était réductible à l’ensemble des déterminations qui la précèdent. »

Et de recourir à la rhétorique ronflante : « la souveraineté et la responsabilité d’une décision, quelle qu’elle soit, ne sont pas solubles dans les causes qu’on lui trouve ». Je crois avoir bien compris le fil directeur de votre discours, comme, d’ailleurs celui qui se tisse non sans qualité, dans les cénacles militants pour le Droit à Mourir dans la Dignité : « Liberté, liberté chérie ». Permettez-moi de poser une question : la vraie vie de ses origines à son terme se résume-t-elle à dire « je » et à s’arrêter là, sans savoir que l’on peut aussi dire « tu » et « nous » ? Et vous ne me ferez pas croire qu’en fin de vie il ne reste que le « je » parce que malgré tout, vous avez abandonné à leur solitude ceux qui, c’est ma conviction, n’ont pas renoncé à quitter, malgré cette ultime liberté, ceux à qui ils disent encore « vous m’aimez et je vous aime »… Oui, sans doute « vous êtes là » mais pas avec les mêmes moyens, pas avec les mêmes raisons, ni même avec les sentiments.

  • « Enfin, vous opposez « soins palliatifs » et « aide à mourir », alors que les deux vont la main dans la main. »

Involontairement, vous m’offrez un boulevard pour la dernière réponse. Nous n’opposons pas les « soins palliatifs » et l’« aide à mourir ». Oui elles vont main dans la mais ce n’est pas la même main, celle qui tient jusqu’au bout celle de celui qui s’en va, et celle qui, même avec des bon sentiments, précipite dans l’au-delà celui qui veut partir simplement parce qu’il en a ainsi décidé.

Sans doute partageons-nous un certain nombre de convictions sur la nécessité de promouvoir et de développer les soins palliatifs. Et vous appuyez non sans grandeur sur des mots justes : « mettre un terme aux souffrances, prendre tous les moyens de les apaiser, un véritable plan de financement des soins palliatifs ». Nous en sommes bien d’accord, mais et en allant au-delà de la vanité d’un combat inutile, de cette « guerre de trop », je ne vous suivrai pas, sans chercher à vous convaincre par les mots ni par les sentiments, pour réclamer l’ultime liberté qui s’arrêtera une fois la porte franchie et quand celui qui l’aura ouverte devant celui qui s’en va, repartira, comme si de rien n’était. Vous n’avez pas cette conviction, je le sais, mais quant à moi il n’y a pas d’ultime liberté. Vous avez cité Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Vous connaissez sans doute, j’en suis aussi convaincu, la source qui le guidait : « la Vérité vous rendra libre ».


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/raphael-enthoven-pierre-juston-pourquoi-nous-sommes-favorables-a-l-euthanasie-20230102

[2] « Être là » : L’ASP fondatrice (Accompagner en Soins Palliatifs) et 42 associations d’accompagnement bénévole en soins palliatifs ont fondé Être-là, nouveau mouvement national des ASP, le 5 octobre 2021

Vincent van Gogh (1853-1890)
Le Bon Samaritain (1890)
Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo 

Le Bon Samaritain

Je lis ce matin sous la plume de Luc Ferry (Le Figaro, Jeudi 6 janvier 2022 – Opinions) :

« L’universalisme républicain n’est qu’un héritage du christianisme comme l’avait vu Tocqueville, dans un passage de La Démocratie en Amérique, en parlant de la grande Déclaration des droits de l’homme de 1789 : « C’est nous, les Européens, écrivait-il, qui avons donné un sens déterminé et pratique à cette idée chrétienne que tous les hommes naissent égaux et qui l’avons appliquée aux faits de ce monde. C’est nous qui, en détruisant dans tout le monde le principe des castes, des classes (…), en répandant dans tout l’univers la notion de l’égalité des hommes devant la loi, comme le christianisme avait créé l’idée de l’égalité de tous les hommes devant Dieu, je dis que c’est nous qui sommes les véritables auteurs de l’abolition de l’esclavage. »

J’extrais cette citation d’un article qui se veut un hommage à tous ceux qui depuis que la pandémie a mis le feu à toute la planète a aussi contribué à la destruction du tissu social. Et Luc Ferry de conclure : « Belle méditation, qui établit, avec beaucoup de finesse et de profondeur, une filiation entre l’idée républicaine dans ce qu’elle a de plus laïque et l’héritage chrétien dans ce qu’il a de plus humaniste : l’égalité des créatures devant Dieu, transposée en égalité des citoyens devant la loi, n’est au fond qu’une sécularisation réussie de la parabole du bon Samaritain : comme elle, elle ouvre la compassion pour le prochain à un universalisme qui fait abstraction des appartenances communautaires pour étendre le principe de fraternité à l’humanité tout entière. Qu’hommage soit ici rendu aux bons Samaritains d’aujourd’hui, qu’ils soient chrétiens ou non ! »…

Et si c’était aussi l’occasion de rappeler que « l’héritage chrétien » n’a jamais été en contradiction avec les principes de « l’idée républicaine dans ce qu’elle a de plus laïque » ? Alors on en aurait peut-être fini des interminables querelles qui finissent par miner les plus belles énergies en même temps qu’elles entretiennent la suspicion, le rejet … qui sont le terreau de la haine.

Juste une remarque : Luc Ferry affirme : C’est nous qui, en détruisant dans tout le monde le principe des castes, des classes (…), en répandant dans tout l’univers la notion de l’égalité des hommes devant la loi, comme le christianisme avait créé l’idée de l’égalité de tous les hommes devant Dieu, je dis que c’est nous qui sommes les véritables auteurs de l’abolition de l’esclavage. »

Il insiste sur cette idée que « nous sommes les véritables auteurs de l’abolition de l’esclavage ». Il oublie que c’est « nous » aussi qui l’avons introduit et avec lui « le principe des castes, des classes (…). Ce n’est pas le christianisme qui a « créé l’idée de l’égalité de tous les hommes devant Dieu »… Le christianisme n’est le christianisme que si on veut bien comprendre que c’est Jésus-Christ son socle, sa référence, sa racine et qu’il n’y a pas de solution de continuité essentielle ni existentielle entre Dieu et Jésus-Christ. Alors si un hommage doit être rendu « aux bons samaritains, chrétiens ou non », il est juste aussi de ne pas déconnecter « l’héritage chrétien » de sa vraie source « l’égalité des créatures devant Dieu » qui n’est que secondairement « transposée en égalité des citoyens ».

La France vient de se doter d’une loi inique qui se prétend « de bioéthique », votée, malgré toutes les dénégations de ceux qui veulent s’exonérer de toutes les critiques justifiées dont ce vote a été l’objet, dans l’indifférence et l’assoupissement propres à la période estivale qui ont plongé l’assemblée nationale dans une anesthésie inquiétante. Inquiétante surtout parce que les rares députés présents étaient pour la plupart les petites mains soumises à la volonté implacable d’un petit potentat : Jean Louis Touraine, député LREM, rapporteur du projet. On ne présente plus monsieur Touraine, l’artisan des basses-œuvres du projet qu’avait inscrit dans son programme E. Macron.

Juste pour la mémoire, le discours d’E. Macron au Collège des Bernardins le 10 avril 2018.

Extrait : « Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord. Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer. Pour cela, il n’est pas d’autre moyen qu’un dialogue en vérité. Le dialogue est indispensable, et si je devais résumer mon point de vue, je dirais qu’une Eglise prétendant se désintéresser des questions temporelles n’irait pas au bout de sa vocation ; et qu’un président de la République prétendant se désintéresser de l’Eglise et des catholiques manquerait à son devoir. » Et plus loin dans le même discours : « Paul RICŒUR, si vous m’autorisez à le citer ce soir, a trouvé les mots justes dans une conférence prononcée à Amiens en 1967 : « maintenir un but lointain pour les hommes, appelons-le un idéal, en un sens moral, et une espérance, en un sens religieux. »

Ainsi donc, la loi a été votée et non seulement mais avec des dispositions introduites sans vrai débat au mépris du respect que l’on doit à une instance censée représenter la volonté du peuple et à l’exigence que l’on est droit d’attendre. Ce vote inscrit sur la France une tache indélébile qui ne manquera pas d’étendre l’opprobre sur une législation déjà entachée par ce que les défenseurs de cette loi appellent depuis des décennies le progrès. Ainsi Mr Touraine s’est-il permis d’écrire, comme rapporteur du projet de loi : « Au début sont essentiellement formulés des interdits, souvent plus par prudence que pour de véritables raisons du respect de certaines valeurs humaines. Puis, avec la progression des connaissances, lorsqu’est acquise la certitude que l’on ne s’aventure pas dans une direction non maîtrisée tels des apprentis sorciers, il devient possible de soulever progressivement le voile des interdits. » …/… « L’enjeu est fondamental, il s’agit de choisir la société dans laquelle nous vivrons demain, de dessiner la condition humaine à laquelle nous consentons à nous soumettre et l’humanité que, tout à la fois, nous voulons transformer. » … Tout cela va bien dans le sens du « en même temps » cher à qui vous savez.

En 1959 Gustave Thibon a écrit une pièce de théâtre : « Vous serez comme des dieux ». On lit à propos de cette pièce « Au risque d’inciter le lecteur à penser qu’il est un inconditionnel du progrès technique, Thibon présente une technoscience ayant tenu toutes les promesses qui, en 1959, date de publication du livre, paraissaient folles : sérum d’immortalité, voyages dans l’espace, clonage, santé parfaite, paix sociale et même liberté d’opinion. En 2014, les mêmes promesses sont les objectifs d’un mouvement de pensée soutenu par les milliardaires californiens du numérique : le transhumanisme. Cela fait apparaître Thibon comme le premier critique du transhumanisme. Dans les oeuvres d’anticipation les plus connues, Nous autres de Zamiatine, le Meilleur des mondes de Huxley et 1984 de Orwell, l’avenir créé par la technoscience est clairement un enfer, préfigurant ou rappelant les régimes totalitaires du XXème siècle. Il va de soi qu’une personne sensée le rejette. Dans tous ces cas c’est moins le progrès technique démesuré qui est dénoncé que les régimes politiques qui l’utilise à des fins totalitaires. Ce qui aide à comprendre pourquoi l’élan progressiste n’a pas été brisé, ni même ralenti par l’horreur universelle que ces dystopies ont inspirée. Dans ce contexte, par exemple, on a renoncé à l’eugénisme pratiqué par un État, mais pour le réhabiliter ensuite en tant qu’objet d’un choix individuel. Thibon s’attaque directement à la démesure dans le progrès technique. C’est pourquoi, il donne à son meilleur des mondes toutes les apparences d’un vrai paradis sur terre. Son utopie ressemble à celle que le psychologue behavioriste B.F. Skinner a présenté dans Walden II. Il place son lecteur devant l’alternative fondamentale. La grande question est posée par l’héroïne de la pièce, Amanda. Elle a mis toute la contrée des immortels en état de choc en annonçant qu’elle redeviendrait mortelle. On la considère comme malade, de cette maladie d’avoir une âme ayant la nostalgie d’un autre monde. À défaut de réussir à la guérir, on en tire un clone, un copie conforme à tous égards mais sans âme. Elle s’adresse en ces termes à Hélios, l’homme qu’elle aime et qui l’aime: « Choisis. Moi je vais mourir. Je ne veux pas t’entraîner dans cet abîme — néant ou Dieu — dont je ne sais rien, sinon qu’il m’attire et que je le préfère à tout. Celle-là sera tienne éternellement, vous serez heureux de tout ce bonheur que j’ai refusé : aucun Dieu ne lui parlera, aucune mort ne te la prendra. Choisis ! » Vue sous l’angle de cette question, la pièce de Thibon est une métaphore futuriste pour décrire, en la portant à sa limite, une situation contemporaine. Déjà en 1959, le salut avait été remplacé dans les mentalités occidentales par cette longévité que les transhumanistes se proposent d’accroître indéfiniment. La croissance économique d’autre part, laquelle semblait illimitée, incitait les gens à situer leur bonheur dans l’avenir et à s’imaginer immortels sur terre. Choisis! Cette injonction qui, en 1959, n’avait de sens et d’importance que pour ceux, déjà très rares, dont la soif d’absolu n’avait pas encore été réduite à rien par l’appétit de consommation, est devenue une obligation politique à laquelle personne n’échappe. Il faut dire oui ou non au transhumanisme. En ce moment, nous disons oui, majoritairement, par l’enthousiasme ou l’indifférence avec laquelle nous acceptons aussi bien les innovations elles-mêmes que le rythme auquel elles s’opèrent. Cela, pour durer plus longtemps, mais sans l’ombre d’une réflexion sur les conséquences de notre choix. » (in http://encyclopedie.homovivens.org/documents/vous_serez_comme_des_dieux)

En imposant dans le contexte délétère que nous connaissons, lié à un phénomène inusité depuis longtemps et alors que nous croyions même avoir dépassé les limites de notre impuissance à tout contrôler grâce au progrès, notamment en matière médicale, un hémicycle déserté a imposé par cette loi, les contours de « la condition humaine à laquelle nous consentons à nous soumettre et l’humanité que, tout à la fois, nous voulons transformer », pour reprendre les termes dithyrambiques de Touraine dans son rapport. Il ne nous reste donc plus qu’à attendre cette transformation de l’humanité qui ne tardera à montrer ses visages monstrueux quand les manipulations génétiques insensées, les gestations anarchiques, les hybrides incohérents auront délivré leurs innommables productions incontrôlées en laboratoire. Le XX° siècle avait mis sous nos yeux les horreurs à peine cachées des idéologues du nazisme et nous les avions rejetées dans le soulagement douloureux de la victoire qui avait ouvert sur l’espérance. Le XXI° siècle qui commence les réintroduit dans la légalité sous le prétexte du progrès incontournable et avec la conviction « que l’on ne s’aventure pas dans une direction non maîtrisée tels des apprentis sorciers ». Ces gens ne croient pas en Dieu et pourtant ils répondent sans hésitation à la suggestion : « Vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal ». Mais savent-ils qui leur répond à la question qu’il avait lui-même posée ?

Le monde s’embrase emporté par des idéologies qui se condamnent elles-mêmes en imposant par la violence des idées qui contredisent leur prétendue défense des droits de l’homme.“ Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte. ” (Frantz Fanon)

Je ne partage pas les idées de l’auteur ni son parcours personnel mais je pourrais écrire la même chose. Je corrigerais seulement : « Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de la personne …»

Peaux noires, masques blancs : lire Frantz Fanon, lutter contre les stéréotypes ! Extraits d’une recension du livre : « … Avec toute la science dont l’auteur est capable, Fanon décrypte, minutieusement, lentement, tous les mécanismes qui portent à mettre l’homme noir dans une case, l’homme juif dans une autre (en effet, son travail pourrait se décliner pour toutes les ethnies, toutes les religions) et pourquoi l’homme blanc « civilisateur » a eu le besoin de caractériser ces « autres » par des traits bien définis, des cadres dont ils ne devaient plus jamais sortir. Une colonisation mentale qui ne se déconstruit pas comme cela. »…/… Frantz Fanon vise à la destruction d’un complexe. Destruction des a priori. Destruction des barrières entre les hommes, en somme. Le déterminisme n’est pas une fatalité. L’homme peut apprendre, comprendre échanger, changer. Fanon, noir et antillais, se centre sur la problématique qu’il connait le mieux, parce qu’il la vit dans sa chair et son esprit, mais on comprend bien que son humanisme aurait pu écrire ces pages pour n’importe quelle nation, n’importe quel peuple, n’importe quelle religion ou culture. » in https://www.indigne-du-canape.com/peaux-noires-masques-blancs-lire-franz-fanon-lutter-contre-les-stereotypes/

… la maladie du siècle !

Discours prononcé par Albert Camus (1913-1960) le 10 décembre 1957 à l’occasion de sa remise du prix nobel à Stockholm. Albert Camus rappelle le devoir de l’artiste face au monde.

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. »

Camus est de la race de ceux qui cherchaient à comprendre, qui pouvait signer : « Le besoin d’avoir raison, marque d’esprit vulgaire ». C’était un temps qui opposait ceux qui avaient « raison »… Sartre et tous les staliniens, et ceux qui avaient « tort » … Aron, Milosz, Arendt et aussi Camus … « Il est ahurissant de voir la facilité avec laquelle s’écroule la dignité de certains êtres. »Ce qui le justifie parfaitement d’oser écrire : « Georges Bernanos est un écrivain deux fois trahi. Si les hommes de droite le répudient pour avoir écrit que les assassinats de Franco lui soulevaient le coeur, les partis de gauche l’acclament quand il ne veut point l’être par eux. Car Bernanos est monarchiste. Il l’est comme Péguy le fut et comme peu d’hommes savent l’être. Il garde à la fois l’amour du vrai peuple et le dégoût des formes démocratiques. Il faut croire que cela peut se concilier. Et dans tous les cas, cet écrivain de race mérite le respect et la gratitude de tous les hommes libres. Respecter un homme c’est le respecter tout entier. Et la première marque de déférence qu’on puisse montrer à Bernanos consiste à ne point l’annexer et à savoir reconnaître son droit à être monarchiste. » Albert Camus, Juillet 1939… et relire son Discours à Stockholm le 10 octobre 1957 à la réception du Prix Nobel de littérature… Et ce n’est pas un billet politique !

Et aussi : Lettre de Camus à Louis Germain – 19 novembre 1957
En hommage à ce grand écrivain, homme incarnant la noblesse même, voici un échange de lettres avec son premier instituteur, Louis Germain. Camus lui écrivit, quelque peu après avoir reçu le Prix Nobel de Littérature en 1957, une lettre de remerciement et ce magnifique instituteur lui répondit par une vibrante profession de foi en son métier et en l’école laïque.
https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-bersihand/anniversaire-mort-albert-camus_b_4537141.html

Ernest Renan

https://www.gouvernement.fr/partage/9007-conference-d-ernest-renan-a-la-sorbonne-quest-ce-qu-une-nation

https://républiquedeslettres.fr/renan-nation.php

« L’homme n’est esclave ni de sa race ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagne. »Qu’est-ce-qu’une nation ? Ernest Renan – Conférence du 11 mars 1882

Des policiers s’agenouillent pour dénoncer les violences policières, lors d’une manifestation à Coral Gables en Floride, le 30 mai 2020. Un geste inspiré par les protestations des joueurs de football américain.
Eva Marie Uzcategui / AFP

L’Everest vu du camp de base

Le titre original invite à mettre l’accent sur l’atmosphère de cette épopée : le silence. A la lecture il est aisé de comprendre l’importance de ce climat de silence qui impose le plus grand respect. Silence qui est comme la trame des actes héroïques en filigrane des deux circonstances, la Grande Guerre et la « saga » himalayenne, étroitement intriquées dans l’action qui se déroule tout au long des 459 pages de cet impressionnant récit dont le point culminant n’est hélas pas le sommet de l’Everest (8848 mètres) mais de minuscules « points noirs » …

Il vaut la peine de citer ces quelques lignes de la page 436.

« A 12h50, j’ai vu M[1]. & I[2]. sur l’arête, approcher de la base de la pyramide finale. Il y a eu une soudaine éclaircie, et toute l’arête sommitale et le pic final de l’Everest sont apparus. Mes yeux se sont fixés sur un petit point noir qui se profilait sur une petite crête de neige sous un ressaut rocheux de l’arête ; le petit point noir bougeait. Un autre point noir est devenu visible et est monté dans la neige rejoindre l’autre sur la crête[3]. »

Ces quelques lignes ne déflorent pas le suspens qui est aussi un ressort du récit qui se lit comme une enquête, presque un thriller, du début à la fin. Qui ignore aujourd’hui que Mallory a écrit à l’Everest les premières pages d’une aventure qui mérite d’être considérée comme une des plus glorieuses de l’alpinisme mais pas seulement.

Le silence…

Il faut insister sur cet apparent paradoxe : silence sur l’implication de l’armée anglaise et qui couvre aussi la mémoire des milliers de soldats anglais emportés dans la tourmente de la Grande Guerre en face du bruit de l’histoire et silence des trois expéditions face au bruit médiatique contemporain qui entoure souvent les expéditions dans l’Himalaya. Wade Davis a encordé son récit de l’épopée himalayenne à celle de la guerre de 14-18 qu’il tient comme l’un des ressorts principaux de l’incroyable volonté des hommes qui ont voulu conquérir le plus haut sommet de la planète.

Et il érige, presque un siècle plus tard, cette « improbable cordée » en une aventure indépassable, à la limite surhumaine, celle de l’héroïsme qui a conduit en 1921, en 1922 et en 1924 des alpinistes anglais, des scientifiques géographes, botanistes, naturalistes, des médecins, des photographes,… à explorer cette région de l’Himalaya encore inconnue, en tout cas dans ses plus hautes altitudes et aussi dans son cadre géopolitique et dans sa population.

Il serait possible de limiter un avis personnel à la lecture de ce livre à quelques considérations banales mais, qu’il me soit permis de refuser cette banalité qui ne rendrait pas justice à la qualité de l’écriture tant par le style que par la richesse des informations.

Et pour ne pas tomber dans l’auto-satisfecit je recommanderais à celui qui lira cette introduction de se précipiter pour lire l’original dont cette recension n’est qu’un pâle reflet.

Il faut remercier Les Belles Lettres d’avoir inscrit Les soldats de l’Everest à son catalogue.

On voudra bien m’excuser par avance pour la longueur de cet avis.

Il ne s’agit pas non plus, dans mon esprit, de donner cet avis personnel assorti d’une qualification mais de livrer, en suivant le fil des 13 chapitres, de l’épilogue et de la bibliographie annotée, quelques remarques, peut-être parfois un peu longues, sur les points qui m’ont semblé les plus marquants.

Et… s’il fallait donner une note elle serait à l’image de l’Himalaya : le plus haut sommet.

Première remarque sur le titre

Mallory ? Pourquoi lui seul dans le titre ? Sans doute est-il le seul qui participe aux trois premières expéditions, disparaissant à la troisième qui en est la triste conclusion. Sans doute est-il, mutatis mutandis, un des meilleurs alpinistes de son époque. Le serait-il aussi aujourd’hui avec les moyens d’aujourd’hui ? La question n’a pas de réponse et d’ailleurs a-t-elle un sens ?

Autour de lui et avec lui, ils sont nombreux ceux qui ont bâti la légende de l’Everest. Légende ? Au sens d’une aventure qui restera gravée dans tous les esprits qui s’intéressent à l’histoire de la conquête des montagnes sur les cinq continents.

Mais je répondrais, comme Mallory lui-même quand, au cours des tournées de conférences qu’il a faites après la deuxième expédition de 1922, il lançait à un de ses interlocuteurs : « Mais pourquoi l’Everest ? » … « Because it’s there. »… « Parce qu’il est là ! »

Mallory ? Parce qu’il était là,« the right man in the right place ». Mallory a été l’âme de cette aventure qui a su fédérer autour d’un projet commun des personnalités diverses au caractère bien trempé. Une âme, c’est ce qui donne la vie à un projet fou.

Comme l’indique le titre « Les soldats de l’Everest – La Grande-Guerre et la conquête de l’Himalaya », il existe, pour Wade Davis un lien consubstantiel entre la première guerre mondiale et l’entreprise himalayenne fondée sur quelques intrépides aventuriers anglais. Le premier chapitre, avec des flash-back au cours des chapitres suivants, positionne les premières lignes de la bataille pour la conquête de l’Everest sur le front de la Grande-Guerre dans le nord de la France. Des milliers de soldats anglais conduits par leurs officiers ont affronté avec un courage hors du commun, les champs de bataille du conflit et ont donné leur vie dans un combat parfois surréaliste. Je laisse à Wade Davis l’entière responsabilité de son interprétation … mais elle n’est sûrement pas dénuée de tout fondement !

Davis reviendra souvent sur ce lien au fil du récit dans lequel il tracera la biographie des protagonistes. Ce sera pour lui l’occasion de donner d’intéressantes précisions très documentées tirées des archives qu’il a consultées et dont il donne avec une précision chirurgicale les références dans un chapitre « Bibliographie annotée », d’une érudition remarquable. Précision « chirurgicale » est bien le qualificatif qui convient car les descriptions de ce qu’il est convenu d’appeler « les horreurs de la guerre » sont parfois insoutenables.  

Puisque le titre engage dans un même contexte la guerre et la conquête de l’Himalaya il est important de souligner quelques traits d’une importance historique capitale.

Dans le chapitre 5 « Mallory entre en scène », Wade Davis n’hésite pas sur les mots.

Mars-avril 1918 à Ypres, Mallory est sur place : un carnage. « Le dos au mur, et parce que nous croyons dans la justice de notre cause, chacun de nous se battra jusqu’à la fin[4] ». Les mots sont du Gal D. Haig dont il ne dresse pas un portrait flatteur et qui porte, selon lui, la lourde responsabilité d’avoir engagé le combat avec une conception surannée de la guerre en 1914. « Même le fusil lui était suspect. Ce qui comptait avant tout, à ses yeux, c’était le sabre et le cheval. … « Il faut accepter par principe, que le fusil, si efficace soit-il, ne puisse remplacer l’effet produit par la vitesse du cheval, le magnétisme de la charge et la froide terreur de l’acier« [5]. »

Et sur le traité de Versailles (28 juin1919) : « … négocié par les hommes qui avaient mis le feu à la civilisation en 1914, il acheva de trahir toutes les espérances. … C’était une paix pour en finir avec toute paix. … il trahissait tout ce pour quoi la jeunesse avait combattu et avait perdu la vie. … Ils savaient qu’il allait provoquer une autre guerre[6]. »

Wade Davis, ne prétend sans doute pas faire œuvre d’historien mais il est impossible de ne pas accorder de crédit à son interprétation.

Si l’Himalaya s’inscrit dans ce contexte si particulier sur le paysage de l’Empire britannique engagé dans la première guerre mondiale, l’aventure dans l’Himalaya pour conquérir l’Everest commence bien avant avec des expéditions exploratoires dans le nord de l’Inde. Ces expéditions s’aventurent dans des contrées encore très peu connues tant par la géographie physique et politique que par la culture. C’est en particulier le Tibet qui est l’objet d’un enjeu diplomatique compliqué entre l’Empire britannique par l’Inde interposée et la Chine. C’est tout un jeu qui se met en place dont les règles commencent à dessiner le paysage politique que nous voyons aujourd’hui. Ainsi, les intérêts diplomatiques et stratégiques des puissances concernées n’étaient-ils pas toujours en accord parfait avec les souhaits des sociétés organisatrices des expéditions et notamment de la Royal Geographical Society (RGS). Ainsi Charles Bell, agent britannique (political officer) dans cette région puis ambassadeur spécial au Tibet en 1920 écrit-il à F. E. Younghusband[7] : « … J’ai été contraint de m’opposer à l’exploration de l’Everest à travers le territoire tibétain. Mais grâce à mon séjour à Lhassa et aux discussions personnelles que j’ai pu avoir avec mes amis tibétains, les circonstances ont changé. » Et Wade Davis de préciser : « Il ne fait pas de doute que la permission donnée à la conquête de l’Everest ne fut qu’un petit élément d’une action diplomatique vaste et complexe, conçue et menée à bien par Charles Bell, et d’un accord de livraison d’armes sur lequel reposait l’avenir même d’un Tibet libre[8]. » Il ne faut pas se cacher que la découverte du toit du monde s’est  faite aussi en « martyrisant » le pays.

« Les Indes étaient le joyau de la Couronne, « la paon dans la cage d’or », et il était intolérable, pour les Britanniques, que la possession la plus précieuse de l’Empire fût encerclée et possiblement menacée par des terres montagneuses dont on ne savait presque rien[9]. » Le Ladakh, le Cachemire, le Sikkim, le Bouthan… aujourd’hui terrains de conquêtes pour les alpinistes contemporains étaient encore peu explorés. « Une ombre cependant planait sur tout cela : le Tibet[10]. » Cette ambition britannique permit néanmoins des découvertes passionnantes. Tout comme en Afrique, la Royal Geographical Society a engagé des missions d’exploration pour découvrir la source du Nil, l’Himalaya a été un territoire de conquête des Britanniques. Ainsi, un fleuve, le Yarlung Tsangpo, qui prenait sa source dans le Tibet occidental disparaissait dans l’Himalaya. Sur le versant indien sortait le Brahmapoutre, l’un des plus grands fleuves indiens. On doit à Kinthup en 1880 la confirmation que les deux fleuves n’en font qu’un seul après un dénivelé de 3600 mètres entre le Yarlung Tsangpo et le Brahmapoutre. La validation en est apportée en 1913 par des explorateurs dont l’un, Henry Morshead, fit partie, au titre de cartographe, des deux premières expéditions (1921 et 1922).

C’est ainsi que l’Himalaya entra dans les cartons de la diplomatie avec d’autres ambitions peut-être moins avouables, de l’Empire britannique.

La stratégie pour accéder à l’Everest interdisait le passage par le Népal et obligeait à entrer au Tibet. Si aujourd’hui la situation du Tibet est fixée mais reste toujours délicate depuis son annexion en 1965 par la Chine au titre de Région autonome, il n’en allait pas de même au début du XX° siècle quand les Britanniques commencèrent à s’intéresser à ce pays pour l’explorer et plus tard en faire la voie d’accès à l’Everest.  

Les principales difficultés initiales furent culturelles en plus d’être géographiques : il fallait « cartographier » le pays. Sa capitale, Lhassa, était enveloppée d’un grand mystère et, sans remonter aux siècles passés où seuls de rares religieux occidentaux avaient pu entrer dans la ville, il faut attendre 1904 pour que les Britanniques y installent un corps expéditionnaire. « Elle était là enfin (la ville de Lhassa), le but jamais atteint de tant de voyageurs épuisés, la dernière demeure du mysticisme occulte qui subsistât sur terre. Les ondes lumineuses du mirage s’effacèrent imperceptiblement pour faire apparaître les lointains contours de toitures dorées et de terrasses blanches vaguement éclairées…. Mais le rêve fut de courte durée. Lhassa serait une déception[11]. »

Ainsi est planté le décor qui sera celui des expéditions de 1921, 1922 et 1924. En même temps que la découverte d’une civilisation fortement imprégnée de religiosité que les Britanniques apprendront à connaître sans jamais vraiment la comprendre, les premiers explorateurs sont confrontés aux conditions locales de très haute altitude dont ils commencent à percevoir les effets, déjà connus mais à des altitudes moindres. « Le froid intense, la fatigue, le manque de sommeil et le régime alimentaire étaient des facteurs complémentaires mais le mal des montagnes était sans aucun doute provoqué par la privation d’oxygène. … Au sommet de l’Everest, à 8848 mètres, la pression atmosphérique est inférieure des deux-tiers à la pression au niveau de la mer[12]. » Les observations du Docteur Alexander Kellas[13] sont les premières de valeur scientifique qui font prendre conscience que l’Himalaya et a fortiori l’ascension de l’Everest sont un authentique défi auquel personne ne s’est affronté jusqu’alors. Kellas s’intéresse aussi aux populations locales qui allaient devenir les auxiliaires des expéditions jusqu’à aujourd’hui. « Auprès des Sherpas[14] il trouvait l’amitié, la camaraderie et la confiance qui ne se noue qu’entre ceux qui risquent ensemble leur vie sur des pentes glacées ou aux confins de terres inexplorées. En faisant l’éloge des Sherpas, il changea en tout cas, pour le meilleur et pour le pire, leur destin[15]. »

Et pour conclure sur les motivations des Britanniques à se lancer dans cette aventure : « Mon opinion sur le problème se formule comme suit. Nous avons manqué les deux pôles après avoir eu le contrôle des mers pendant 300 ans, et il ne faudrait pas que nous rations l’exploration du massif du Mt Everest alors que nous sommes depuis 160 ans la première puissance aux Indes. … J’ai bien peur de considérer l’Himalaya comme une chasse gardée britannique… Nous devons gagner cette guerre et bien sûr l’expédition est une affaire très secondaire[16]. » L’histoire montrera que Kellas, emporté par son enthousiasme devant ce qu’il considère comme « un défi scientifique et une mission personnelle » se trompe sur deux points essentiels : avec le temps l’Himalaya ne sera plus une « chasse gardée britannique » et, quant au caractère secondaire de l’expédition … la suite en fera la démonstration.

Wade Davis nous présente avec des détails biographiques de premier ordre tous les hommes qui ont voulu conquérir l’Everest.

Les critères de sélection des hommes se sont portés sur leurs qualités physiques, intellectuelles, morales …

Il fallait aussi convaincre pour obtenir les fonds nécessaires à cette ambition qui avait quelque chose de démesuré, à l’instar de l’objectif.

John Noel[17] au cours d’une conférence touche une corde sensible : « Au cours des dernières années on s’est de plus en plus intéressé à l’Himalaya et, maintenant que les pôles ont été atteints, on considère généralement qu’une tâche au moins aussi importante nous attend désormais, l’exploration et la cartographie de l’Everest. » … Ses yeux se fixèrent particulièrement sur des hommes en kaki, une trentaine ou plus, qui étaient dispersés dans le public, des soldats qui avaient, comme lui, vécu le massacre, le crachement des canons, vu les squelettes et les barbelés, les visages livides des morts. Eux seuls pouvaient comprendre ce que l’image de l’Everest était devenu pour un homme comme lui : une sentinelle au milieu du ciel, un lieu et une destination de rédemption et d’espoir, un symbole de continuité dans un monde devenu fou[18]. »

Les personnalités et les caractères des candidats potentiels étaient très différents… Le candidat idéal ? L’honneur voulait qu’il fût britannique : « Si George Mallory représentait l’idéal britannique …/…, George Finch avait grandi sur le caillou brûlé par le soleil de l’outback australien… c’était le genre d’individu que l’Empire avait été heureux d’envoyer au massacre mais qu’il était réticent à reconnaître comme l’un des siens[19]. »

La note britannique était donnée pour presque tous dans les « Les public schools britanniques, certaines aux traditions très anciennes , comme Eton, Harrow et Winchester, … . Le véritable objet de l’école et de l’université était de donner aux élèves un certain éthos, de leur apprendre une obéissance aveugle aux individus de rang supérieur, un penchant instinctif à dominer les inférieurs et, par-dessus tout, un air de supériorité qui était indispensable à la stabilité de l’Empire. … Des garçons issus des milieux les plus riches et les plus favorisés de Grande-Bretagne entraient dans des écoles ordinaires comme Winchester et y étaient dépouillés de toute identité. … Soumis aux caprices d’élèves plus âgés… les jeunes garçons apprenaient à se conformer de mille manières et à refouler leurs émotions derrière une cuirasse d’humour et de répartie. … Il ne fallait être ni trop lent ni trop intelligent. Les pleurs n’étaient pas permis. Et l’on ne parlait jamais de ce qui se passait derrière les portes closes[20]. »

Comme beaucoup des membres des expéditions Mallory avait connu les champs de bataille du Nord de la France. Mais c’est pendant ses études qu’il prend goût à l’escalade qu’il pratique en Angleterre et plus occasionnellement au cours de voyages, dans les Alpes. Mallory prend très vite goût à la montagne et fait figure d’une grande audace, dans un milieu encore largement dominé par des alpinistes britanniques. …

Les démarches et les préparatifs de la première expédition pour l’Everest étaient bien avancés et Mallory reçoit une lettre le 22 janvier 1921 de Percy Farrar, Président de l’Alpine Club : « Il semble qu’une tentative sera vraiment faite à l’Everest cet été. Les hommes devraient partir début avril et rentrer en octobre. Une envie[21] ? » Il hésitait encore. Il lui fallait se décider lui-même et aussi convaincre son épouse, Ruth. Finalement, une discussion avec Geoffrey Young, ami de longue date de Mallory, avec qui il effectua de nombreuses ascensions, décide de son avenir dans l’Himalaya … « Elle lui a dit d’y aller. »

Le 10 février 1921 Mallory confie à Young : « Je viens de me décider pour l’Everest… C’est sans doute une étape très importante pour moi… ».

« Deux mois plus tard, George Mallory voguait vers l’Inde …[22] »

L’expédition de 1921

L’expédition britannique pour la conquête de l’Everest était diversifiée et comptait sur ce qu’il y avait de plus compétent scientifiquement dans tous les domaines : l’exploration géographique, la botanique, l’anthropologie, la médecine, la photographie … tous alpinistes passionnés, à des degrés de pratique et compétence variables

Avant d’aborder l’action elle-même, les trois tentatives pour conquérir l’Everest, Wade Davis nous entraîne en même temps, comme il est logique, vers les populations du Tibet que ces premières expéditions ont engagées dans une aventure hors du commun qui va bouleverser leurs habitudes et les ouvrir sur la réalité occidentale non sans troubles ni inquiétudes. Mais n’en a-t-il pas toujours été de même dans les « chocs de civilisations » qui ont marqué l’histoire des cinq continents ?

Parmi les nations qui ont transplanté à distance de l’Europe une certaine vision de l’occident et du monde, l’Angleterre occupe une place vraiment originale dont le XXI° siècle porte toujours les stigmates. Il ne s’agit pas de prendre position pour ou contre une vision particulière mais de vouloir comprendre comment s’est construit l’Empire britannique avec toute son idiosyncrasie.

Ainsi ces expéditions ont-elles permis de pénétrer dans des territoires inexplorés et d’entrer en contact avec des populations, des cultures, des coutumes jusque-là peu connues voire inconnues.

Au cours de la première expédition (1921) dans un chapitre curieusement intitulé « La cécité des oiseaux », Wade Davis nous introduit dans ce que j’appellerais l’âme tibétaine et le bouddhisme qui devient la religion du Tibet à partir du VIII° siècle. C’est ainsi que, en même temps que l’expédition avance pour découvrir le massif Himalayen et ouvrir la voie vers l’Everest, ses membres découvrent les traditions qui en font toute l’originalité. Il faut accepter de sortir d’une vision un peu trop schématique voire simpliste de l’histoire du Tibet, qui soit plus respectueuse de la vérité historique et moins marquée par les idéologies contemporaines. On en respectera d’autant plus son authenticité. On ne va pas dans un pays pour le regarder avec des œillères ni des lunettes déformantes. Il est toujours intéressant d’observer les civilisations telles que nous les connaissons aujourd’hui sans extrapoler. On peut toujours apprendre de l’analyse de ce que l’on observe dans une civilisation déterminée en la mettant en parallèle avec d’autres sans en tirer de conclusions hâtives et surtout définitives. La civilisation n’est pas un moule dans lequel l’humanité est formatée mais l’humanité peut évoluer et les échanges sont toujours possibles entre les cultures. Il est vrai que les premières expéditions ont été confrontées à l’ésotérisme compliqué et mystérieux de la religion des Tibétains : les moulins à prières, la répétition litanique du mantra de compassion « Om maṇi padme hūm », les drapeaux de prière jaune, rouge, blanc, vert, bleu … Tout un rituel de sons et d’images auquel nous ont habitués les récits et reportages de toutes les expéditions himalayennes.

S’il apparaît capital de ne pas passer à côté de cet aparté religieux c’est que l’Himalaya, et notamment l’Everest, représentent pour les Tibétains des « lieux  saints ». A titre d’exemple Guru Rinpoché[23], fondateur du bouddhisme tibétain au VIII° siècle, avait transmis comme « message » pour guider les pèlerins s’avançant dans ces « territoires sacrés » cet avertissement : « … Faites que votre vision soit aussi haute que le ciel… que vos actes soient héroïques et confiants… Si vous n’agissez pas comme vous je vous le conseille, vous disgracierez le Bouddha[24]… »

Parallèlement à ces rencontres avec la spiritualité des lieux, l’expédition était aux prises avec les difficultés du terrain. Il est impressionnant de lire le luxe des descriptions dévolues à chacun des membres selon sa spécialité. On a aussi parfois du mal à suivre le trajet avec les allers et retours des groupes qui se forment au gré de la progression d’un camp à un autre. La simple lecture de ces détails descriptifs donne une idée de la précision et du travail qu’a supposé la rédaction des comptes rendus dans les conditions de haute altitude et sans les moyens électroniques d’aujourd’hui.

Une mention particulière doit être faite des lettres de Mallory à son épouse, Ruth, écrites, on peut l’imaginer, avec les moyens du bord, dans le froid, après des journées exténuantes.

Plusieurs circonstances ont compliqué les trois premières grandes expéditions britanniques. La méconnaissance de l’Himalaya, en dépit des explorations antérieures qui avaient effectué des relevés cartographiques de la région, et la situation géopolitique. Sans entrer dans les détails, l’Empire britannique s’est trouvé confronté à des conflits locorégionaux d’envergure dans lesquels il a été engagé avec les pays voisins, l’Inde et la Chine mais aussi les pays qui se partagent le massif himalayen : le Tibet où se trouve l’Everest, le Sikkim, le Népal, le Bhoutan. « La paix (de 1918) avait accouché du chaos, le monde de sa jeunesse tombait partout en ruines[25]. » Des bavures inacceptables ont été commises : en avril 1919, le massacre d’Amritsar qui outre son commanditaire, le général Reginald Dyer, a couvert de honte les autorités de l’Empire, mais a été malheureusement salué comme un haut fait d’armes par des personnalités reconnues comme Rudyard Kipling. « L’ombre d’Amritsar a fait pâlir le beau visage de l’Inde[26]. C’était le début de la fin du Raj[27], même si bien peu, à cette époque, en étaient conscients[28]. »

Avec les premières grandes expéditions himalayennes se pose la question de l’accès à l’Everest sous plusieurs rubriques : politique, géographique, humaine…

A l’arrivée des premiers Britanniques de l’expédition de 1921, « si le paysage était accueillant, la population ne l’était pas. Personne n’avait vu d’européen[29]. Ils pénétraient dans un des endroits les plus beaux et les plus sacrés du Tibet… Les Tibétains considéraient la vallée comme un gigantesque mandala[30]… »

Les Britanniques avaient déjà une certaine expérience des hommes qu’ils rencontraient dans les pays où l’Empire s’était déjà établi. Mais ils arrivaient ici avec des objectifs particuliers, dans une région en grande partie inexplorée et de plus ils étaient confrontés à la nécessité de transporter un matériel lourd sur de grandes distances, en l’absence de toute possibilité de transport « automobile » d’autant qu’il n’y avait évidemment pas de route. Les questions qui se posaient étaient le choix des hommes pour des fonctions diverses : des porteurs, des chefs capables de commander des hommes, des interprètes, des cuisiniers … dont il fallait comprendre la langue, l’esprit, les capacités physiques et mentales…

Tous les membres de l’expédition n’avaient pas la même sensibilité ni les mêmes capacités de compréhension à l’égard des populations. Il fallait aussi tenir compte de la spiritualité qui était la leur ainsi que de l’influence qu’avaient sur leur comportement leurs croyances et aussi les moines des monastères.

La première expédition terminée les membres se dispersent, chacun selon ses obligations.

Mallory avait eu l’idée de « ramener en Angleterre un porteur de l’expédition, Nyima, et en faire un domestique ». Il écrit à Ruth : « Je ne sais pas quel âge il peut avoir, environ 18… Il a un caractère parfait pour ce que je lui proposerais de faire. Il s’occuperait bien sûr de tous les travaux de l’arrière-cuisine et du nettoyage des sols, de porter le charbon, de couper le bois, d’allumer le feu dans la cuisine… Il porterait ce qu’il y a à porter -c’est un coolie[31] dont le travail est de porter-, … Il pourrait habiter dans une partie de la cave ou dehors dans la remise à charbon. … Eh bien, c’est un animal propre[32]… »

… On pourrait mieux faire comme fair-play que « cette proposition un peu dérangeante [33]».

Le bilan de la première tentative est très positif mais contrasté. De cette première expédition des enseignements précieux ont été tirés à partir des relevés topographiques complétées par des photographies[34]. Le récit de Wade Davis fourmille d’informations très circonstanciées et détaillées. Il est parfois difficile de s’y retrouver mais cela témoigne d’une relation d’une haute précision et d’un journal rigoureusement tenu des étapes de la progression. Par comparaison il faut bien admettre que les moyens de communication d’aujourd’hui, pour performants qu’ils soient, manquent de cette authenticité que donne, même a posteriori, une rédaction classique. Il ne manque pas de notes personnelles qui rendent compte de frictions des personnalités qui s’affrontent parfois avec une brutale dureté.

Une autre conclusion de l’expédition de 1921 est la rugosité qui s’est instaurée dans les relations entre les membres de l’expédition et les moines tibétains. Une opposition farouche d’une faction de moines tibétains s’est levée. Le motif en est le comportement de certains membres qui contrevenait aux modes de pensée propres des moines à l’égard de la nature : les animaux, la flore, les relevés topographiques au Tibet. Pour des motifs de « conviction religieuse » les moines du Tibet sont restés réticents vis-à-vis des expéditions. Les informations sont remontées auprès des autorités diplomatiques en place et notamment de l’ambassadeur spécial au Tibet, Charles Bell. Ces différends ne sont pas négligeables dans l’optique des futures expéditions envisagées après cette première qui n’a pas atteint son objectif, l’intérêt étant intact autant que le prestige au plus haut point de l’aventure himalayenne britannique.

Il faut aussi mentionner que cette expédition a vu disparaître l’un de ses membres éminents, le Docteur Alexander Kellas. Et Mallory de conclure : « Nous ne devons pas oublier que la plus haute montagne est capable de sévérité, une sévérité si terrible et fatale que les hommes avisés feraient bien de réfléchir et de trembler avant de franchir la seuil de cette formidable entreprise[35]. »

L’expédition de 1922

La recherche de nouveaux membres est l’occasion pour Wade Davis de nous replonger dans le contexte historique et la fureur de la guerre de 14-18. C’est aussi l’importance des conclusions tirées quant à la difficulté de s’adapter à la très haute altitude qui conduit à la suggestion de faire appel à des technologies nouvelles (pour l’époque) : le recours à l’oxygène. C’est l’innovation de l’expédition de 1922, qui doit beaucoup à Alexander Kellas, resté dans la paix de sa tombe « sur un coteau, juste au sud de Khampa Dzong, dans un endroit qui dominait les plaines du Tibet et donnait au loin, sur la grande muraille de l’Himalaya[36] ». Le docteur Kellas avait étudié l’influence de l’oxygène avant et pendant la guerre, et il était déjà connu que l’homme n’absorbait qu’une proportion réduite de l’oxygène raréfié dans l’atmosphère en haute altitude. On savait aussi par expérience que cette privation d’oxygène était cause d’un affaiblissement des capacités physiques et de la résistance et pouvait avoir pour conséquence une pathologie connue comme le « mal aigu des montagnes » dont la manifestation la plus grave et potentiellement hautement mortelle est l’œdème cérébral. Ainsi, mais avec des avis très partagés, l’assistance par l’oxygène s’est invitée dans le débat. Certains y étaient franchement opposés comme A. Hinks « seuls des vauriens se serviraient d’oxygène[37] » et Mallory lui-même en parlait comme d’une « hérésie condamnable[38] ». C’est la première fois que John Noel parle du « monde mort de l’Everest[39] ». Mais pour utiliser l’oxygène il était nécessaire de disposer d’un appareillage adéquat portatif, de bouteilles en acier et d’un masque. La curiosité était que « le problème était moins technique qu’esthétique[40] ».

Il faut lire Wade Davis raconter avec minutie… comme s’il y était, l’expédition de 1922 qui vit les alpinistes G. Finch et Mallory arriver au pied des ultimes difficultés de la pyramide sommitale de l’Everest. Le record d’altitude, jusque-là détenu par Louis-Amédée de Savoie, Duc des Abruzzes[41] avec 7698 m est battu avec 8230 m.

La première expédition nous avait déjà mis en présence des difficultés de tous ordres. En 1922 les ascensionnistes sont aux prises avec des obstacles liés aux conditions extrêmes de l’altitude : le froid, le matériel peut-être très perfectionné pour l’époque mais très insuffisant tant pour le vêtement, la nourriture, la protection contre des vents en furie … qui dépassent l’entendement à la lecture. Le récit est haletant … presque un thriller psychologique.

Et alors que l’expédition de 1922 est confrontée à des difficultés hors normes … Londres s’impatiente du manque de nouvelles !

Cette deuxième expédition est malheureusement endeuillée par la perte de sept Sherpas emportés par une avalanche qui précipite son terme. Le 5 juin 1922, vers 13h30… La précision d’un journal de bord, … la « boite noire » de l’expédition ! Une épreuve pour tous. Malllory, dévasté, écrit : « Je suis très abattu par l’accident. Sept de ces hommes braves ont été tués, qui ignoraient  totalement les dangers de la montagne. Comme des enfants confiés à nos bons soins. C’est ma faute[42] ». H. Somervell quant à lui éprouve un sentiment d’injustice : « Je me souviens très bien des pensées qui me tenaillaient. N’avaient été tués que des Sherpas et des Bhotias -pourquoi, oh pourquoi aucun de nous, les Britanniques, n’avait-il partagé leur sort ? J’aurais été heureux à ce moment-là d’être avec eux, mort dans la neige. Ne serait-ce que pour donner à ces bons gars qui avaient survécu le sentiment que nous partagions leur perte comme nous avions partagé les risques[43]. »

NB : Les Bothias sont les populations tibéto-birmanes du Sikkim, du Bouthan et de Népal

Ainsi se terminait tragiquement l’expédition de 1922. Chacun rentrerait chez lui avec le goût amer de l’échec. Ils n’en sortiraient pas tous indemnes physiquement et psychologiquement. Le Docteur Tom Longstaff[44] confiait avec une certaine amertume : « Au nom du ciel, grimpez cette diablerie, et revenons à l’alpinisme[45] ».

De 1922 à 1924

La catastrophe de la mort de sept Sherpas est très durement vécue. Longstaff très éprouvé aura des mots très durs : « Mallory est un gamin très courageux, il n’est pas fait pour être responsable, même pas de lui-même. Somervell[46] est le jeune le plus mondain et le plus vaniteux que je connaisse. Il était prêt à risquer sa vie à la moindre chance de succès[47] ». Sans doute Longstaff pousse-t-il un peu trop loin la critique mais il manifeste la lucidité que tous avaient quant aux risques qu’ils couraient eux-mêmes et faisaient courir à d’autres.

Theodore Howard Somervell[48]

 (British, 1890–1975)

Everest from the Western Cwm, 1944

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Theodore Howard Somervell[49]

 (British, 1890–1975)

Kangchenjanga above the clouds

L’après 1922 reposa une nouvelle fois la question : à quand une nouvelle expédition ?

Le bilan restait à dresser sur tous les plans : financier, humain, psychologique, …

Il restait à promouvoir l’enseignement à tirer des deux expéditions pour envisager une suivante. Les expériences, les documents notamment photographiques, ont été mis à contribution pour des séries de conférences. Après s’être férocement opposé à Arthur Hinks au sujet des droits à utiliser les documents photographiques, Mallory entreprit une tournée de conférences aux États-Unis et au Canada. Il décrit New-York « un geste magnifique tracé dans un grand vide[50] ». Un jour qu’on lui a demandé pourquoi il voulait gravir l’Everest, il répond : « Because it’s there !51] ». Toujours à propos de l’Everest il écrit : « L’Everest est la plus haute montagne du monde et aucun homme n’en a gravi le sommet. Son existence est un défi. La réponse fait partie, je suppose, de la part instinctive de l’homme de conquérir l’univers[52] ».

La prochaine expédition se profilait en 1924

Un tournant de l’histoire de l’alpinisme se dessine quand les tournées de conférences et de projections des films des deux précédentes commencent à devenir rentables.

« La conquête du point culminant du globe passait de l’aventure impériale à l’entreprise commerciale[53] ». 

Comme pour les précédentes allait se poser la question du choix des participants.

Sans entrer dans les détails du casting, l’issue de la troisième expédition reposera a posteriori des questions sur sa pertinence.

Le choix de Sandy Irvine, 22 ans, peut sembler étonnant : son jeune âge, son expérience limitée de la montagne. Les critères qui l’ont emporté pour son choix sont ses capacités physiques naturelles et son endurance que Noel Odell avait pu tester dans une expédition universitaire au Spitzberg. La Grande Guerre une fois de plus s’invite dans l’histoire. Contrairement aux autres, Irvine n’avait pas connu la guerre qui s’est terminée quand il avait 16 ans. Un de ses cousins était mort en France. Son frère avait été gravement brûlé au cours d’une explosion pendant les combats. Les autres candidats proposés avaient soit perdu un proche soit participé aux combats. La jeunesse d’Irvine était une sorte d’exorcisme des horreurs de 14-18. De plus, il démontrera des qualités d’inventivité et de bricoleur génial avec les appareils à oxygène qu’il était prévu d’utiliser en haute altitude.

Noel Odell, le photographe, a fait preuve d’innovation avec les pellicules, les appareils, les objectifs et toute une technique permettant de prendre des photographies et de réaliser des films d’une qualité exceptionnelle pour l’époque et dans les conditions d’altitude extrême.

L’expérience des deux expéditions antérieures avait aussi été exploitée pour l’intendance. La planification avait été ajustée pour éviter la mousson qui avait causé tant de dégâts en 1922. Il ne manquait pas de l’original de service, Edward Shebbeare : naturaliste, polyglotte. « Il était et sera toujours un bourreau de travail, et avec lui l’inconfort ne compte pas[54]. »

Le chef d’expédition initial, le Général Charles Bruce, dut renoncer sur place. Il est remplacé par Edward Norton. Charles Bruce avait en 1922 rédigé une dépêche laconique : « Il n’y a qu’une seule règle dans l’Himalaya. Si tu as un doute, n’y va pas[55] ».

Il renonçait pour raison de santé. L’expédition était prête pour la troisième tentative.

Dès le début de la troisième expédition les conditions climatiques sont très rudes, épouvantables, à la limite du supportable. Des températures polaires avec du vent qui souffle en tempête. Manque de nourriture, nuits sans sommeil, parfois sans abri. Les allers et retours entre les différents camps imposent un travail considérable, source de fatigue jusqu’à l’épuisement. Les Sherpas, pourtant déjà naturellement conditionnés aux circonstances sont mis à rude épreuve : gelures, mal des montagnes, … Deux d’entre eux meurent. Wade Davis écrit, d’après les informations recueillies, à propos de la mort de l’un d’eux, Mandabahadur : « il avait perdu toute sensibilité jusqu’à hauteur des hanches, et ses pieds étaient noirs et putrides. Il tint deux semaines avant d’expirer le 25 mai, victime, en un sens, de l’obsession du sommet de Mallory ou, tout au moins, du fait qu’il n’avait pas veillé à l’équipement des porteurs du camp III[56]   ».

Une cérémonie religieuse tibétaine rituelle est organisée au monastère de Rongbuk. Les sahibs britanniques y participent. « Le lama dit aux porteurs d’obéir aux Britanniques et de travailler dur sur la montagne ; il leur assura qu’il prierait pour eux. » Le Docteur Hingston commente : « De notre point de vue c’était le principal objet de la cérémonie, car les porteurs étaient découragés par les dures épreuves qu’ils avaient traversées[57] ». Les alpinistes qui assistent à la cérémonie expriment des sentiments très divers : Mallory ne la mentionne même pas dans un courrier à Ruth. John Noel la filma du haut d’un toit. Sandy Irvine observe avec une curiosité bienveillante. Bruce et Norton sont satisfaits qu’elle ait réconforté les porteurs. « Mais une incertitude habitait secrètement les hommes de l’expédition… Nos forces, dit Somervell, avaient été considérablement réduites, et au lieu d’être forts et en forme comme pour l’ascension de 1922, nous étions faibles et presque invalides[58] ».

L’expédition prit des risques insensés ! Le récit montre que les conditions et le froid intense rendaient l’expédition presque inhumaine. En 1924 l’expédition tient de la folie tant les conditions sont éprouvantes au physique et au moral. Il est admirable de lire ce récit riche de détails qui laissent quand même admiratif le lecteur : quand et comment les protagonistes ont-ils écrit leur «rapport» d’expédition ? La volonté d’aller jusqu’au bout tient de l’entêtement voire de l’orgueil de ne pas renoncer. Et tout cela pour l’honneur de l’Empire ! Les alpinistes sont de plus en plus conscients que l’entreprise est à très haut risque … la mort presque la seule issue. Dans de telles conditions il est vraiment héroïque d’avoir laissé des témoignages écrits, des lettres ! « Les alpinistes admiraient les Sherpas, mais ils ne faisaient guère d’efforts pour comprendre leur monde. Younghusband[59] avait dit un jour que vivaient au pied de l’Everest des centaines de Tibétains qui auraient pu gravir le « sommet d’une année à l’autre ». Or le fait est qu’ils ne le font pas. Ils n’en ont même pas le désir. Ils n’ont pas l’esprit[60]. »

Quel contraste entre le physique des Sherpas et le mental des anglais qui fait comprendre pourquoi les seconds veulent atteindre un sommet que les premiers seraient mieux à même de gagner !

Quelques-uns cherchent à mieux comprendre l’âme tibétaine. « De tous les membres de l’expédition, c’est le bon docteur Hingston qui sentait le mieux ce qu’il pouvait y avoir de sublime dans la façon d’être des Tibétains[61]. » Il fait une rencontre surprenante : un ermite dans « un ermitage authentique mais bien triste, dans des montagnes froides et désolées, à 5200 mètres d’altitude. … Il considère sans doute notre tentative de gravir le mont Everest comme nous considérons son incarcération. Nous nous regardons mutuellement comme des êtres futiles et ridicules, mais nous avons pourtant un même mérite et nous sommes d’une valeur égale…[62] ».

La fin de cette expédition a des airs de Bérézina.

Le contexte fait ressortir des descriptions parfois burlesques tel l’accoutrement de Norton : « … Je portais une veste et des culottes de laine, une épaisse chemise de flanelle et deux pulls sous un knickerbocker léger en gabardine coupe-vent… une paire de chaussures de feutre et de cuir, dont la semelle était équipée des habituels clous Alpine. Je portais par-dessus tout cela une gabardine coupe-vent « Shackelton » de chez Burberrys…. Un énorme cache-nez en laine complétait mon costume[63] ».

On comprend la surprise à la découverte du corps de Mallory en 1999 et les conclusions de Reinhold Meissner[64].

La photographie de couverture du livre, l’expédition de 1924, cliché de John Noel, est la meilleure illustration de cette description qui a quelque choses de joyeusement comique. A noter le sourire communicatif de Sandy Irvine.

L’expédition de 1924 photographiée par John Noel 

Il faut saluer l’exploit du photographe « officiel » pour saisir des clichés en 1924 à 8000 mètres d’altitude.

Les dernières images de Mallory et Irvine captées par la pupille d’Odell sont « un petit point noir qui se profilait sur une petite crête de neige sous un ressaut rocheux de l’arête ; le petit point noir bougeait. Un autre point noir est devenu visible et est monté dans la neige rejoindre l’autre sur la crête[65].» La suite est écrite au conditionnel.

« En quittant le camp, Mallory et Irvine auraient mis leurs masques… Leur route les aurait menés le long d’une diagonale ascendante juste en-dessous de la crête de l’arête nord-est…. A partir de là ils auraient pu traverser pour suivre la voie de Norton dans le couloir ou continuer jusqu’à l’arête. Mallory, naturellement choisit l’arête…. Derrière … le premier ressaut, l’arête nord-est continue à monter jusqu’au deuxième ressaut… Une fois ces ressauts surmontés, la voie jusqu’au sommet est ouverte et dégagée, sans obstacle sérieux, mis à part l’épuisement, l’altitude et l’exposition[66]  

Nous sommes le 8 juin 1924.

Pour aller plus loin : https://i.guim.co.uk/img/static/sys-images/Observer/Pix/pictures/2013/11/22/1385159900576/George-Mallory-and-Andrew-006.jpg?w=620&q=55&auto=format&usm=12&fit=max&s=6a1fae0a57915470d3097a8a9d4417e9

« Le dimanche 15 juin, Norton fit brûler le surplus de vivres et de matériel. En début de soirée, les alpinistes et les porteurs se réunirent tous autour d’un cairn commémoratif. C’est un monument…, où étaient gravés les noms des morts : 1921 Kellas, 1922 Thankay, Sangay, Temba, Lhapka, Pasang Namgyn, Norbu et Pema ; 1924 Mallory, Irvine, Shamsherpun et Manbahabur. Il se dressait sur une moraine, la face nord de l’Everest en arrière-plan. »

Avant de quitter cette vallée du versant tibétain de l’Himalaya, certains « se glissèrent dans la salle de prière au milieu d’un service religieux dans le monastère de Rongbuk. … Nous ne pouvions comprendre un mot de ce qui était dit. C’était un accord instinctif avec le sérieux de leur consécration[67]… »

« Il était assez facile de comprendre que la mort est le prix de la vie, et que, pourvu que le paiement soit acquitté promptement, l’échéance n’a pas d’importance. Il y avait là-haut, quelque part, dans cet immense espace de glace et de roc, deux formes immobiles. Hier, avec toute la force de leur volonté d’une virilité parfaite, ils jouaient à un jeu grandiose : au rêve de leur vie[68]

Epilogue

Trois expéditions … Trois échecs ?

D’abord quelques mots du contexte dans lequel se déroule l’annonce. Le légendaire flegme britannique peut-il expliquer voire excuser la froideur avec laquelle la nouvelle est reçue et transmise ?

19 juin : « Comité profondément désolé reçu mauvaises nouvelles expédition Everest Norton câble ce jour votre fils et Mallory tués dernière ascension reste rentre sauf Président et comité offrent profonde sympathie Hinks[69]. » Télégramme adressé à la famille de Sandy Irvine.

Le même télégramme, en inversant simplement l’ordre des noms, est adressé à Ruth Mallory. L’édition du Times relate la nouvelle. La veille un journaliste lui avait rendu visite pour éviter à Ruth « le choc et la honte d’apprendre la mort de son mari[70] ».

Les grands journaux rendent compte de la nouvelle dans un langage qui rappelle celui d’une guerre : « Tragédie au Mt Everest … » dans le Times, « Mallory et Irvine tués dans l’assaut final » Daily Graphic, « L’effroyable tragédie » The Sphere … ou encore « Le combat avec l’Everest », « Un triomphe déjoué par la mort », « La bataille de l’Everest : le lourd tribut de la montagne ».

On a l’impression que c’est tout l’Empire lui-même qui exprime le dépit… voire un sentiment d’humiliation devant la « défaite ». Jusqu’au roi George V qui salue l’héroïsme « des deux courageux explorateurs[71] ».

Mais l’émotion passée il restait une question : « Irvine et Mallory étaient-ils morts pendant l’ascension ou pendant la descente ? Avaient-ils conquis leur ultime objectif ou étaient-ils disparus dans le vide sans atteindre ce que Mallory appelait « le sommet de nos désirs[72]? » 

Les membres de l’expédition avaient eu le temps de méditer sur les faits et avaient convenu de retenir l’hypothèse d’une chute fatale. Seul Odell, qui avait vu « les deux points noirs » quand il se trouvait lui-même à 600 m au-dessous de l’arête, voulait se persuader d’une fin glorieuse. « Il aimait à croire que Sandy Irvine, son jeune protégé ne gisait pas, sanglant et brisé, sur les rochers du Rongbuk, mais le corps intact, enveloppé et engourdi par le froid, son aîné à ses côtés. … Ils s’étaient évanouis dans un monde connu d’eux seuls[73]. »

Et aujourd’hui ?

Peut-on parler de catastrophe ? Les victoires sont parfois teintées de la couleur rouge du sang mais c’est le don que l’homme fait à la nature… celui de sa vie. Pour une goutte de sang versé quand l’aventure humaine a été grandiose et à la mesure de cette nature qui le dépasse sans l’anéantir, il n’y a ni vainqueur ni vaincu mais deux adversaires qui se serrent respectueusement la main.

Il y a des « défaites » qui valent bien des victoires.

Le 17 octobre 1924 fut l’occasion d’une « catharsis nationale ». « Le roi George V, le Prince de Galles, le duc d’York et le duc de Connaught se joignirent à une foule endeuillée à la cathédrale Saint-Paul. L’éloge funèbre rendu par l’évêque de Chester reprend la dernière vision d’Odell : « C’est la dernière fois que vous les avez vus, et la question de savoir s’ils ont atteint le sommet reste encore incertaine ; elle sera résolue un jour. … Cette dernière ascension, et le beau mystère de sa grande énigme, représente bien davantage qu’un effort héroïque pour gravir une montagne, fût-ce la plus haute du monde[74] ».

Mallory and Irvine Memorial at Chester Cathedral

Il est regrettable que l’exploitation cinématographique malencontreuse des expéditions et notamment de la dernière, tourne à l’incident diplomatique avec le Tibet car la vision folklorique des cérémonies tibétaines, à juste titre, scandalise les autorités religieuses.

Un impact non négligeable de l’évolution politique dans la région a ruiné la possibilité de mener à bien les réformes envisagées au Tibet. Elles ne purent avoir lieu, la Chine envahit le Tibet en 1949 et anéantit l’idée d’un Free Tibet. La principale conséquence pour les futures expéditions sera la fermeture de l’accès à l’Everest par la face Nord, sur le versant tibétain. Ainsi depuis le début la conquête du plus haut sommet est-elle conditionnée à la géopolitique. Un symbole ?

Et si l’Everest avait d’emblée été accessible par le Népal ? …

Et on connaît la fin … qui n’est qu’un nouveau commencement, de l’histoire : le 29 mai 1953, E. Hillary et Tenzing Norgay sont au sommet de l’Everest. L’événement est provisoirement occulté par un autre sommet, politique toujours, et aussi médiatique : le couronnement de la reine Elisabeth II.

https://secure.i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/02574/everest-sherpa-hil_2574399c.jpg

En 1999 la découverte et l’identification formelle du corps de G. Mallory relance le débat. A la suite de cette découverte des himalayistes patentés avec des moyens autrement performants et les techniques actuelles estiment peu probable la conquête de l’Everest en 1924. D’après les observations qui ont pu être faites sur le corps identifié comme étant celui de G. Mallory, il s’est fracturé la jambe et peut-être le crâne.

On peut retrouver dans d’excellents articles les dernières conclusions : http://www.alanarnette.com/blog/2013/02/27/everest-2013-the-continuing-search-for-malloy-irvines-camera/ – http://montagne.glenatlivres.com/livre/mallory-irvine-9782723433402.htm – http://articles.latimes.com/2010/aug/08/entertainment/la-ca-conversation-20100808[75]

« La mort est une barrière si fragile ici que nous la traversons vaillants et souriants chaque jour[76]. » Ils avaient si souvent vu la mort que la vie leur importait moins que le moment où ils se sentaient vivants[77]. »

Laissons le dernier mot à George Mallory :

« On doit vaincre, réussir, gagner le sommet ; il faut connaître la fin pour savoir qu’on pourra y arriver, qu’il n’est pas de rêve qu’on ne puisse tenter de réaliser. Est-ce là le sommet qui couronne une journée ? Comme il est frais et calme ! Nous n’exultons pas, mais nous sommes ravis et joyeux, gravement étonnés. Avons-nous gagné un royaume ? Aucun, sauf nous-mêmes. Nous avons atteint à une satisfaction complète, accompli une destinée… Lutter et comprendre, jamais l’un sans l’autre, telle est la loi. Ainsi nous n’avons fait qu’obéir à une loi ancienne ? Oui, mais c’est la loi suprême et nous comprenons un peu plus[78]. »

Et signalons pour terminer et aller jusqu’au terme de l’aventure d’écriture de Wade Davis l’excellente bibliographie annotée digne d’une thèse scientifique qui est une mine d’informations. J’en extrais seulement une : on doit à J. Nehru la création à Darjeeling du HMI, Himalayan Mountaineering Institute[79] dès les premières ascensions britanniques.

… et un index très complet des noms de personnes, de lieux, d’institutions avec, pour les personnes les plus importantes, les références paginées des événements marquants.

Les soldats de l’Everest, Mallory, la Grande Guerre et la conquête de l’Himalaya, Les Belles Lettres : un Everest littéraire ? Peut-être ! En tout cas un des 8000 mètres de l’Himalaya en littérature de montagne.

Calamus

2018-04-02

[1] M : Mallory

[2] I : Irvine

[3] p. 436 Noel Odell in Journal écrit sur place quelques jours après le 8 juin 1924. Il est remonté jusqu’au dernier camp (VII) d’où sont partis Mallory et Irvine.

[4] p. 157-158

[5] p. 13 Manuel Cavalry Training, 1907

[6] p. 161

[7] Francis Edward Younghusband était un lieutenant-colonel de l’armée anglaise et un explorateur. Il est connu principalement pour ses périples en Extrême-Orient et en Asie centrale et leur relation. Son nom est attaché à celui de l’expédition militaire britannique au Tibet de 1903 à 1904 qu’il conduisit en tant que Commissaire aux affaires de la frontière tibétaine (Commissioner for Tibetan Frontier Matters), et au massacre de soldats tibétains qui se produisit à Guru.

[8] p. 100

[9] G.N. Curzon p. 39

[10] ibidem

[11] ibidem, p. 48-49

[12] ibidem, p. 63

[13] Mort en 1921 au cours de la première expédition

[14] Sherpa signifie peuple venant de l’est. Les Sherpas sont originaires du Kham, une province située dans le sud-est du Tibet. Arrivés au Népal vers le milieu du XVIe siècle, ils se sont installés dans la région de l’Everest. Ils ont conservé l’essentiel de leur culture tibétaine et parlent un dialecte issu de la famille des langues tibéto-birmanes. http://www.zonehimalaya.net/Sherpa/sherpa.htm

[15] ibidem, p. 64

[16] p. 65 A. Kellas, à A.F.R. Wollaston, 22 février 1916

[17] Membre de l’expédition, le réalisateur et explorateur aguerri John Noel était spécialement équipé de caméras et de téléobjectifs conçus pour filmer à des altitudes jamais atteintes. Le documentaire étonnant qu’il tira de ces prises de vues si chèrement obtenues est un vibrant hommage à l’ambition des deux alpinistes ainsi qu’à l’invaincue et majestueuse montagne. Mais au-delà du compte rendu de l’exploit de ses compatriotes, John Noel fit preuve d’un talent exceptionnel en filmant les Tibétains et le monastère de Rongbuk, nous délivrant des images d’une rare valeur ethnographique.

[18] p. 70-71

[19] p. 104

[20] p. 135

[21] p. 162

[22] p. 162

[23] Encore connu sous le nom de Padmasambhava, le Maître des maîtres, « né lotus » a été déifié par le peuple tibétain

[24] p. 205

[25] p. 238

[26] Duc de Connaught, frère du roi Edouard VII

[27] Le Raj britannique, –British Raj (l’Empire britannique en anglo-hindi)- est le régime colonial britannique que connait le sous-continent indien de 1858 à 1947

[28] p. 238

[29] p. 240

[30] p. 242 Mandala : terme sanskrit signifiant cercle, et par extension, sphère, environnement, communauté. Dans le bouddhisme, il est utilisé surtout pour la méditation.

[31] Coolie : Asiatique qui s’engageait comme travailleur salarié dans une colonie

[32] p. 264-265

[33] p. 264

[34] http://www.everest1953.co.uk/1921-1953

[35] p. 299

[36] p. 184

[37] p. 311

[38] idem

[39] idem

[40] cf. p. 313

[41] En 1909, il tente le K2 (8 611 m) au Pakistan, atteint 6 600 m d’altitude, avant de devoir changer son objectif. Il se retourna vers le Chogolisa, culminant à 7 665 m, où il fut stoppé à 7 498 m d’altitude par le mauvais temps, le 17 juillet 1909. 

[42] p. 360 Lettre à F. Younghusband

[43] p. 358

[44] Grand voyageur, Tom George Longstaff a l’occasion entre autres de visiter vingt fois les Alpes, six fois l’Himalaya, cinq fois l’Arctique, deux fois les montagnes Rocheuses et une fois le Caucase. Ainsi, en 1909, il visite la partie orientale du Karakoram, traverse le Saltoro et découvre le glacier de Siachen et le groupe du Teram Kangri (7 462 m). Dans le Caucase, il effectue bon nombre de premières. En 1922, il est chef-adjoint de l’expédition britannique à l’Everest dirigée par le colonel Charles Granville Bruce

[45] p. 362

[46] http://everestbookreport.blogspot.fr/2012/05/after-everest-by-t-howard-somervell.html

http://mountainworldproductions.com/wp/2014/06/everest-1924-forgotten-chapter.html

[47] p. 364

[48] http://www.mountainpaintings.org/T.H.Somervell.htm

[49] http://www.mountainpaintings.org/T.H.Somervell.html

[50] p. 374

[51] p. 375

[52] p. 375

[53] p. 369 sq.

[54] p. 388

[55] p. 396

[56] p. 410

[57] p. 411

[58] p. 412

[59] En 1903, au cours d’une opération militaire au Tibet, le Colonel Britannique Francis Younghusband s’approcha de l’Everest jusqu’à en apercevoir son versant nord, dont il ramena quelques photos

[60] p. 423

[61] p. 423

[62] p. 423

[63] p. 426

[64] Reinhold Messner, Ma vie sur le fil, Glénat, 2005

[65] p. 436

[66] p. 436

[67] p. 443

[68] p. 444

[69] p. 445

[70] p. 445

[71] p. 446

[72] p. 446

[73] p. 446

[74] p. 449

[75] … sans conflit d’intérêt !

[76] D’après la bibliographie annotée, ces mots sont cités, extraits d’une lettre à sa famille de Billy Grenfell, 25 ans, tué le 30 juillet 1915 dans le nord de la France, à Hooge, dans une charge suicidaire. Son frère Julian, était tombé le 29 mai à Ypres. La  « Grande Guerre » ! Encore et toujours.

[77] P. 459 Les dernières lignes de cet excellent livre.

[78] George Mallory, Alpine Journal, vol. XXXII, septembre 1918

[79] https://hmidarjeeling.com/