Mon cher cousin,

Il est des jours où, avec la meilleure volonté du monde et toutes convictions confondues, il est difficile de comprendre dans quel monde nous vivons.

Je ne sais pas ce que tu penseras de ce qui s’est passé le 7 janvier 2015, à Paris.

Un attentat criminel perpétré contre un journal. Sans céder à l’espèce d’hystérie collective qui a saisi des millions de personnes, oubliant ce qu’est Charlie Hebdo, qualifier de criminel  l’acte qui a frappé collectivement la rédaction du journal ressort du plus élémentaire sans commun.

Même seulement en passant, et sans prétendre à un acte prophétique, j’ai consacré indirectement une chronique à ce même journal, il y a quelques mois à l’occasion de la disparition d’un de ses fondateurs, Cavanna qui venait de disparaître [1].

Il est inutile, je présume, de te rappeler que Charlie Hebdo n’était pas pour moi une source d’information même occasionnelle. Dans les circonstances tragiques qui ont propulsé le journal sur le devant de la scène, il ne serait pas convenable de se lancer dans la polémique.

Pour d’autres prises de position, on verra plus tard.

J’en ai déjà beaucoup lu et entendu car les médias, bien sûr, toutes tendances confondues, endossent aujourd’hui la veste ensanglantée de Charlie Hebdo.

Demain en France, c’est jour de deuil national, par la volonté du Président de la République qui n’a pas hésité à qualifier les victimes de « héros ».

Demain à midi comme en d’autres occasions sera observée une minute de silence.

Une première réaction à l’écoute ou à la lecture des innombrables témoignages est celle-ci : Il me semble que, même si l’information à chaud sur une question aussi sensible, et indépendamment de la cible visée, est évidemment compréhensible, il faudra bien qu’un jour tous ceux qui ont fait des déclarations, sous le coup de l’émotion, une fois celle-ci retombée, reviennent sur leur portée et réfléchissent à leurs propos. Même si l’on ne sait encore que peu de choses, à l’heure où j’écris, sur les responsables de l’attentat, il faut bien avouer que déjà une direction a été prise. La piste « islamique » est évidemment privilégiée, et c’est logique au vu de ce que représentait Charlie Hebdo pour cette mouvance.

Mais au-delà de cette piste présumée, que de déclarations ont déjà été faites qui n’échappent pas à l’amalgame : l’obscurantisme, le refus de la modernité, … j’en passe, dont sont responsables les religions. La cible étant Charlie Hebdo, que de fois ai-je déjà entendu la revendication du « droit au blasphème [2] ». Et ce n’est qu’un échantillon des « professions de foi », si tu me permets cette expression paradoxale.

Wolinski, l’une des victimes, était, à l’occasion des obsèques de Jacques Chancel, à l’Eglise Saint-Germain-des-Prés le 6 janvier au milieu d’une foule de personnes de tous les horizons, venues rendre un dernier hommage au grand journaliste qu’il a été, pour certains sans doute un exemple de professionnalisme haut de gamme, dans cet exercice difficile d’écrire ou de dire « l’opinion ». Wolinski déclarait qu’il aimait, lui, le caricaturiste que l’on connaît, dessiner cette église, lui, l’athée et le libertaire, dont les convictions allaient dans une toute autre direction que celle de l’Église.

Je t’entends déjà me dire : « Où veux-tu en venir ? »

C’est presque la « providence », -et je te précise que je n’entends pas établir un lien de causalité entre les événements-, qui vient de rapprocher ces morts successives.

Cela pour dire combien je suis étonné, chaque fois qu’une personne du monde des médias quitte ce monde, de voir se rassembler au cœur de Paris, dans l’église Saint-Germain-des-Prés, des hommes et des femmes que l’on voit plus habituellement sur les écrans, signer des articles ou des dessins dans des journaux, prononcer des discours, faire des déclarations, parcourir l’hexagone pour une campagne politique, … etc. Un peu comme si Saint-Germain-des-Prés, l’église, était une autre scène où se produire.

Que représente pour eux cette nef qui converge vers un autel sinon une autre façon de « monter les marches à Cannes ».

Entendent-ils…, écoutent-ils…, comprennent-ils… vraiment les mots que prononce le prédicateur dans son homélie ? Ce qui rassemble ces « spectateurs » c’est un événement bien particulier : la mort.

Que représente pour eux le mystère qui est célébré lors des funérailles chrétiennes ?

La vie… La mort ! …

Pour revenir sur la tragédie qui endeuille la France, les propos n’ont pas manqué qui parlaient du « paradis » où se trouvent désormais les victimes. Et il n’a pas manqué de dessins…- c’était trop tentant !- qui mettent en présence les victimes de Charlie Hebdo avec un « Dieu le Père » avec lequel ils ont bien souvent du crayon…

Je ne reviens pas sur plusieurs de mes lettres que je t’ai déjà adressées dont le sujet était justement le départ de personnalités pour l’autre monde. Mais, avec un peu de bonne volonté, tu pourras peut-être comprendre le message.

Pour terminer je t’en délivre deux. Ils s’inscrivent dans l’actualité du jour.

« Le Saint Père exprime la plus ferme condamnation pour l’horrible attentat qui a endeuillé ce matin la ville de Paris », a indiqué le porte-parole du Vatican, dans un communiqué.

Le glas sonnera à Notre-Dame de Paris jeudi midi

« L’Eglise catholique s’associera jeudi à la journée de deuil national en hommage aux victimes de l’attentat dans les locaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et fera sonner le glas de la cathédrale Notre-Dame à midi », a annoncé le diocèse de Paris. « La messe qui suivra cela célébrée en pensant aux victimes et à leurs familles », ajoute l’évêché dans un communiqué.

(à suivre…)

 Pizzicatho

2015.01.07

 http://youtu.be/k1-TrAvp_xs

 

[1] https://www.calamus-scriptorius.org/2014/02/

[2] En boucle sur France Info dans son édition spéciale du 7 janvier.