Ne pas abandonner celui qui arrive au terme de la route

« Quand je serai mort, ne viens pas sur ma tombe pour me dire combien tu m’aimes et combien je te manque, parce que ce sont des mots que je veux entendre maintenant que je suis vivant. »

En fin de vie toute situation est et sera toujours personnelle. Au mieux, ce qu’une législation pourrait apporter c’est une nouvelle définition de la mort qu’on appellera « le droit à mourir » ce qui est déjà une fausse piste, la mort n’étant ni un droit ni même une condition mais l’inéluctable terme de notre existence.

Certains voudraient ajouter, pour la rendre plus acceptable, « le droit à mourir dans la dignité ».

La seule raison qui autoriserait à partager le concept est que toute fin de vie doit pouvoir se conclure dans la dignité.

La différence radicale dresse cependant un mur infranchissable : la mort ne peut pas être la conséquence d’un geste positif qui donne la mort mais l’évolution naturelle de toute vie en passant par la fin de vie.

Ainsi, si « l’aide à mourir » venait à être inscrite dans l’article L 110-5 du Code de la Santé comme un « droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance », cet article ne valide pas le droit de donner la mort mais au contraire impose de mettre en œuvre tous les moyens disponibles pour accompagner la fin de vie et ces moyens existent : les soins palliatifs.

Une première conclusion : l’offre des soins palliatifs en France est nettement insuffisante. « Les considérations économiques et financières sont insuffisamment prises en compte dans le débat sur la légalisation d’une aide active à mourir. » Ainsi s’expriment le Docteur Alexis Burnod, Yves-Marie Doublet et le Professeur Louis Puybasset dans une tribune du Monde[1].

On pourra à ce stade de la réflexion dresser la liste de toutes les situations où la fin de la vie s’est présentée avec son cortège de douleurs, de souffrances… Le médecin ne se laissera pas tromper par ce catalogue des situations où la fin de vie aura été un traumatisme de plus au terme d’un combat inégal contre la maladie, contre les circonstances imprévues, aggravées par les maladresses, l’impuissance mais aussi parfois l’incompétence de ceux qui devraient accompagner la fin de la vie.

Tous les professionnels de santé – médecins, infirmières, psychologues, tous les spécialistes exerçant dans les centres de soins palliatifs – engagés auprès des patients pour lesquels une proposition de soins palliatifs a été présentée et expliquée, y compris la perspective du décès, sont unanimes pour dire qu’aujourd’hui un patient en fin de vie peut bénéficier de tous les soins qui lui sont dus et que, dans le cadre de la législation actuelle, loi Claeys-Léonetti[2], il est possible d’assurer une fin de vie digne, aux conditions reconnues de la dignité de toute personne humaine[3].

Une remarque s’impose. Les personnes vraiment habilitées à s’exprimer sur la réalité de la fin de vie sont ces personnes qui vivent au quotidien au contact des personnes en fin de vie et quelles que soient leurs conditions. Je poserais la question à tous les promoteurs du « mourir dans la dignité[4] » : combien de fois avez-vous accompagné une personne en fin de vie ? Il est un peu facile d’exprimer sur le papier ou dans des déclarations ou des manifestes son empathie envers les personnes en fin de vie et de noircir le tableau en parlant des douleurs et de la souffrance insupportables. Tous les professionnels engagés dans l’assistance aux personnes en fin de vie ne vous diront pas que cette réalité n’existe pas mais réduire la fin de vie à ce tableau relève de l’imposture.

La dignité, est-elle perdue parce que la personne qui atteint son terme l’accepte simplement ?

La dignité, est-elle valorisée parce que la personne choisit elle-même le terme de sa vie en se donnant la mort ou en laissant un tiers prendre cette responsabilité ?

L’argument de la perte supposée de la dignité humaine qui serait indissolublement liée à la condition de malade en fin de vie tombe de lui-même.

Devrons-nous renoncer pour autant à vouloir, envers et contre tout, accompagner celui qui s’en va avec des gestes simples, des mots simples, … tout simplement une présence, sous prétexte qu’une loi autorise l’aide active à mourir ?

On peut lire dans la version provisoire du projet de loi sur le fin de vie que « le médecin sera chargé de réaliser une évaluation médicale des demandes de « mort choisie ».

Là est tout le bouleversement qui traduit une volonté de révolution anthropologique : « la mort choisie ». Cette conception de « mort choisie » résume à elle-seule la motivation de ceux qui militent pour l’inscription dans la législation de l’aide active à mourir et de l’euthanasie.

Une législation ne changera pas les circonstances ni le fait que celui qui s’en va, s’en va sans qu’on puisse lui promettre autre chose qu’un apaisement qu’un geste létal ne sera jamais capable d’apporter.

Argumenter autour du motif de la douleur réfractaire que personne ne nie, et en particulier ceux qui travaillent au quotidien pour accompagner les patients en fin de vie, est un leurre qui n’a plus de raison d’être. Les témoignages de plus en plus nombreux de ceux qui en arrivent à demander le choix de mourir n’est plus la douleur, peut-être la souffrance parce qu’elle est une composante inéluctable de la fin de vie mais qui est prise en charge grâce au dévouement et à la compétence des personnes qui se consacrent à accompagner la fin de vie. C’est la solitude, voire l’abandon y compris de leurs proches parce que ni celui qui est en fin de vie ni ses proches ne sont accompagnés.

Et si le médecin n’affirmera pas qu’il n’existe pas de douleurs réfractaires, ou plus exactement difficiles à contrôler, on doit aujourd’hui affirmer que nous avons les moyens d’agir autrement que par un geste létal qui en supprimant celui qui souffre ne donnera toujours que l’illusion de supprimer la douleur.

Dont acte : nous combattons à armes inégales et nous sommes vaincus par plus fort que nous : la condition mortelle inéluctable.

Mais nous n’acceptons plus, aujourd’hui, cette contre-vérité de malades en fin de vie abandonnés dans d’atroces douleurs devant le silence coupable des médecins et de tout le personnel qui se dévoue dans les centres de soins palliatifs.

On lit aussi dans la version provisoire du projet de loi :

– que « Le suicide assisté ait obligatoirement lieu en présence d’un soignant ».

– que « L’aide à mourir, c’est-à-dire « l’administration d’une substance létale est « par principe » effectuée « par la personne elle-même. Mais qu’un médecin, un infirmier, ou un proche pourrait jouer ce rôle dans le cas où le malade n’est pas en mesure physiquement d’y procéder ».

Posons-nous sérieusement les bonnes questions pour répondre, avec la conscience de nos limites, à l’interrogation qui nous provoquera un jour ou l’autre : je vais mourir mais comment ?

Le chef du service de réanimation d’un CHU avance qu’un patient peut se considérer en fin de vie très en amont de sa mort théorique et qu’alors l’écoute de celui-ci doit se centrer sur son éventuel « désir d’en finir ». Comment peut-on interposer indûment ce « diktat », car je ne vois pas d’autre mot pour qualifier cette attitude, quand un médecin a décidé lui-même que la personne est morte par anticipation.

Si la législation introduit « un droit à mourir » c’est à une telle attitude sans recours qu’on devra faire face et qui pourra s’y opposer ? De telles situations restent aujourd’hui, toutes proportions gardées, exceptionnelles, mais il est à craindre que même exceptionnelles elles ne deviennent « banales » si les responsables des services se voient couverts par la législation.

Si nous voulons défendre le principe inviolable du respect de la vie jusqu’à son terme naturel, il faut aussi exiger en contrepartie de la part des responsables, en l’occurrence les médecins qui prennent les décisions, le respect de toutes les conditions exigées dans la loi actuellement en vigueur (loi Claeys-Léonetti 2016) et garantes de la liberté du patient en fin de vie : les directives anticipées, la personne de confiance, l’assurance que toute décision sera prise en concertation … et évidemment que l’information médicale soit transmise de façon compréhensible et adaptée, sans attendre l’imminence de la mort, quand les conditions ne sont plus là pour une réflexion sereine.

Je reviens sur la conviction du chef de service de réanimation. Je ne suis pas convaincu que sa position soit la plus optimale pour se prononcer sur la fin de vie, parce que le patient en réanimation n’est pas le prototype du patient en fin de vie tel qu’une législation se propose de l’écrire. Il affirme que « légaliser l’euthanasie et le suicide assisté facilitera grandement son dialogue avec les proches ».

On a l’impression à lire les avocats de la cause de la mort choisie que la fin de vie se résume à quelques heure ou au plus à quelques jours. Cet intervalle de temps, bref, est capital et je n’en doute pas. Mais dans la vraie vie, il est le plus souvent le terme d’un temps long au cours duquel celui qui est malade prend de mieux en mieux conscience de la réalité de sa mort prochaine.

« Jusqu’à la mort accompagner la vie »[5]. Ainsi s’intitule une Fédération dont l’histoire est pionnière dans les soins palliatifs en France. La vraie question et a fortiori la vraie et seule réponse est celle-ci : accompagner celui va nous quitter sans entrer dans une programmation mathématique et l’accompagner jusqu’au bout, être là, être une présence pour tenir la main et non pas la main anonyme qui poussera le piston d’une seringue.

On me permettra un dernière citation :

« On est allé plus loin que cette pression discrète dans le Droit à la mort, (1895). A. Jost s’élevait contre le principe religieux de l’absolu de la vie qu’il juge à la fois inhumain pour le malade et nuisible aux intérêts de la société. En 1934, un pas de plus, c’est Alexis Carrel qui proposait la création d’établissements d’euthanasie pour se débarrasser de façon humaine et économique des gens nuisibles avec comme objectif l’édification d’une élite. [6]»

Et je n’ajoute qu’une date qui poursuit cette citation et on comprendra sans entrer dans le détail : le premier septembre 1939.


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/22/fin-de-vie-comme-observe-dans-certains-pays-ayant-legalise-l-euthanasie-et-le-suicide-assiste-le-declassement-de-l-offre-palliative-serait-en-marche_6178765_3232.html

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000031970253

[3] https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/la-dignite-de-la-personne-humaine

[4] Cf. L’Association pour le Droit à Mourir dans le Dignité (ADMD)

[5] https://www.jalmalv-federation.fr/jalmalv/mieux-connaitre-notre-mouvement/jalmalv-en-2016/

[6] https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2001-2-page-69.htm


Sauvegarder le patrimoine religieux

« Début janvier, sur le plateau de France 5, Roselyne Bachelot a évoqué la nécessité de « raser certaines églises » qui ne présentent selon elle « aucun intérêt notoire » sur le plan patrimonial. Des propos très durs, qui ont cependant le mérite de mettre les catholiques – et les non catholiques – face à leurs responsabilités. »[1]

Je lis dans cet article : « Si la « solution » proposée par Roselyne Bachelot pour la conservation du patrimoine religieux est inadaptée, le diagnostic duquel elle découle n’en est pas moins réaliste. »

Sans doute la solution est-elle inadaptée et aussi mal proposée dans un contexte où le dialogue passe mal entre la sphère profane et la sphère religieuse, mais elle a le mérite d’un réalisme judicieux.

Pour commencer il faudrait dresser un inventaire objectif de ce qui est patrimonial et avant tout définir de quel patrimoine on parle.

D’ores et déjà se démarquent deux conceptions : l’une de l’ordre d’un inventaire architectural et artistique pour déterminer ce qui présente vraiment une valeur patrimoniale et l’autre qui est de l’ordre de la valeur religieuse.

Il sera nécessaire dans ce contexte de mettre les pendules à l’heure et de sortir d’une laïcité enfermée dans un carcan idéologique, positionnée entre un laïcisme sectaire et une religiosité qui confine parfois à une « béatitude sentimentale » qui mériterait d’être revisitée en profondeur.

Il sera évidemment nécessaire de relire les conditions dans lesquelles les édifices religieux seraient à inscrire au titre de « patrimoine » en tenant compte de la législation en vigueur à partir de 1905[2].

Il ne s’agit pas de sauvegarder à tout prix sans considérer le coût parfois exorbitant des travaux qui seraient nécessaires. Entre la destruction sauvage et sans motif et la conservation au risque d’une dégradation inéluctable, il devrait être possible de s’accorder sur un consensus autour de critères clairement définis par des spécialistes compétents et indépendants sans exclure la consultation des instances concernées de la vie civile et des autorités compétentes pour l’utilisation des édifices religieux.

Quant à l’usage des églises et des chapelles, Il faudrait aussi respecter, même s’il ne s’agit pas de monuments de valeur patrimoniale, l’usage de proximité des fidèles et dans la mesure où l’état des lieux n’indique pas un manque de sécurité. Il n’est pas justifié de procéder à un rasage indiscriminé de tous les clochers.

Benoît de Sagazan, directeur de l’Institut Pèlerin du patrimoine[3] souligne avec pertinence que « les églises doivent s’appuyer sur trois piliers : la transcendance, le rassemblement, et le service du bien commun. Si elles répondent à ces trois objectifs, elles vivront, et la question de leur existence ne se posera même plus. Les églises n’ont pas vocation à demeurer des vestiges du passé. »

https://www.canalacademies.com/emissions/a-voix-lue/linstant-poesie/la-vierge-a-midi-un-poeme-de-paul-claudel


[1] https://fr.aleteia.org/2023/02/03/destruction-des-eglises-et-si-roselyne-bachelot-avait-raison/

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000508749

[3] https://patrimoine.blog.lepelerin.com/

Kinshasa 22 août 2008

Le voyage apostolique du pape François à Kinshasa

Extraits

« Jésus souffre avec toi pour que tu trouves la force de pardonner à toi-même, aux autres et à l’histoire, et le courage d’accomplir une grande amnistie du cœur ».

Il est bien conscient qu’il s’adresse à un population meurtrie depuis de longues années par les innombrables souffrances passées et toujours actuelles engendrées par la haine.

Même un tribun hyperactif sur un canal d’inspiration très libertaire et accessoirement plutôt anticatholique[1] reconnaît la valeur des paroles du pape. Il est heureux de noter que l’accord peut toujours se faire sur des points de convergence, malgré la distance des convictions. Je ne partage pas vraiment les positions idéologiques de Daniel Mermet mais pour une fois je suis d’accord avec lui : « VIVE FRANÇOIS ! … le pape, oui ! Non, non, vous ne rêvez pas… »

Et de reprendre le mots-mêmes du pape, prononcés dans les jardins du palais présidentiel : « Ôtez vos mains de la République Démocratique du Congo, ôtez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser ».

Ce discours qui a des accents politiques est tout à fait légitime parce que la voix de l’Église n’est pas muette sur les sujets de société alors qu’une conception étroite de la laïcité voudrait la réduire au silence.

Le pape a dit aussi : « La paix soit avec vous, la paix qui arrive dans les cœurs en ruines ». Et il rappelle que les apôtres se trouvaient dans cet état après la mort de Jésus sur la croix, au Golgotha. « Alors qu’ils ressentent en eux la mort, [Jésus] annonce la vie, la paix au moment où tout semble fini pour eux, au moment le plus inattendu et inespéré, où il n’y aucune lueur de paix ».

« Le Seigneur tend la main lorsque nous sommes sur le point de sombrer, il nous relève quand nous touchons le fond ».

Avant de remettre le pouvoir de pardonner aux apôtres, Jésus montre ses plaies, « parce que le pardon naît des blessures. Il naît lorsque les blessures subies ne laissent pas des cicatrices de haine mais deviennent le lieu où faire de la place aux autres et accueillir leur faiblesse. Alors les fragilités deviennent des opportunités, et le pardon devient le chemin de la paix ».


[1] Mercredito #30 | VIVE FRANÇOIS ! (le pape, oui ! Non, non, vous ne rêvez pas…)

https://la-bas.org/la-bas-magazine/chroniques/mercredito-30-vive-francois-le-pape-oui-non-non-vous-ne-revez-pas
30. janvier 2023 · 1 commentaire · Catégories: Calamus · Tags:

Toute les questions qui se posent en fin de vie à ceux qui sont appelés à « être là » -professionnels de santé, proches, bénévoles, …- peuvent se résumer à une seule : que dire ? Ou même seulement comment être ?

En effet il ne s’agit pas tant de « faire » ni même, d’abord de « dire ». Il faut tout simplement être là. C’est d’ailleurs sous cette appellation qu’ont choisi de se définir les structures fédérées sous l’égide de la SFAP, Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs.

Un constat s’impose d’emblée : il sera toujours impossible, et en dépit de la plus grande empathie, de prendre la place de celui qui aborde cette étape qui ouvre ce qu’il est convenu d’appeler « le grand passage », qu’il reste toujours aujourd’hui difficile d’appeler par son nom, la mort. Les discours très empathiques du style « je partage ce que tu souffres » tombent mal : en effet est-on conscient que la douleur ne se partage pas malgré toute l’empathie dont on voudrait faire preuve ?

Toutes les certitudes, toutes les assurances sur lesquelles on pouvait s’appuyer s’effondrent quand la vie ne se conjugue plus au futur mais qu’elle est déjà entrée dans l’histoire.

C’est le moment d’affronter la grande solitude, la seule et définitive solitude de celui qui s’en va et devant qui s’ouvre la porte qu’il ne fermera pas lui-même.

Il ne faut pas cacher ni se cacher l’hypothèse toujours possible de l’ultime angoisse. Elle est en embuscade sur le pas de la porte mais il reste encore une possibilité pour les proches de se tenir là pour prendre la main, pour accompagner car tout se résume dans ce seul mot mais qui pose une question essentielle : « comment bien accompagner ? ».

Celui qui est sur le départ sera peut-être disposé à parler de sa mort, alors pourquoi sans fausse prudence, sans esquive maladroite, ne pas saisir la perche tendue : il faut apprendre à prononcer le mot, entreprendre ce pas de deux que pourrait devenir le dialogue autour de la mort. On sait combien il est faux de faire semblant, de donner un espoir qui n’a plus de sens sans pour autant renoncer au sens le plus profond du mot espoir qui peut-être se convertira et nous convertira, c’est-à-dire nous tournera vers, en devenant une authentique espérance qui est aussi une vertu et pas seulement un état d’âme, une attente.

La mort

La langue française est riche de mots dont la signification s’articule comme un galaxie autour du mot mais le seul qui convient vraiment est celui de la vérité, de la sincérité : la mort. Nous allons tous vers ce moment que nous voyons toujours dans un avenir lointain, imprévisible et que quand tout va bien nous préférons tenir à distance. Alors brisons définitivement le tabou et acceptons de le dire : nous allons mourir et bien évidemment quand elle est là, non comme une ennemie ni comme une amie mais comme une compagne qui était déjà à nos côtés dès le premier instant, dès le premier cri : il faut apprendre à dire nous sommes mortels.

Et puisque nous pouvons accepter qu’elle nous tende la main, essayons de la prendre, sans la refuser parce qu’elle est aussi l’occasion de parler de sujets importants, de ce qu’a été notre vie, … sans s’arrêter à compter les jours, les mois les années…

Pour commencer, celui qui accompagne doit abandonner toute attitude qui, au fond, l’éloigne précisément de l’accompagnement : la plainte morbide qui exprime un désespoir tourné vers soi parce qu’on va, c’est indéniable, perdre un être qui nous est cher. Il faut sortir de l’orbite qui déplace le centre de gravité vers soi en même temps qu’il nous éloigne déjà, avant l’heure, de l’autre, de celui qui va partir, que nous abandonnons à sa solitude. Quand le moment s’approche il n’est pas question de laisser monter en première ligne nos propres sentiments, légitimes mais qui risquent de défaire prématurément un lien qui est toujours actuel. C’est l’instant de l’amour, de la tendresse, de la sérénité, de la paix intérieure, ce dont celui qui va partir a le plus besoin.

Le malade en fin de vie est d’abord un malade et la fin de vie un accident de la maladie, même s’il a quelque chose de révoltant. Il ne faut pas s’étonner qu’elle déstabilise et qu’on reste sans voix et surtout sans la voix qui apporte le réconfort.

Pourquoi ne pas donner au malade l’opportunité de parler de lui, de ce qui l’habite, en restant simplement présent pour écouter. A cette heure il se produit souvent, même si cela ne jaillit pas comme une source, le besoin de parler, d’exprimer peut-être des choses qu’il avait jusque-là laissées dans l’ombre et que la perspective de partir sans laisser de mémoire, lui suggère de dire, de confier. Alors laissons du temps au malade pour parler et surtout parler de lui-même s’il le souhaite. Il est plus important d’écouter que d’inonder la fin de vie sous un flot de paroles qui masquent la vérité d’une vie qui s’éteint. On pense à Job, seul sur son tas de souffrances dont les amis se tenaient là en silence.

De toutes les maladresses qui peuvent encombrer ce moment essentiel de la vie, la plus grande est peut-être de ne pas permettre à celui qui va nous quitter de s’exprimer, même si toute l’expression peut parfois se réduire à un long silence. Mais il est des silences plus éloquents que les plus beaux discours.

Les derniers instants peuvent aussi être l’occasion de confidences qu’il faut voir comme une porte toujours ouverte vers l’avenir : les ultimes confidences que le malade voudrait laisser comme un testament non écrit mais qui le projette déjà dans cet au-delà qu’il ne connaît pas mais qu’il peut préparer dans son cœur. Il ne faut pas briser le lien qui subsistera toujours et qui n’est pas rompu par la mort : le lien qui nous unit, même si nous ne savons pas bien comment, et qui ne sera jamais brisé même par la mort, le lien spirituel. C’est une occasion unique de faire tomber à cet instant essentiel le mur du matérialisme dressé par ceux qui ne voient la « bonne mort » que la mort volontairement donnée. Si des paroles peuvent se révéler justes elles seront celles qui inviteront le malade à regarder sa vie sans regret stérile mais plutôt avec le sentiment qu’il peut encore réparer des accrocs qui ont laissé chez les autres des plaies qu’il peut à ce moment-là fermer. Il ne faut ni contraindre en faisant pression, ni empêcher de s’exprimer celui qui éprouve le besoin de parler en toute sincérité. Les derniers moments sont une étape qui mérite plus que jamais son expression « la fin de la vie ».

Une fois que celui qui est sur le départ a accepté qu’il va partir, quand le silence est rompu, il faut toujours laisser ouvert le champ libre pour un échange de cœur à cœur qui pourra permettre d’ouvrir la voie à la parole sur des sujets fondamentaux autour desquels s’est construite la vie et en particulier la famille, les proches, ceux que l’on a entourés de son amour ou, le cas échéant, envers lesquels a été entretenu un manque que l’on souhaiterait combler avant qu’il ne soit trop tard. Il n’est pas rare que la souffrance de celui qui va partir soit motivée pas la douleur qu’il ressent de la souffrance qu’il va, involontairement, imposer à ceux qu’il aime sans avoir eu le temps de se réconcilier. La réconciliation, le désir d’union ou de ré-union à distance des brisures du passé prend souvent dans les derniers instants une force qu’il faut savoir soutenir et accompagner. Ce qui peut ajouter à la souffrance c’est l’impossibilité d’effacer les traces d’un passé parfois douloureux, de conflits non éteints. Sans penser qu’il sera possible de tout effacer, au moins le pardon accordé pourra-t-il permettre d’accéder à une fin de vie plus sereine. On peut demander au malade s’il souhaite s’adresser, par notre intermédiaire à ceux qu’il aurait pu faire souffrir, sans entretenir la culpabilisation.

Il peut être utile de réveiller le souvenir de moments heureux passés en famille, entre amis, d’actions positives, de réalisations qui ont apporté du bonheur à autrui, un ultime moment de contemplation devant ce que celui qui va partir a construit et qu’il laissera en héritage.

Si la personne est ouverte à la dimension spirituelle de son existence et en respectant ses convictions, il sera possible de parler du sens de la vie. Il suffit d’ouvrir cette porte, de l’aider à l’ouvrir, sans contrainte. Il n’est pas nécessaire de recourir aux discours classiques sur la valeur de la souffrance. Si certaines expressions sont bien connues comme la valeur rédemptrice de la souffrance, il vaut mieux les laisser dans les pages que tant de grands prédicateurs nous ont laissées. Cette belle littérature n’est pas écrite pour le malade en fin de vie, pour l’accompagnement au lit du malade.

Le cardinal Veuillot en fin de vie nous a laissé son témoignage : « Nous savons faire de belles phrases sur la souffrance. Moi-même j’en ai parlé avec chaleur. Dites aux prêtres de n’en rien dire ; nous ignorons ce qu’elle est, et j’en ai pleuré. »

Si le malade en fin de vie ouvre la porte de son intimité spirituelle qu’il suffise d’évoquer le grand silence qui s’est étendu sur le Golgotha après que Jésus s’est adressé à sa mère et à saint Jean « Voici ton fils… Voici ta mère »… juste avant de lancer sa dernière parole : « Consummatum est ! ».

Une lecture, une musique que la personne aime pourront adoucir les moments qui vont l’emporter dans l’au-delà qu’il ne connaît pas mais qu’il pressent, sans laisser du temps à l’installation de pensées pessimistes et moins encore d’anéantissement devant cet inconnu qu’il n’est pas pertinent de représenter comme un vide absolu.

Le 2 janvier 2023, Raphaël Enthoven, philosophe, conjointement avec Pierre Juston, juriste et délégué de l’ADMD, ont répondu à l’essayiste Erwan Le Morhedec qui « dans la tribune publiée dans FigaroVox les accusait de discréditer la parole des chrétiens dans le débat sur la fin de vie »[1].

Je retiens cette invective sans nuance : « La « rare agressivité » qui touche tant Monsieur Le Morhedec est celle de concitoyens qui, s’étant arrachés au prix du sang à la tutelle de l’Église depuis plus d’un siècle, ne souhaitent pas que les représentants de ce qui n’est désormais qu’une association civile et privée se prennent à nouveau pour des législateurs. On peut le comprendre. »

Je ne sais pas à quoi ils font allusion par ces mots « s’étant arrachés au prix du sang à la tutelle de l’Église »… Peut-être veulent-ils rappeler le sang versé pendant la terreur en oubliant qui étaient les victimes ?

Qu’il me soit permis de répondre en ma modeste qualité de médecin spécialiste, partageant sans réserve, et sans me reconnaître dans la « rare agressivité » qu’ils ont voulu déceler, la position d’Erwan Le Morhedec. Mais dans ma réponse je tiens à en rester à me présenter avant tout comme membre actif de « l’association civile et privée » qui, pour certains s’appelle aussi l’Église catholique.

Messieurs,

Vous avez ouvert des hostilités mais vous vous trompez de guerre : ce faisant vous avez rendu impossible le dialogue sur la fin de vie parce que vous l’avez pris en otage et réduit à celui, inconciliable par essence, entre d’un côté les philosophes et les militants qui veulent une législation favorable au droit à mourir, sans avoir à passer par la case meurtre programmé avec ses conséquences juridiques et pénales.

Vous faites des « droits » dont nous disposons le seul critère de la liberté. Dont acte, mais si je suis bien d’accord avec vous sur la notion de liberté garantie par la loi, il n’en reste pas moins que nous ne partageons pas les mêmes références anthropologiques concernant la définition de la liberté. Je le conçois bien dans le contexte des convictions que vous assumez mais qui sont incompatibles avec celles de la « minorité vindicative » à qui vous contestez la position, ce que vous appelez avec un certain mépris, d’exercer un « magistère moral », à vos yeux insupportable. Mais, sur ce point il est évident qu’aucun pont n’est possible pour se rencontrer dans un dialogue serein.

Malgré le défi que vous lancez, permettez-moi de vous répondre, sans fair preuve de la « rare agressivité » que vous taclez. 

Vous écrivez : « Réduire le souhait de mourir au manque de soins palliatifs, à l’insuffisance des structures d’accueil ou bien au défaut de personnel, et considérer, par conséquent, qu’il suffirait de remédier à tout cela pour qu’aucun malade, jamais, n’exprime le souhait d’avancer l’heure de sa mort, c’est confondre l’explication et l’excuse. »

La réduction que nous ferions du « souhait de mourir au manque de soins palliatifs » est un mauvais procès que vous faites à tous ceux qui s’emploient, professionnels de santé et bénévoles, à accompagner les malades en fin de vie.

Venons-en à votre raisonnement en trois points et à vos arguments qui condamnent la position de ceux qui contestent le droit de pouvoir librement désirer mettre un terme à ses jours ou tout simplement que cela devienne un droit.

  1. « …il arrive, hélas, que ce ne soit pas le défaut de soins palliatifs qui pousse les gens à vouloir mourir, mais la maladie elle-même. »

Vous avez raison et je partage vos arguments émis sous la forme d’un catalogue des situations devant lesquelles le médecin – et je parle d’expérience et en mon nom propre – est impuissant quand, comme vous le dîtes justement, « être prisonnier de son corps n’est pas soluble dans la morphine ». Sans prolonger inutilement le discours autour des soins palliatifs qui ne se résument pas à plonger un malade dans une quasi-inconscience que peuvent provoquer les morphiniques, non, je ne garde pas les clefs de la cellule de celui que vous appelez un prisonnier. Je sais que je suis là, même toujours impuissant quand arrive la fin de la vie, même si je sais si maladroitement accompagner celui qui va partir, qui est arrivé au terme du chemin. Je ne suis pas un héros et lui non plus s’il refuse le poison mortel mais j’essaie d’« être là »[2], pour l’aider jusqu’au bout à ouvrir la porte parce qu’il sait que la mort est là. Il sait et il l’accepte sans la vouloir. Quant à vous, vous avez opté, selon vous, pour l’ultime liberté. Vous anticipez l’heure, avec de bons sentiments mais, pardonnez-moi de le dire, non sans brutalité en ouvrant la porte de sortie… sur une voie sans issue.

  • « Réduire le souhait de mourir au manque de soins palliatifs… c’est faire comme si une décision était réductible à l’ensemble des déterminations qui la précèdent. »

Et de recourir à la rhétorique ronflante : « la souveraineté et la responsabilité d’une décision, quelle qu’elle soit, ne sont pas solubles dans les causes qu’on lui trouve ». Je crois avoir bien compris le fil directeur de votre discours, comme, d’ailleurs celui qui se tisse non sans qualité, dans les cénacles militants pour le Droit à Mourir dans la Dignité : « Liberté, liberté chérie ». Permettez-moi de poser une question : la vraie vie de ses origines à son terme se résume-t-elle à dire « je » et à s’arrêter là, sans savoir que l’on peut aussi dire « tu » et « nous » ? Et vous ne me ferez pas croire qu’en fin de vie il ne reste que le « je » parce que malgré tout, vous avez abandonné à leur solitude ceux qui, c’est ma conviction, n’ont pas renoncé à quitter, malgré cette ultime liberté, ceux à qui ils disent encore « vous m’aimez et je vous aime »… Oui, sans doute « vous êtes là » mais pas avec les mêmes moyens, pas avec les mêmes raisons, ni même avec les sentiments.

  • « Enfin, vous opposez « soins palliatifs » et « aide à mourir », alors que les deux vont la main dans la main. »

Involontairement, vous m’offrez un boulevard pour la dernière réponse. Nous n’opposons pas les « soins palliatifs » et l’« aide à mourir ». Oui elles vont main dans la mais ce n’est pas la même main, celle qui tient jusqu’au bout celle de celui qui s’en va, et celle qui, même avec des bon sentiments, précipite dans l’au-delà celui qui veut partir simplement parce qu’il en a ainsi décidé.

Sans doute partageons-nous un certain nombre de convictions sur la nécessité de promouvoir et de développer les soins palliatifs. Et vous appuyez non sans grandeur sur des mots justes : « mettre un terme aux souffrances, prendre tous les moyens de les apaiser, un véritable plan de financement des soins palliatifs ». Nous en sommes bien d’accord, mais et en allant au-delà de la vanité d’un combat inutile, de cette « guerre de trop », je ne vous suivrai pas, sans chercher à vous convaincre par les mots ni par les sentiments, pour réclamer l’ultime liberté qui s’arrêtera une fois la porte franchie et quand celui qui l’aura ouverte devant celui qui s’en va, repartira, comme si de rien n’était. Vous n’avez pas cette conviction, je le sais, mais quant à moi il n’y a pas d’ultime liberté. Vous avez cité Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Vous connaissez sans doute, j’en suis aussi convaincu, la source qui le guidait : « la Vérité vous rendra libre ».


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/raphael-enthoven-pierre-juston-pourquoi-nous-sommes-favorables-a-l-euthanasie-20230102

[2] « Être là » : L’ASP fondatrice (Accompagner en Soins Palliatifs) et 42 associations d’accompagnement bénévole en soins palliatifs ont fondé Être-là, nouveau mouvement national des ASP, le 5 octobre 2021

Vincent van Gogh (1853-1890)
Le Bon Samaritain (1890)
Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo 

Le Bon Samaritain

Je lis ce matin sous la plume de Luc Ferry (Le Figaro, Jeudi 6 janvier 2022 – Opinions) :

« L’universalisme républicain n’est qu’un héritage du christianisme comme l’avait vu Tocqueville, dans un passage de La Démocratie en Amérique, en parlant de la grande Déclaration des droits de l’homme de 1789 : « C’est nous, les Européens, écrivait-il, qui avons donné un sens déterminé et pratique à cette idée chrétienne que tous les hommes naissent égaux et qui l’avons appliquée aux faits de ce monde. C’est nous qui, en détruisant dans tout le monde le principe des castes, des classes (…), en répandant dans tout l’univers la notion de l’égalité des hommes devant la loi, comme le christianisme avait créé l’idée de l’égalité de tous les hommes devant Dieu, je dis que c’est nous qui sommes les véritables auteurs de l’abolition de l’esclavage. »

J’extrais cette citation d’un article qui se veut un hommage à tous ceux qui depuis que la pandémie a mis le feu à toute la planète a aussi contribué à la destruction du tissu social. Et Luc Ferry de conclure : « Belle méditation, qui établit, avec beaucoup de finesse et de profondeur, une filiation entre l’idée républicaine dans ce qu’elle a de plus laïque et l’héritage chrétien dans ce qu’il a de plus humaniste : l’égalité des créatures devant Dieu, transposée en égalité des citoyens devant la loi, n’est au fond qu’une sécularisation réussie de la parabole du bon Samaritain : comme elle, elle ouvre la compassion pour le prochain à un universalisme qui fait abstraction des appartenances communautaires pour étendre le principe de fraternité à l’humanité tout entière. Qu’hommage soit ici rendu aux bons Samaritains d’aujourd’hui, qu’ils soient chrétiens ou non ! »…

Et si c’était aussi l’occasion de rappeler que « l’héritage chrétien » n’a jamais été en contradiction avec les principes de « l’idée républicaine dans ce qu’elle a de plus laïque » ? Alors on en aurait peut-être fini des interminables querelles qui finissent par miner les plus belles énergies en même temps qu’elles entretiennent la suspicion, le rejet … qui sont le terreau de la haine.

Juste une remarque : Luc Ferry affirme : C’est nous qui, en détruisant dans tout le monde le principe des castes, des classes (…), en répandant dans tout l’univers la notion de l’égalité des hommes devant la loi, comme le christianisme avait créé l’idée de l’égalité de tous les hommes devant Dieu, je dis que c’est nous qui sommes les véritables auteurs de l’abolition de l’esclavage. »

Il insiste sur cette idée que « nous sommes les véritables auteurs de l’abolition de l’esclavage ». Il oublie que c’est « nous » aussi qui l’avons introduit et avec lui « le principe des castes, des classes (…). Ce n’est pas le christianisme qui a « créé l’idée de l’égalité de tous les hommes devant Dieu »… Le christianisme n’est le christianisme que si on veut bien comprendre que c’est Jésus-Christ son socle, sa référence, sa racine et qu’il n’y a pas de solution de continuité essentielle ni existentielle entre Dieu et Jésus-Christ. Alors si un hommage doit être rendu « aux bons samaritains, chrétiens ou non », il est juste aussi de ne pas déconnecter « l’héritage chrétien » de sa vraie source « l’égalité des créatures devant Dieu » qui n’est que secondairement « transposée en égalité des citoyens ».

La France vient de se doter d’une loi inique qui se prétend « de bioéthique », votée, malgré toutes les dénégations de ceux qui veulent s’exonérer de toutes les critiques justifiées dont ce vote a été l’objet, dans l’indifférence et l’assoupissement propres à la période estivale qui ont plongé l’assemblée nationale dans une anesthésie inquiétante. Inquiétante surtout parce que les rares députés présents étaient pour la plupart les petites mains soumises à la volonté implacable d’un petit potentat : Jean Louis Touraine, député LREM, rapporteur du projet. On ne présente plus monsieur Touraine, l’artisan des basses-œuvres du projet qu’avait inscrit dans son programme E. Macron.

Juste pour la mémoire, le discours d’E. Macron au Collège des Bernardins le 10 avril 2018.

Extrait : « Pour nous retrouver ici ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi bravé, les sceptiques de chaque bord. Et si nous l’avons fait, c’est sans doute que nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer. Pour cela, il n’est pas d’autre moyen qu’un dialogue en vérité. Le dialogue est indispensable, et si je devais résumer mon point de vue, je dirais qu’une Eglise prétendant se désintéresser des questions temporelles n’irait pas au bout de sa vocation ; et qu’un président de la République prétendant se désintéresser de l’Eglise et des catholiques manquerait à son devoir. » Et plus loin dans le même discours : « Paul RICŒUR, si vous m’autorisez à le citer ce soir, a trouvé les mots justes dans une conférence prononcée à Amiens en 1967 : « maintenir un but lointain pour les hommes, appelons-le un idéal, en un sens moral, et une espérance, en un sens religieux. »

Ainsi donc, la loi a été votée et non seulement mais avec des dispositions introduites sans vrai débat au mépris du respect que l’on doit à une instance censée représenter la volonté du peuple et à l’exigence que l’on est droit d’attendre. Ce vote inscrit sur la France une tache indélébile qui ne manquera pas d’étendre l’opprobre sur une législation déjà entachée par ce que les défenseurs de cette loi appellent depuis des décennies le progrès. Ainsi Mr Touraine s’est-il permis d’écrire, comme rapporteur du projet de loi : « Au début sont essentiellement formulés des interdits, souvent plus par prudence que pour de véritables raisons du respect de certaines valeurs humaines. Puis, avec la progression des connaissances, lorsqu’est acquise la certitude que l’on ne s’aventure pas dans une direction non maîtrisée tels des apprentis sorciers, il devient possible de soulever progressivement le voile des interdits. » …/… « L’enjeu est fondamental, il s’agit de choisir la société dans laquelle nous vivrons demain, de dessiner la condition humaine à laquelle nous consentons à nous soumettre et l’humanité que, tout à la fois, nous voulons transformer. » … Tout cela va bien dans le sens du « en même temps » cher à qui vous savez.

En 1959 Gustave Thibon a écrit une pièce de théâtre : « Vous serez comme des dieux ». On lit à propos de cette pièce « Au risque d’inciter le lecteur à penser qu’il est un inconditionnel du progrès technique, Thibon présente une technoscience ayant tenu toutes les promesses qui, en 1959, date de publication du livre, paraissaient folles : sérum d’immortalité, voyages dans l’espace, clonage, santé parfaite, paix sociale et même liberté d’opinion. En 2014, les mêmes promesses sont les objectifs d’un mouvement de pensée soutenu par les milliardaires californiens du numérique : le transhumanisme. Cela fait apparaître Thibon comme le premier critique du transhumanisme. Dans les oeuvres d’anticipation les plus connues, Nous autres de Zamiatine, le Meilleur des mondes de Huxley et 1984 de Orwell, l’avenir créé par la technoscience est clairement un enfer, préfigurant ou rappelant les régimes totalitaires du XXème siècle. Il va de soi qu’une personne sensée le rejette. Dans tous ces cas c’est moins le progrès technique démesuré qui est dénoncé que les régimes politiques qui l’utilise à des fins totalitaires. Ce qui aide à comprendre pourquoi l’élan progressiste n’a pas été brisé, ni même ralenti par l’horreur universelle que ces dystopies ont inspirée. Dans ce contexte, par exemple, on a renoncé à l’eugénisme pratiqué par un État, mais pour le réhabiliter ensuite en tant qu’objet d’un choix individuel. Thibon s’attaque directement à la démesure dans le progrès technique. C’est pourquoi, il donne à son meilleur des mondes toutes les apparences d’un vrai paradis sur terre. Son utopie ressemble à celle que le psychologue behavioriste B.F. Skinner a présenté dans Walden II. Il place son lecteur devant l’alternative fondamentale. La grande question est posée par l’héroïne de la pièce, Amanda. Elle a mis toute la contrée des immortels en état de choc en annonçant qu’elle redeviendrait mortelle. On la considère comme malade, de cette maladie d’avoir une âme ayant la nostalgie d’un autre monde. À défaut de réussir à la guérir, on en tire un clone, un copie conforme à tous égards mais sans âme. Elle s’adresse en ces termes à Hélios, l’homme qu’elle aime et qui l’aime: « Choisis. Moi je vais mourir. Je ne veux pas t’entraîner dans cet abîme — néant ou Dieu — dont je ne sais rien, sinon qu’il m’attire et que je le préfère à tout. Celle-là sera tienne éternellement, vous serez heureux de tout ce bonheur que j’ai refusé : aucun Dieu ne lui parlera, aucune mort ne te la prendra. Choisis ! » Vue sous l’angle de cette question, la pièce de Thibon est une métaphore futuriste pour décrire, en la portant à sa limite, une situation contemporaine. Déjà en 1959, le salut avait été remplacé dans les mentalités occidentales par cette longévité que les transhumanistes se proposent d’accroître indéfiniment. La croissance économique d’autre part, laquelle semblait illimitée, incitait les gens à situer leur bonheur dans l’avenir et à s’imaginer immortels sur terre. Choisis! Cette injonction qui, en 1959, n’avait de sens et d’importance que pour ceux, déjà très rares, dont la soif d’absolu n’avait pas encore été réduite à rien par l’appétit de consommation, est devenue une obligation politique à laquelle personne n’échappe. Il faut dire oui ou non au transhumanisme. En ce moment, nous disons oui, majoritairement, par l’enthousiasme ou l’indifférence avec laquelle nous acceptons aussi bien les innovations elles-mêmes que le rythme auquel elles s’opèrent. Cela, pour durer plus longtemps, mais sans l’ombre d’une réflexion sur les conséquences de notre choix. » (in http://encyclopedie.homovivens.org/documents/vous_serez_comme_des_dieux)

En imposant dans le contexte délétère que nous connaissons, lié à un phénomène inusité depuis longtemps et alors que nous croyions même avoir dépassé les limites de notre impuissance à tout contrôler grâce au progrès, notamment en matière médicale, un hémicycle déserté a imposé par cette loi, les contours de « la condition humaine à laquelle nous consentons à nous soumettre et l’humanité que, tout à la fois, nous voulons transformer », pour reprendre les termes dithyrambiques de Touraine dans son rapport. Il ne nous reste donc plus qu’à attendre cette transformation de l’humanité qui ne tardera à montrer ses visages monstrueux quand les manipulations génétiques insensées, les gestations anarchiques, les hybrides incohérents auront délivré leurs innommables productions incontrôlées en laboratoire. Le XX° siècle avait mis sous nos yeux les horreurs à peine cachées des idéologues du nazisme et nous les avions rejetées dans le soulagement douloureux de la victoire qui avait ouvert sur l’espérance. Le XXI° siècle qui commence les réintroduit dans la légalité sous le prétexte du progrès incontournable et avec la conviction « que l’on ne s’aventure pas dans une direction non maîtrisée tels des apprentis sorciers ». Ces gens ne croient pas en Dieu et pourtant ils répondent sans hésitation à la suggestion : « Vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal ». Mais savent-ils qui leur répond à la question qu’il avait lui-même posée ?

Le monde s’embrase emporté par des idéologies qui se condamnent elles-mêmes en imposant par la violence des idées qui contredisent leur prétendue défense des droits de l’homme.“ Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte. ” (Frantz Fanon)

Je ne partage pas les idées de l’auteur ni son parcours personnel mais je pourrais écrire la même chose. Je corrigerais seulement : « Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de la personne …»

Peaux noires, masques blancs : lire Frantz Fanon, lutter contre les stéréotypes ! Extraits d’une recension du livre : « … Avec toute la science dont l’auteur est capable, Fanon décrypte, minutieusement, lentement, tous les mécanismes qui portent à mettre l’homme noir dans une case, l’homme juif dans une autre (en effet, son travail pourrait se décliner pour toutes les ethnies, toutes les religions) et pourquoi l’homme blanc « civilisateur » a eu le besoin de caractériser ces « autres » par des traits bien définis, des cadres dont ils ne devaient plus jamais sortir. Une colonisation mentale qui ne se déconstruit pas comme cela. »…/… Frantz Fanon vise à la destruction d’un complexe. Destruction des a priori. Destruction des barrières entre les hommes, en somme. Le déterminisme n’est pas une fatalité. L’homme peut apprendre, comprendre échanger, changer. Fanon, noir et antillais, se centre sur la problématique qu’il connait le mieux, parce qu’il la vit dans sa chair et son esprit, mais on comprend bien que son humanisme aurait pu écrire ces pages pour n’importe quelle nation, n’importe quel peuple, n’importe quelle religion ou culture. » in https://www.indigne-du-canape.com/peaux-noires-masques-blancs-lire-franz-fanon-lutter-contre-les-stereotypes/

… la maladie du siècle !

Discours prononcé par Albert Camus (1913-1960) le 10 décembre 1957 à l’occasion de sa remise du prix nobel à Stockholm. Albert Camus rappelle le devoir de l’artiste face au monde.

« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. »

Camus est de la race de ceux qui cherchaient à comprendre, qui pouvait signer : « Le besoin d’avoir raison, marque d’esprit vulgaire ». C’était un temps qui opposait ceux qui avaient « raison »… Sartre et tous les staliniens, et ceux qui avaient « tort » … Aron, Milosz, Arendt et aussi Camus … « Il est ahurissant de voir la facilité avec laquelle s’écroule la dignité de certains êtres. »Ce qui le justifie parfaitement d’oser écrire : « Georges Bernanos est un écrivain deux fois trahi. Si les hommes de droite le répudient pour avoir écrit que les assassinats de Franco lui soulevaient le coeur, les partis de gauche l’acclament quand il ne veut point l’être par eux. Car Bernanos est monarchiste. Il l’est comme Péguy le fut et comme peu d’hommes savent l’être. Il garde à la fois l’amour du vrai peuple et le dégoût des formes démocratiques. Il faut croire que cela peut se concilier. Et dans tous les cas, cet écrivain de race mérite le respect et la gratitude de tous les hommes libres. Respecter un homme c’est le respecter tout entier. Et la première marque de déférence qu’on puisse montrer à Bernanos consiste à ne point l’annexer et à savoir reconnaître son droit à être monarchiste. » Albert Camus, Juillet 1939… et relire son Discours à Stockholm le 10 octobre 1957 à la réception du Prix Nobel de littérature… Et ce n’est pas un billet politique !

Et aussi : Lettre de Camus à Louis Germain – 19 novembre 1957
En hommage à ce grand écrivain, homme incarnant la noblesse même, voici un échange de lettres avec son premier instituteur, Louis Germain. Camus lui écrivit, quelque peu après avoir reçu le Prix Nobel de Littérature en 1957, une lettre de remerciement et ce magnifique instituteur lui répondit par une vibrante profession de foi en son métier et en l’école laïque.
https://www.huffingtonpost.fr/nicolas-bersihand/anniversaire-mort-albert-camus_b_4537141.html

Ernest Renan

https://www.gouvernement.fr/partage/9007-conference-d-ernest-renan-a-la-sorbonne-quest-ce-qu-une-nation

https://républiquedeslettres.fr/renan-nation.php

« L’homme n’est esclave ni de sa race ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagne. »Qu’est-ce-qu’une nation ? Ernest Renan – Conférence du 11 mars 1882

Des policiers s’agenouillent pour dénoncer les violences policières, lors d’une manifestation à Coral Gables en Floride, le 30 mai 2020. Un geste inspiré par les protestations des joueurs de football américain.
Eva Marie Uzcategui / AFP