Notre Dame de La Vang

Le Viêt Nam : la longue histoire d’un pays tellement attachant… Histoire du christianisme au Viêt Nam et du sanctuaire de La Vang.

Le village de La Vang est situé dans la province vietnamienne de Quảng Trị, dans la commune de Hai Phu, au centre du Viêt Nam. La basilique Notre-Dame de La Vang est une église catholique située dans le village de La Vang. Voici ce que signifie La Vang : « La » signifie « feuille » et « Vang » signifie « graine d’herbe ». La basilique de La Vang fut détruite en 1972 pendant la guerre du Viêt Nam par les bombardements américains. Il n’en reste aujourd’hui que le clocher et le mur auquel il s’adosse.L’histoire nous rappelle que l’Église catholique commença à évangéliser le Viêt Nam au début du XVIe siècle. Puis, elle y établit deux Vicariats apostoliques en 1659. Il faut se souvenir du fait que pendant des siècles l’Église catholique vietnamienne fut souvent persécutée. Ainsi, de 1625 à 1886 il y eut 53 décrets qui furent pris contre elle par les seigneurs et les empereurs du pays. En particulier, le 17 août 1798, l’empereur Canh Trinh interdit la religion catholique sur son territoire. Aussi, pour fuir les persécutions, des catholiques vietnamiens, se réfugièrent-ils dans la « forêt de la Pluie » à La Vang située à 60 km de Hué, à La Vang. Ils se réunissaient chaque jour autour d’un grand arbre et récitaient le Rosaire. Il ordonnait aussi la destruction de toutes les églises. Un jour, la Vierge, entourée de deux anges et tenant dans ses bras l’Enfant Jésus, fit sa première apparition. Un témoin a raconté qu’elle était revêtue d’un manteau magnifique, à l’orientale, et qu’elle tenait l’Enfant Jésus dans ses bras. Elle se tenait là, sur le gazon, comme une maman au milieu de ses enfants.La Vierge Marie leur dit:– J’ai déjà exaucé vos prières. Dorénavant tous ceux qui viendront me prier en ce lieu verront leurs vœux exaucés.Cette apparition fut suivie de plusieurs autres, au cours desquelles la Vierge Marie déclara que tous ceux qui viendraient prier en ce lieu recevraient de grandes grâces. Les paysans regagnèrent leurs villages en 1802, lorsque la persécution s’apaisa; la nouvelle de l’apparition de Marie aux paysans se répandit dans tout l’Annam, marquant le début d’un pèlerinage, et une première chapelle fut construite en 1820. A partir de ce moment, des pèlerinages, pratiquement ininterrompus depuis deux siècles se mirent en place. Une dizaine d’années plus tard, plusieurs vagues de répression s’abattirent de nouveau sur la région, notamment sous le règne de l’empereur Tu Duc. Ces persécutions durèrent jusqu’en 1885, comme en témoignent les martyres de saint Étienne-Théodore Cuenot et de ses compagnons en 1861 ainsi que ceux du Tonkin avec saint Théophane Vénard. Trente martyrs annamites furent brûlés vifs à La Vang. La dévotion à la Vierge de La Vang devint alors l’un des piliers de la foi des martyrs chrétiens qui, capturés et condamnés à mort, demandaient souvent à mourir à La Vang. Notons que cette tradition est orale, d’où l’imprécision de certaines dates.Une chapelle fut construite après les troubles de 1885; puis, en 1901, une église fut édifiée, puis consacrée par Mgr Caspar, sous le vocable de Notre-Dame-Secours-des-Chrétiens, en présence de 12 000 pèlerins; Notre Dame de La Vang fut déclarée protectrice des catholiques du Viêt Nam. L’église fut agrandie en 1928, et un pèlerinage national s’y déroulait tous les trois ans. Après les Accords de Genève de 1954 et la partition du Viêt Nam, la statue de Notre-Dame de La Vang, qui avait été mise en lieu sûr pendant la guerre d’Indochine, fut replacée dans l’église le jour de la fête de l’Immaculée Conception, le 8 décembre 1954.La conférence épiscopale des évêques du Sud Viêt Nam choisit l’église de La Vang comme lieu de pèlerinage national à l’Immaculée Conception en avril 1961. Le pape Jean XXIII éleva cette église au rang de basilique mineure le 22 août 1961. Mais, de nouveau, l’église fut détruite par les bombardements américains pendant l’été 1972.Histoire de la province de Quảng Trị et guerre du Viêt NamSituée sur les rives de la rivière Thach Han, la citadelle de Quảng Trị est connue pour avoir été le théâtre de bombardements acharnés pendant la guerre américaine au Viêt Nam. Après la signature de l’accord de Genève de 1954, la ligne de démarcation séparant le Nord et le Sud du pays a été fixée au 17è parallèle. La cité municipale de Quảng Trị qui abrite la citadelle du même nom est alors devenue le centre politique, militaire et économique de cette province. La guerre a changé le cours de l’histoire et la citadelle qui s’imposait au coeur de la cité municipale de Quang Tri a occupé une position stratégique. C’est à cet endroit que se sont déroulés les événements les plus importants de la ville entre 1954 et 1971. Mais l’apogée a, sans nul doute, été la bataille de l’été 1972, qui a duré 81 jours opposant les soldats vietnamiens à l’armée américaine.

La citadelle de Quảng Trị est située à proximité du fleuve Thach Han. Les premières pierres de cette célèbre citadelle ont été posées pendant la dynastie Nguyen, sous les ordres du roi Gia Long. Cependant les travaux se sont achevés 28 ans après, sous le règne du roi Minh Mang. La citadelle arborait un style Vauban, sa structure initiale comprenait 4 forteresses ainsi que de 4 grandes portes s’ouvrant aux quatre coins cardinaux. Ces forteresses étaient entourées de douves et à l’intérieur se trouvait le palais de la ville.Pendant la colonisation française, la citadelle jouait le rôle d’un important centre administratif autant sur le plan économique que militaire. De nombreux activistes ont par ailleurs été incarcérés dans des prisons construites par les autorités françaises, ce qui a perduré jusqu’à la victoire des vietnamiens en 1975. Les martyrs du Viêt NamLes martyrs vietnamiens ont été très nombreux, et on évalue le nombre des victimes de toutes ces persécutions, à environ 130 000 personnes. Au cours du XXe siècle les papes Léon XIII, Pie X et Pie XII ont béatifié 117 martyrs vietnamiens que le pape Jean-Paul II a canonisés le 19 juin 1988. Ce même 19 juin 1988 le pape Jean-Paul II, reconnaissant l’importance de La Vang pour l’histoire du christianisme au Vietnam, fit mémoire du sanctuaire de La Vang et souhaita sa reconstruction « dans un climat de liberté et de paix, et de gratitude envers celle que toutes les générations disent bienheureuse. De sorte que ce sanctuaire puisse favoriser l’unité nationale et le progrès civil et moral du pays. »

Au patrimoine de l’UNESCO :

Huế : https://whc.unesco.org/fr/list/678

Hội An : https://whc.unesco.org/fr/list/948https://www.youtube.com/watch?v=T-r9UqToUQ4&t=5s

Et pour les amoureux du Viêt Nam ce remarquable site d’un ingénieur d’origine vietnamienne : https://www.vietnammonpaysnatal.fr/

Tout savoir sur le Viêt Nam : https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/vietnam/


Chapelle Notre-Dame de la Paix, dite « Chapelle Foujita », fresque de l’abside, Reims, 1963-1966
https://musees-reims.fr/fr/musees/la-chapelle-foujita/
cf. https://tokonomamagazine.com/…/foujita-le-plus-francais-de…/

C’est en pleine ère Meiji, dans un Japon nouvellement ouvert au monde, que voit le jour Tsuguharu Foujita (1886-1968). Enfant, déjà il se passionne pour la France et la peinture occidentale, au point d’intégrer le département de peinture à l’huile de l’école des Beaux-arts de Tokyo. Diplômé en 1910, il dira n’avoir retenu de son maitre Kuroda Seiki (1866-1924) que son amour de Paris. Et de fait, Foujita embarque pour la capitale française trois ans plus tard. Il y passera la majeure partie de sa vie, jusqu’à se faire naturaliser français, et baptiser à Reims sous le nom de Léonard Foujita !
Acharné au travail, le peintre produit au cours de sa vie des milliers d’œuvres, dans lesquelles il tache de créer un pont entre la peinture de son Japon natal et les œuvres européennes qui le fascinent. Dans cette volonté de synthèse, il refuse de distinguer l’encre de l’huile, et met au point sa propre technique picturale. Dès la fin des années 1910, Foujita crée à Paris une pâte blanche dont la composition chimique lui permet de peindre à l’huile sur toile tout en traçant ses traits à l’encre de Chine. Du Japon, il souhaite en effet conserver cette ligne calligraphique dans des compositions calmes et souvent dépouillées. De la peinture européenne, il retient le traitement des volumes et de la profondeur.
Ce positionnement vis-à-vis de l’Histoire de l’Art occidental marque toute la carrière de Foujita. Contraint de rentrer au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, le peintre est chargé par l’armée d’exalter les vertus héroïques des soldats japonais en représentant les combats. Son style prend un aspect bien différent de celui qu’on lui connaissait dans le Paris des Années folles. Il conserve pourtant une grande liberté plastique et un regard sur la peinture occidentale dans ces œuvres propagandistes, produites pour le gouvernement japonais. Ainsi La Bataille finale à Attu, actuellement visible à la Maison de la culture du Japon reprend exactement la composition créée par Eugène Delacroix (1798-1863) pour sa Bataille de Taillebourg ! Ces toiles présentées à travers l’archipel dans de grandes expositions itinérantes vaudront néanmoins à l’artiste quelques déboires après la guerre. La jeune génération le rend responsable et acteur de la propagande guerrière, lui interdisant toute possibilité de rester vivre au Japon. Alors qu’il souhaite prendre un nouveau départ pour sa terre de coeur, le gouvernement français refusera un temps de lui délivrer son visa en raison de son rôle d’attaché culturel en Indochine. Le rôle de Foujita pendant la guerre reste aujourd’hui encore un sujet controversé, les historiens de l’art peinant à distinguer les obligations qu’a eu le peintre en raison de son statut social, de ses possibles motivations personnelles.
Chapelle Notre-Dame de la Paix, dite « Chapelle Foujita », fresque de l’abside, Reims, 1963-1966 / Domaine public
Finalement de retour en France dans les années 1950 après un bref exil à New-York, Foujita est naturalisé français cinq ans plus tard. Alors qu’il renoue avec le succès qu’il avait connu dans les Années folles, sa révérence envers la peinture européenne devient patente, à travers notamment une recrudescence des sujets chrétiens. En effet, touché par la grâce lors d’une visite de la Basilique Saint-Rémi de Reims, le peintre est baptisé en 1959 sous le nom de Léonard Foujita. Un possible clin d’œil à un célèbre peintre florentin de la Renaissance? Il s’inspire d’ailleurs en partie de ce dernier dans le chef d’œuvre de la fin de sa vie : la chapelle qu’il fait bâtir à Reims de 1963 à 1966. Celle-ci, entièrement peinte dans la technique italienne de la fresque, offre au spectateur de grandes compositions religieuses qui renouent avec les fonds blancs des années 1920. L’abside de l’une des chapelles latérales représente la Cène sous forme d’hommage à la composition milanaise du célèbre maitre, bombardée pendant la guerre et restaurée en 1954.
Grâce à sa longue carrière, l’extravagant Foujita réussit donc l’exploit paradoxal de s’opposer picturalement aux grands maitres de la peinture occidentale afin de les égaler voire de les dépasser, grâce à un style unique issu de sa culture japonaise. Les précédents peintres japonais à avoir tenté cette synthèse avaient, selon lui, échoué en opposant trop frontalement deux traditions et deux techniques picturales, là où lui parvient à mêler les deux pour créer un style unique ni vraiment japonais, ni vraiment français. Son rôle majeur au sein de l’école de Paris et la notoriété qu’il a connu en France en font pourtant le plus japonais des peintres français! Il meurt d’une tumeur en Suisse à l’âge de 82 ans, et repose dans la chapelle à laquelle il a donné son nom.

Prière à Notre Dame de la Paix

Ô Marie, Secours des chrétiens,
nous nous tournons vers toi dans nos nécessités,
les yeux remplis d’amour,
les mains vides et le cœur plein de désirs.
Nous nous tournons vers toi
qui nous fais voir ton Fils, notre Seigneur.
Nous levons nos mains
pour recevoir le Pain de la Vie.
Nous ouvrons tout grands nos cœurs
pour accueillir le Prince de la Paix.

Mère de l’Église,
tes fils et tes filles te remercient
pour ta parole de foi qui traverse tous les âges,
montant d’une âme pauvre, pleine de grâce,
préparée par Dieu pour accueillir
le Verbe dans le monde
afin que le monde lui-même puisse renaître.
En toi, s’annonçait comme une aurore
le règne de Dieu,
règne de grâce et de paix,
règne d’amour et de justice,
né du mystère du Verbe fait chair.
L’Église répandue à travers le monde
s’unit à toi pour louer Celui
dont la miséricorde s’étend d’âge en âge.

O Stella Maris, lumière de tous les océans
et maîtresse des profondeurs, […]

garde tous tes enfants à l’abri du mal,
car les vagues sont hautes
et nous sommes loin du port.
Tandis que nous avançons
sur les océans du monde,
et que nous traversons les déserts de notre temps,
montre-nous, ô Marie, le fruit de ton sein,
car, sans ton Fils, nous sommes perdus.

Prie pour que
nous ne tombions pas en chemin,
pour que, dans nos cœurs
et dans nos esprits,
en paroles et en actes,
dans les jours de tumulte
et dans les jours de calme,
nous gardions toujours
les yeux fixés sur le Christ en disant:
« Qui est-il donc celui-là,
que même le vent et la mer lui obéissent ? ».

Notre-Dame de la Paix,
en qui toutes les tempêtes s’apaisent peu à peu,
prie pour que l’Église […]
ne cesse jamais de montrer
la face glorieuse de ton Fils,
plein de grâce et de vérité,
afin que les hommes et les femmes

laissent Dieu régner dans leurs cœurs
et qu’ils trouvent la paix
dans le vrai Sauveur du monde.
 

Ô Secours des chrétiens, protège-nous !
Brillante Étoile de la mer, guide-nous !
Notre-Dame de la Paix, prie pour nous !

Pape Jean-Paul II

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 22 novembre 2001, en la vingt-quatrième année de mon pontificat.

L’Annonciation, huile sur toile 2,67 x 1,85 m
Francisco de Zurbarán
Musée des Beaux-Arts de Grenoble.


l’Annonciation, huile sur toile 2,67 x 1,85 m, Francisco de Zurbarán – Musée des Beaux-Arts de Grenoble.
Cette œuvre fait partie d’un ensemble de peintures exécutées par Zurbarán pour la Chartreuse de Jerez de la Frontera près de Cadix. A l’origine, elles composaient un grand retable, démembré en 1837. Quatre d’entre elles appartiennent au musée de Grenoble, la dernière est conservée au Metropolitan Museum de New York.

Francisco de Zurbarán (1598-1664), au sens figuré, est, dans la peinture, un moine soldat. Né dans une petite localité d’Estrémadure entre Madrid et Lisbonne, fils d’un marchand aisé, Zurbarán, entré dès l’âge de seize ans dans l’atelier d’un peintre oublié, devra une large part de son succès, dès le début de sa carrière, aux commandes des couvents de Séville, alors l’une des grandes villes d’une Espagne prédominante en Europe et largement ouverte sur le Nouveau Monde. Appelé en 1634 à la cour où règne alors Philippe IV il sera amené à traiter des sujets mythologiques ou historiques qui ne sont pas au plus haut de son œuvre, mais où, en même temps, il approfondit sa connaissance de la peinture de la Renaissance et du baroque européen. En fait, Zurbarán est pour l’essentiel un peintre de sujets religieux. Sans doute assez pieux lui-même, il ne fait que se conformer à l’esprit du temps et du concile de Trente, qui a fermement invité les artistes à faire vivre les saintes écritures, la vie et la mort du Christ, les scènes de la vie des saints. Singulier programme, puisqu’en faisant entrer le Christ dans les auberges, selon les mots du Caravage, on faisait entrer aussi et sans le vouloir, les hommes bien réels des auberges dans l’Église.

Des figures d’une profonde humanité
C’est dans ce registre que Zurbarán excelle, aussi bien en donnant à ses figures une profonde humanité qu’en exaltant les démarches les plus ascétiques. Sa Vierge à Nazareth de 1645, par exemple, pose sur le Christ enfant, qui vient de se piquer au doigt avec une épine, un regard empreint de la secrète douleur d’une mère qui pressent son destin. Mais c’est dans les figures de saint François d’Assise et celles de ses moines en robes de bure, dans un dépouillement extrême, que Zurbarán va atteindre aux sommets de la peinture, par la géométrisation des formes, l’absence de décor et d’anecdote, ses harmonies sombres de brun et de beige. Picasso s’en souviendra qui reprendra une de ses peintures dans sa période cubiste. Une crucifixion remarquable met un peintre au pied de la croix. Elle est d’un minimalisme stupéfiant, le corps du Christ s’inscrivant sur un fond sombre uni. Rien d’autre là que l’essentiel, comme avec un petit tableau bien connu de tous les admirateurs de Zurbarán: un verre d’eau sur une coupe en argent et une fleur.

L’Annonciation, 1638 – 1639
Zurbarán est avec Velăsquez et Murillo le plus grand peintre espagnol du Siècle d’or. Ce tableau, ainsi que les trois autres, provient du grand retable de la Chartreuse de Jerez de la Frontera démembré en 1837. Acquises par le Général de Beylié en 1904, les quatre toiles furent aussitôt offertes au musée.

Cette Annonciation triomphale associe les exigences de lisibilité de l’œuvre aux consignes des exégètes de la Contre-Réforme. La répartition à gauche et à droite de la Vierge et de l’Ange est relayée par les verticales des colonnes qui unissent le ciel et la terre. Cette disposition donne à la composition un aspect puissamment frontal. L’alternance de zones sombres et claires, l’insertion peu vraisemblable du paysage au deuxième plan confèrent au décor un aspect théâtral marqué.

Zurbarán refuse la surcharge décorative maniériste. Il prend soin d’isoler les objets qui acquièrent ainsi une présence monumentale inaccoutumée. La valeur symbolique des natures mortes, lys, linge blanc, livre, s’accompagne d’une aura méditative soulignée par l’attitude grave et recueillie des personnages. Ceux-ci, idéalisés sans mièvrerie, font face au spectateur et le prennent à témoin de l’accomplissement de la volonté divine. La couleur modulée par la lumière donne un relief puissant aux éléments du registre inférieur. Le traitement du ciel et des anges est d’une facture plus moelleuse et diffuse. Cette œuvre, probablement la dernière réalisée pour le retable, montre la disponibilité de Zurbarán aux influences italianisantes.

Histoire des oeuvres de Zurbarán du musée de Grenoble :
Lorsque les Français ont occupé la région en 1810, la chartreuse a servi de cantonnement de troupes et a été sévèrement endommagée. Les chartreux ont été obligés de s’enfuir à Cadix et à leur retour ont pu réparer en partie les dégâts. Avec le désamortissement de Mendizabal, les œuvres de Zurbarán sont expropriées. La plupart se trouvent au musée de Cadix (L’Apothéose de saint Bruno et quatre petites toiles représentant les Évangélistes, Saint Laurent et Saint Jean-Baptiste), d’autres sont au Metropolitan Museum of Art de New York (La Bataille de Xérès), et au musée de Grenoble en France (L’Annonciation, La Circoncision, L’Adoration des bergers et L’Adoration des rois mages), ainsi qu’au musée de Poznan en Pologne (La Vierge du Rosaire)

Adoration de bergers
Francisco de Zurbarán
Musée des Beaux-Arts de Grenoble.
Adoration des Rois Mages
Francisco de Zurbarán
Musée des Beaux-Arts de Grenoble.

http://www.museedegrenoble.fr/1723-xiie-xvie-siecle.htm

Remarque : la biographie de F. de Zurbarán a été publiée dans le journal l’Humanité le 04.02.2014 à l’occasion d’un exposition que le Palais des beaux-arts de Bruxelles a consacrée au maître espagnol du XVIIe siècle en 2014, la première grande exposition depuis vingt-cinq ans.
J’ai seulement apporté quelques très légères modifications de style mais je souscris sans réserve… non sans préciser que par conviction je ne participe pas de la ligne éditoriale de l’Humanité !

Notre-Dame de Vladimir (début 12e siècle)
Tempera sur bois, 104 × 69 cm, galerie Tretiakov, Moscou.

L’icône de la Vierge de Vladimir est connue en Russie depuis 1131 alors qu’elle était apportée de Constantinople à Kiev.

En 1155, le prince André Bogolioubski partit vers le Nord pour fonder une nouvelle capitale. Ce fut Vladimir. Il apporta avec lui l’icône de Kiev. Il était captivé par sa splendeur. C’est à cette époque que l’icône commença à opérer des miracles et attira de nombreux fidèles.

En 1395, l’icône était transportée à Moscou. À trois reprises, lorsque menacée par une invasion de l’est, Moscou était sauvé par une intervention miraculeuse impliquant l’icône. L’icône se distingue par le bras de l’Enfant autour du cou maternel. Le visage de la Vierge qui nous regarde est empreint de chaleur et compréhension humaine, mais aussi d’une profonde tristesse.

Aujourd’hui, les pèlerins affluent toujours en grand nombre de toute la Russie, vers la Vierge de Vladimir.

L’icône de la Mère de Dieu, appelée aussi « icône de Vladimir», est conservée aujourd’hui dans la galerie Tretiakov à Moscou. C’est une icône dite miraculeuse du type Éléousa (tendresse miséricordieuse).

C’est une des plus anciennes icônes de ce type et, sans doute aussi, l’une des plus connues en Occident.
Histoire de l’icône de Vladimir : http://spiritualite-orthodoxe.blogspot.com/2008/12/histoire-de-licne-notre-dame-de.html
Galerie Tretiakov : https://www.tretyakovgallery.ru/

Mater dolorosa – Musée des Beaux Arts de Strasbourg

El Greco ou Le Greco, de son vrai nom Domínikos Theotokópoulos, naît en 1541 en Crète. Il s’est probablement formé en peinture byzantine et donc en icônes dans sa ville natale. Au milieu des années 1560, il quitte la Crète, alors sous administration de la République de Venise, pour l’Italie. Il se rend d’abord à Venise où il travaille dans l’atelier du Titien puis il part pour Rome en 1570 où il se met au service du cardinal Farnèse.

C’est en 1576 qu’El Greco part pour l’Espagne où de grands projets artistiques sont engagés par Philippe II. Il s’arrête à Tolède et devient vite très apprécié, les commandes affluent. C’est pour l’Eglise San Tomé de Tolède qu’il réalise ainsi ce qui est considéré comme son chef d’œuvre, « L’enterrement du comte d’Orgaz ». Il peint essentiellement des sujets religieux et des portraits pour l’aristocratie et l’élite du clergé. Son style lui est très personnel, un mélange d’art byzantin et de maniérisme italien, des aplats de couleur qui s’approchent à la fin d’un certain expressionnisme. Il meurt à Tolède en 1614.
https://youtu.be/xaHraGVygBE
https://www.franceculture.fr/…/le-greco-14-la-ligne-de-joie…
https://www.franceculture.fr/…/le-greco-va-au-dela-de-la-ma…

The Virgin Mary in Prayer – 1518
Albrecht Dürer (1471 – 1528)
Oil on linden panel – Staatliche Museen, Berlin


Albrecht Dürer : Le visionnaire mélancolique

(cf. Isabelle Grégor – Source https://www.herodote.net/Le_visionnaire_melancolique-synthese-2354.php

« Ici je suis un seigneur, là-bas un parasite ». Cette constatation cruelle que fait l’Allemand Dürer à son retour d’Italie montre bien le caractère ambivalent de celui qui fut un des fers de lance de la Renaissance artistique et intellectuelle : il était en effet à la fois sûr de son génie et angoissé de ne pas être à la hauteur, de ne pas pouvoir atteindre la perfection tant espérée.
Faisons mieux connaissance avec ce génie visionnaire dont le grand humaniste Érasme semblait avoir pressenti l’immortalité lorsqu’il déclara : « Un artiste comme lui serait digne de ne jamais mourir ».
L’incarnation de la Renaissance allemande
Albrecht Dürer a-t-il eu conscience de naître au bon moment ? Il va en effet vivre les derniers feux du Moyen Âge dont on retrouve la flamboyance gothique dans le chaos apparent de certaines de ses gravures, surchargées et violentes. Les planches foisonnantes de son Apocalypse, gravées pendant les dernières années du XVe siècle, reflètent ainsi les inquiétudes d’une époque pénétrée de l’angoisse millénariste de la fin des temps. Mais Dürer sut aussi se mettre à l’écoute des prémices de la Renaissance dont il devint un des plus dignes représentants : graveur, peintre, mathématicien, passionné d’anatomie et théoricien de l’Art, il a réussi à intégrer le vaste réseau d’éminents savants et intellectuels européens qui travaillèrent à donner naissance à ce nouveau courant de pensée. Il s’y fit d’ailleurs sans aucun doute apprécier, si l’on en croit les témoignages de tristesse qui se multiplièrent dans les correspondances à l’annonce de la mort de celui qu’on appelait l’Apelle allemand ».
[Appelle, peintre du IVe siècle av. J.-C. Célèbre pour son interpellation d’un cordonnier qui, regardant une de ses oeuvres, s’est pris à critiquer la manière dont il avait peint une sandale : « Ne ultra crepidam ».]
Même s’il n’eut pas lui-même à proprement parler d’éducation classique, il parvint à force de curiosité à acquérir une culture suffisante pour se mettre à la hauteur de ses contemporains érudits. Les voyages, lectures et expériences diverses qu’il multiplie montrent également sa soif de découverte et de savoir. Il ne cesse de s’intéresser au monde qui l’entoure, que ce soit les peuples lointains, les animaux familiers ou exotiques, les plantes, même les insectes. Il va également à la fin de sa vie se consacrer à la rédaction d’ambitieux ouvrages théoriques pour poursuivre ses réflexions et partager ses connaissances, convaincu à la fois d’être un grand artiste et de rester un amateur dans la poursuite de la perfection.

Quentin Massys (ou Metsys) – La Vierge à l’Enfant

Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

Quentin Metsys (né en 1466 à Anvers ou à Louvain, mort en 1530 à Anvers le 14 septembre) est un peintre de la renaissance flamande, l’un des pionniers de l’école d’Anvers. Son prénom et son nom sont orthographiés de plusieurs manières : Quinten ou Kwinten, Massys, Metsys ou encore Matsijs.

Né de Joost Massys, un forgeron, et de Katharina van Kinckem, il suit une formation de forgeron avant de se tourner vers la peinture. En 1517, par l’intermédiaire de Pierre Gilles, il fait la connaissance d’Erasme de Rotterdam et de Thomas More qui le tenaient pour un artiste de premier plan. Il est également admis que Dürer lui rendit visite pendant son séjour à Anvers en 1520-15212, et il qu’il entretenait des liens avec les peintres allemands dont Holbein et Lucas de Leyde. Il fut ainsi un artiste célèbre et prisé qui a jouit d’une belle aisance matérielle.

Ses tableaux se partagent entre œuvres religieuses, œuvres moralisatrices et portraits. Dans sa peinture religieuse, Metsys voue une attention particulière à l’expression des personnages qui va parfois jusqu’à la caricature, et il joue sur les oppositions. Il accentue la mélancolie des saints et la tendresse de la Vierge vis-à-vis de son enfant.

Source : https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/metsys/metsys.htm

Arcabas – Les pèlerins d’Emmaüs – https://musees.isere.fr/page/musee-arcabas-en-chartreuse-collections

Suite d’un commentaire à un avis sur le livre du cardinal Sarah : …/… Soyez remerciée pour votre longue réponse.

Je vous envie de pouvoir lire autant et de livrer avec beaucoup de densité le fruit de vos lectures.

Je ne doutais pas que vous ayez lu dans son intégralité le livre du cardinal Sarah répondant aux questions de Nicolas Diat.

Je reviens sur le livre et nos impressions respectives.

J’ai moi aussi lu les deux premiers volets de la « trilogie », « Dieu ou rien » et « La Force du silence ». Je lis actuellement « Le soir approche et déjà le jour baisse …». Comme à mon habitude je lis toujours en prenant des notes, ce qui prend du temps.

Je partage mais d’une certaine façon seulement votre sentiment global sur ce dernier livre. Le titre est révélateur. Comme vous le savez ce sont les mots des pèlerins d’Emmaüs alors même que leur « compagnon de voyage » s’apprête à les quitter. « Le soir approche et déjà le jour baisse…[1] ». Les disciples l’invitent à rester avec eux.

Et c’est la rencontre avec Jésus ressuscité qui change les sombres perspectives qu’ils ont sur l’avenir.

Le titre nous dit beaucoup sur ce que le cardinal Sarah veut transmettre. La couverture est, elle-aussi, pleine de sens. Dans l’avant-propos qui introduit le livre il se confie : « Dans peu de temps, je paraîtrai devant le Juge éternel ». Il poursuit son chemin et semble déjà tourner le dos au monde.

Il ne cache pas dans son avant-propos qu’il est conscient de la fermeté de son langage qui pourra choquer, voire qui ne sera pas reçu. Mais il commence par un avertissement que nous devons entendre : « Je ne peux plus me taire. Je ne dois plus me taire ».

L’histoire du cardinal Sarah, comme celle d’un certain nombre de témoins, est emblématique parce que ces personnes ont vécu des drames dont certains peuvent bien être qualifiés de tragédies.

Je ne parlerai pas de Jean Paul II.

J’ai terminé il y a peu un livre qui m’a passionné à double titre. C’est la biographie du cardinal François Xavier Nguyên Van Thuân écrite par Anne Bernet. Le Viêt Nam, que j’aime aussi appeler l’Indochine, non par nostalgie mais parce que ce pays qui a beaucoup souffert au XX° siècle, a une histoire tellement liée à la France. Je passe sur les erreurs tragiques aux causes multiples, qui ont abouti au désastre de Ðiện Biên Phủ et je garde l’épopée des missionnaires, des médecins, de tant de ceux qui sont partis là-bas avec la conscience d’œuvrer pour la civilisation. Nous oublions peut-être un peu trop, en Occident, que la civilisation n’est pas née chez nous. L’histoire est plus universelle et il y a civilisation là où vivent des hommes.

Vous dites que dans son livre, le cardinal Sarah fait peu de place à l’espérance. Je ne le pense pas. L’espérance n’ouvre pas un chemin dégagé, libéré de tous les obstacles. C’est un chemin qu’il faut aussi construire. Il est vrai que le constat est dur. Mais un constat se fonde sur la réalité des faits et « les faits sont têtus[2] ».

Comment voir l’espérance ? Si elle consiste simplement à attendre que les choses passent parce que l’évolution naturelle est la caducité du passé emporté par le changement, alors on ne vit pas d’espérance, on se contente de laisser le temps passer. « Panta rhéi[3]. »

Le cardinal Sarah et le cardinal Nguyên Van Thuân ont tous les deux parcouru un trajet historiquement lourdement chargé.

François Xavier Nguyên Van Thuân a passé 13 ans de sa vie en captivité, de prison en isolement, sous le régime communiste vietnamien à partir du mois de juillet 1975.

Le cardinal Sarah a vécu sous la dictature de Sékou Touré.

On peut dire ce qu’on veut, qu’ils sont trop marqués par ce qu’ils ont connu … pendant que l’Occident changeait, évoluait, transformait la société. … On ira jusqu’à dire qu’ils sont des hommes du passé… qu’ils sont dépassés !

Je ne sais pas -et je ne vous le demande pas- quel est votre lien personnel avec l’Église. Il est a priori bienveillant. Mais j’insiste sur un point que je partage : le diagnostic du cardinal Sarah est juste. Il est sombre … mais, sans tomber dans la désespérance, il ne sert à rien de vouloir le repeindre en vert ou en rose !

Et le faire ce serait accepter l’inacceptable, affirmer qu’on respecte mieux la liberté en tolérant n’importe quelle pratique concernant les fondamentaux qui touchent à la vie et qu’assume pleinement la doctrine catholique … si on admet, sans condescendance, que la doctrine n’est pas un carcan mais l’architecture de l’Église qui lui permet de subsister après 2000 ans dans la fidélité à Jésus-Christ et au message qu’il nous a transmis dans les quatre Évangiles. Vous relevez à juste titre un « détail » … [je mets des « » parce que pour moi ce n’est pas simplement du détail] : l’attachement du cardinal à (l’orient)ation. Il faut lui donner son sens authentique. La liturgie n’est pas un catalogue froid et rigide de rituels, de gestes, de pratiques !

Pour m’expliquer, permettez-moi de prendre un exemple peut-être un peu caricatural mais seulement au sens de l’image : le signe de la Croix qui est le plus emblématique du chrétien. Combien de fois un chrétien le fait-il ? Sans doute trop souvent machinalement. Pendant les persécutions des chrétiens -je pense au Japon, au film « Silence » et au roman de Shûzaku Endô … [cf. https://www.calamus-scriptorius.org/silence-le-livre-et-le-film/], les persécuteurs exigeaient des chrétiens qu’ils piétinent la Croix. Ils avaient bien compris que l’important n’était pas simplement le signe mais ce qu’il révélait, sa signification profonde. Et c’est d’ailleurs la question qui reste posée dans le roman [et dans le film] à propos de père Rodrigues.

Je reviens à mon sujet. Le cardinal Sarah est sombre mais il est vain de vouloir cacher les ombres pour ne voir que la lumière. Une ombre n’a d’existence que parce que la lumière se projette sur les objets. Les ombres que dénonce le cardinal Sarah ne relèvent pas d’un pessimisme qui empêcherait de voir la lumière.

Je suis médecin et ma spécialité me conduit vers les maladies les plus graves. Si je ne regarde que le diagnostic que je pose il y a de quoi désespérer. Mais alors, exercer la médecine serait le pire de tous les métiers si on ne voyait que la maladie. Le cardinal Sarah a dressé un diagnostic et il était nécessaire de le porter. D’ailleurs il n’est pas le seul à le dresser. Mais c’est le premier temps et le temps nécessaire pour passer au suivant : prendre les mesures.

Si l’on se contente d’un regard fuyant, qui évite ce qui fait mal, il sera impossible d’avancer. Il n’est pas question de revenir en arrière. Reproche que trop souvent on adresse à l’Église que l’on qualifie de rétrograde. Le temps de l’Église n’est pas le temps des événements et moins encore celui des médias. Il faut laisser « du temps au temps ».

Vous dites que le livre est « sans concession pour l’Occident ». Il est vrai que le cardinal Sarah n’est pas un occidental par ses origines mais sa culture l’est profondément. Et j’oserais ajouter que sa propre culture lui permet d’avoir un regard plus juste même si plus distancié. Permettez-moi de revenir sur ce que je disais plus haut à propos de la référence à l’Occident. Ne faudrait-il pas, sans faire un tri artificiel a posteriori, avouer que l’Occident porte de lourdes responsabilités dans l’évolution du monde tel qu’il est. Et d’ailleurs, suis-je vraiment autorisé à dire « l’Occident » ? Ne devrait-on pas plutôt dire ce que nous avons fait de l’Occident.

J’ai fait référence à ces deux cardinaux, l’un africain, l’autre asiatique. Ils ont tous deux reçu et accepté l’empreinte occidentale dans leur esprit, dans leur cœur. Cependant sans rien renier de leurs origines. Mais nous, qu’avons-nous accepté de l’Afrique, de l’Asie … et de tant d’autres cultures ? Nous fonctionnons souvent comme ceux qui donnent … – et encore faudrait-il approfondir cet notion du don – mais que donnons-nous et comment donnons-nous ? En revanche nous n’acceptons de donner souvent qu’à la condition de ne rien perdre parce que, n’est-il pas vrai que nous avons trop la conviction que nous sommes supérieurs ?

Une analyse objective du texte du cardinal Sarah ne démontre-t-elle pas que l’Occident a exporté la civilisation mais aussi les déchets de la civilisation. Et c’est cet héritage dégradé que dénonce le cardinal Sarah. Comme d’ailleurs le faisait le cardinal Van Thuân.

Vous écrivez : « Peut-être que de temps en temps, j’aimerais lire que nous habitons un pays merveilleux et que nous devrions nous réjouir, peut-être que je finis par me dire que notre époque au fond n’est pas pire que les précédentes à bien s’y pencher. »

Pour ma part je lis « Le soir approche et déjà le jour baisse … » non pas comme les thrènes prophétiques d’un monde qui va mourir. Ma conviction est qu’il est salutaire d’entendre, même si cela fait mal, ce long réquisitoire non comme une condamnation mais comme un vibrant appel à réagir. Allons-nous sauver le monde qui, quoiqu’on en pense, porte la responsabilité de sa décadence dans l’abandon des valeurs qui lui ont donné ses lettres de noblesse… Mais quelles sont-elles ? Les reconnaît-il encore ?

Le cardinal Sarah cite le magnifique discours d’Albert Camus à Stockholm à la réception du prix Nobel de Littérature en 1957. Il répond à une question sur la théorie du genre. Il rappelle les moyens financiers considérables qui ont été investis pour diffuser cette idéologie dans le monde entier. Il s’adresse à ceux qui « aux yeux des hommes sont sans pouvoir et sans influence ». Il leur dit : « Votre mission est grande », et il poursuit avec les mots d’Albert Camus. « Elle consiste à empêcher que le monde se défasse, …/… à restaurer un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. … Les grandes idées viennent dans le monde sur des pattes de colombe. Peut-être alors, si nous prêtions l’oreille, entendrions-nous, au milieu du vacarme des empires et des nations, comme un faible bruit d’ailes, le doux remue-ménage de la vie et de l’espoir. … Je crois que cet espoir est suscité, ranimé, entretenu, par des millions de solitaires… pour faire resplendir fugitivement la vérité toujours menacée que chacun, sur ses souffrances et sur ses joies, élève pour tous. »

… Il ne reste rien d’autre à dire après ces paroles. Il faut se taire, méditer et espérer.

[1] Luc 24, 29

[2] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/vil19171017.htm

[3] « Πάντα ῥεῖ » Héraclite d’Éphèse.

Silence

Titre original du livre de Shûsako Endô (1966) : Chinmoku

         Il a beaucoup été question de l’auteur et du roman éponyme à l’occasion de la sortie en 2017 du film de Martin Scorsese « Silence ». La qualification « roman » du livre se justifie par le mode sur lequel l’auteur l’a écrit mais qui plonge dans l’histoire bien réelle du christianisme au Japon ainsi que des principaux personnages. 

         Dans l’avant-propos Shûzaku Endô pose le contexte : « Les nouvelles parvinrent à l’Église de Rome. Christophe Ferreira, envoyé au Japon par la Compagnie de Jésus portugaise, après avoir subi le supplice de « la fosse » avait apostasié à Nagasaki. Missionnaire tenu en haute estime, il avait passé trente-trois ans au Japon, occupé la position élevée de provincial et avait été une source d’inspiration tant pour les prêtres que pour les fidèles. C’était aussi un théologien très averti et, pendant les persécutions, il s’était clandestinement rendu dans la région de Kamigata, afin d’y poursuivre son apostolat. Les lettres qu’il envoyait à Rome témoignent d’un courage indomptable, aussi paraissait-il impensable qu’un tel homme pût trahir sa foi, si terribles que fussent les circonstances devant lesquelles il fut placé ».

         Et de préciser « A partir de 1587, le régent Hideyoshi, contrairement à son prédécesseur entreprit une effroyable persécution. Elle débuta par la « Crucifixion des Vingt-six », prêtres et fidèles exécutés à Nishizaka[1], à Nagasaki. Partout ensuite, et dans tout le pays, les chrétiens furent chassés de leurs foyers, torturés et cruellement mis à mort ».

Mémorial des 26 martyrs (Nagasaki – Nishizaka Hill)

         Le film, dont le scénario est déjà écrit puisque Scorsese a lu le livre et, à l’en croire, porte en lui cette histoire jusqu’à l’obsession depuis plus de 20 ans, est l’occasion de revisiter l’histoire du christianisme et plus particulièrement au Japon.

         Au XXI° siècle cette histoire vécue prend un relief tout particulier dans un monde qui subit depuis de longues années sur un mode traumatique omniprésent, un choc des religions selon des modalités très diverses. Traumatisme, non pas que les religions soient la cause de cette vision pathologique, mais parce que les déviations sont de plus en plus fréquentes qui jettent sur elles l’ombre de la suspicion, de la méfiance jusqu’au rejet.

         « Silence » ayant pour théâtre le Japon et la relation très conflictuelle que le christianisme a entretenu avec la civilisation japonaise, il est intéressant de lire Silence et de voir le film comme le récit de l’histoire de l’enracinement de l’évangélisation dans des terres qui avaient une tradition philosophique et religieuse très éloignée du christianisme.

         Il ne s’agira pas tant dans cette note de lecture de raconter l’histoire que d’essayer de plonger dans les racines de la présence chrétienne au Japon.

         Pour commencer il est utile de préciser quelques données biographiques sur l’auteur du livre, Shûzaku Endô.

         Né à Tokyo en 1923, il est mort à Tokyo en 1996. Il est l’auteur de nombreux romans dont le fil directeur est étroitement tressé autour de la religion catholique. Il est souvent présenté comme converti au catholicisme mais il tient à préciser lui-même, quand on l’interroge sur son baptême reçu à l’âge de 12 ans[2] : « J’insiste sur l’emploi de la forme passive parce que mon baptême n’était pas, de ma part, un acte libre ».

         Un séjour en France, à Lyon, de 1950 à 1953 pour étudier la littérature, ouvre un horizon nouveau devant lui, japonais et catholique, découvrant l’affrontement entre la culture de son pays d’origine et celle de la France dont les racines plongent dans le terreau chrétien de toute l’Europe. Shûzako Endô parlera de son catholicisme en ces termes : « J’ai reçu le baptême quand j’étais enfant. Autrement dit, mon catholicisme était une sorte de prêt-à-porter. (…) J’étais décidé à faire de ce prêt-à-porter quelque chose qui corresponde à mon corps ou à m’en débarrasser et trouver un autre costume qui m’aille. (…) Plusieurs fois j’ai pensé à me débarrasser de mon catholicisme mais finalement j’en ai été incapable. Je ne l’ai pas fait parce que je n’ai pas pu. La raison doit en être qu’après tout il faisait partie de moi. Le fait qu’étant jeune il m’ait ainsi profondément pénétré est un signe… »

         Il écrit son premier roman en 1954 mais c’est l’année suivante qu’il publie Shiroi Hito (L’Homme blanc) pour lequel il est lauréat du prix Akutagawa, le prix littéraire le plus prestigieux du Japon.

         Graham Greene, qui peut lui être comparé sous l’angle de la foi catholique, disait de son œuvre qu’elle était « celle d’un des plus grands romanciers de notre temps ».

         Shuzaku Endo rentré au Japon après son premier séjour en France et, malgré l’obstacle qu’il voit à faire comprendre le message de l’Évangile au Japon, adopte le parti de présenter le Christ comme « un pauvre, faible et sans défense, submergé par la douleur, impuissant et prêt à pardonner. Un Christ insensible aux honneurs comme aux titres, aux traditions  et à l’argent. (…) Endô livrait ainsi à ses compatriotes non croyants des perspectives originales sur le Dieu des chrétiens, en dehors de toute spéculation[3] ».

         L’histoire de Silence suit le cours historique introduit dans l’avant-propos ci-dessus.

         Informés du bruit qui court de l’apostasie de leur maître qu’ils tenaient en haute estime, trois jeunes prêtres demandent à partir à sa recherche au Japon, malgré l’édit d’expulsion qui frappe les missionnaires catholiques et les persécutions qui sévissent.

         Seulement deux parviendront à mettre le pied au Japon et entreprendront un périlleux voyage. Ils embarquent sur un bateau marchand, accompagnés par un japonais, Kichijiro, rencontré à Macao. Ce dernier se révélera progressivement comme un chrétien apostat qui a sombré dans la déchéance, ayant fui le Japon alors que sa famille a été anéantie par la persécution. Parvenus au Japon, guidés par Kichijiro, les deux prêtres partent à la recherche de communautés chrétiennes qui pourraient les informer sur le père Christophe Ferreira.

         Ils doivent se séparer quand le danger d’être arrêtés se fait plus pressant. Sébastien Rodrigues est arrêté le premier, trahi par Kichijiro. Commence alors pour lui un long calvaire physique autant que moral, qu’il va parcourir, à travers les épreuves et les trahisons, exerçant chaque fois que possible son ministère auprès des catholiques cachés, jusqu’à la rencontre de Christophe Ferreira et ce parcours sera une descente progressive dans le questionnement tourmenté de la foi… de sa foi.

         L’inquisiteur Inoué construit le piège dans lequel il veut entraîner Sébastien Rodrigues autour de l’argument : « Le Japon est une terre marécageuse. Les racines du christianisme ne peuvent qu’y pourrir ». Et le père Rodrigues succombera non sans une ultime résistance. Mis en présence de Ferreira, son maître qui a apostasié, l’interprète d’Inoué le presse de fouler aux pieds l’efumi[4].

Gravure symbolisant l’efumi

         A la fin du roman, Shûzaku Endô fait intervenir le Christ qui « parle » à Rodrigues : « Piétine ! piétine ! mieux que personne je sais la douleur qui traverse ton pied. Piétine ! C’est pour être foulé aux pieds par les hommes que je suis venu au monde. C’est pour partager la souffrance des hommes que j’ai porté ma croix. Le prêtre pose le pied sur l’efumi. L’aube éclate. Au loin, le coq chante[5] ».

         Quelles que soient nos convictions il est impossible de rester insensible devant cette tragédie qui a parfois des accents cornéliens.

         Ce bref résumé ne laisse qu’entrevoir la trame intime du récit qu’il faut suivre page après page et qui s’inscrit autour de ce silence présenté comme le silence de Dieu qui paraît insensible à la souffrance de ceux qui, comme Sébastien et les chrétiens cachés, semblent avoir été abandonnés.

         Il faut lire le livre sans jamais perdre de vue son auteur. Ce qu’il dit à propos de son baptême est complété par cette ultime conclusion : «… Je pense qu’il avait fini par grandir avec moi » dit-il, parlant de son catholicisme.

         Toute son œuvre est profondément marquée par le sceau du baptême reçu quand il était enfant mais qu’il reconnaît comme une marque « passive », difficilement assumée par son identité japonaise.

         Faut-il aussi lire dans Silence les reproches cinglants de l’inquisiteur japonais Inoué qui veut faire apostasier Sébastien Rodrigues comme ceux-là mêmes que serait à même de se faire Shûsaku Endô ?

         Même si Silence reprend des faits historiques incontestables concernant l’entreprise de la christianisation au Japon, il n’en demeure pas moins que tout le récit mérite la qualification de « roman ».

         Au demeurant, la trame reste cependant celle de la question toujours actuelle de l’évangélisation.

         Quand on considère l’évangélisation à partir de la première mention de l’envoi missionnaire : «  Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde[6] », et si l’on suit cette longue histoire, ce qui apparaît en premier c’est le terrain sur lequel s’enracine ce mouvement : un terrain hostile qu’il faut travailler durement. Et cette même histoire s’est reproduite sur le même mode avec des variations dans tous les pays où le message de Jésus-Christ s’est implanté. La réflexion qui porte sur les conditions et l’adversité -les oppositions de toutes sortes- est légitime mais partir de l’a priori idéologique selon lequel certains terrains sont impropres parce que leur idiosyncrasie les rend imperméables au message est une erreur. Partout et toujours, les persécutions anti chrétiennes ont pour origine un conflit dont l’origine est humaine, né de l’incompréhension et souvent de frustrations, dont le principal motif est une rivalité de pouvoir.

         La christianisation du Japon qui a été initiée par saint François Xavier en 1550 a été florissante et a touché tous les milieux sociaux[7], y compris les intellectuels et les notables jusqu’à ce que des rivalités opposant les européens, pour des motifs qui n’ont rien à voir avec l’évangélisation, provoquent le rejet par les autorités et notamment Hideyoshi qui, d’abord tolérant, finit pas déclencher l’exclusion des missionnaires et la persécution des chrétiens dont les 26 martyrs de Nagasaki le 5 février 1597.

        Dans le livre quand Sébastien Rodrigues est confronté à Christophe Ferreira le dialogue qui les oppose est presque surréaliste.

        – « Vous et vos pareils, dit Ferreira, ne voyez du travail des missionnaires que les dehors, vous n’en considérez pas l’amande. Il est vrai qu’au cours  de mes vingt ans de travail à Kyoto, en Kyushu, en Chugoku, à Sendaï et ailleurs, des églises furent bâties, des séminaires fondés à Arima et Azuchi, et que les Japonais se convertissaient à qui mieux mieux. Le chiffre même de 200 000 chrétiens est une estimation prudente, il y en eut, à une certaine époque, jusqu’à 400 000.

        …/…  Certes, si les Japonais avaient été amenés à croire au Dieu que nous leur prêchions, mais dans les églises qui furent construites dans tout le pays, ils ne priaient pas le Dieu des chrétiens. Ils l’avaient adapté à leur mode de pensée d’une façon que nous ne saurions imaginer. Si vous appelez ça Dieu … Non ce n’est pas là Dieu. »

        – « Pas du tout, répond Rodrigues, je refuse d’écouter vos propos insensés. Il n’y a pas longtemps que je suis au Japon, mais de mes propres yeux, j’ai vu les martyrs.» Il se voila le visage et poursuivit entre ses doigts : « de mes propres yeux je les ai vus mourir, brûlant de foi. »

         … Et longtemps après, alors que le retour de prêtres au Japon se fait progressivement dans le silence : « Un mois environ après l’inauguration de l’église d’Oura, le 17 mars 1865, le P. Bernard Petitjean vit de sa fenêtre un groupe de douze à quinze personnes, hommes, femmes et enfants, qui se tenaient avec respect devant la porte fermée de l’édifice. …/… Pendant deux cents ans les chrétiens avaient vécu sans aucun prêtre pour leur administrer les sacrements ou leur venir en aide, sans possibilité d’entrer en relation avec l’Église dans le reste du monde. Et pourtant ils avaient gardé « le même cœur » que les chrétiens d’Europe. …/… Un jour un chrétien venu des Gotô se présenta accompagné d’un « baptiseur » qui, après avoir exposé sa dévotion au chapelet, récité sans Gloria Patri comme c’était la coutume au XVIIe siècle, posa ensuite deux questions : les missionnaires connaissent-ils le chef du Royaume de Rome ? les missionnaires sont-ils mariés ? Le baptiseur se réjouit d’entendre la réponse : le nom du Pape, Pie IX, et l’annonce que les missionnaires gardaient le célibat. Il sembla que, pour lui, les trois signes les plus évidents de la foi catholique des nouveaux arrivés avaient été la dévotion à Marie, l’union avec le successeur de Pierre et le célibat des prêtres. » [http://www.mepasie.org/rubriques/haut/pays-de-mission/le-japon/]

         Shûzaku Endô autant que Scorsese ont une histoire personnelle qui traverse le récit et dans lequel chacun pourrait endosser l’un après l’autre le rôle des personnages de Ferreira, Rodrigues, Garupe et Kichijiro.

Conclusion

         En filigrane, Silence pose avant tout une question : l’universalité du message évangélique.

         Le « silence de Dieu » n’est pas seulement celui auquel se heurtent les missionnaires dans le contexte particulier de la christianisation du Japon. Il s’est toujours posé depuis les origines. La question quant à elle est pertinente si la réponse n’est pas univoque, voire, chacun a sa propre réponse dans sa vie personnelle.

         Le « silence de Dieu » est autant une question qu’une réponse et le chrétien ne peut opposer à ce « silence » qu’une seule réponse : « Que veux-tu ? Qu’attends-tu de moi ? Me voici ».

[1] Nishizaka Hill est une colline sur laquelle a été érigé, à Nagasaki, le Mémorial des 26 martyrs chrétiens.

[2] Cf. notice biographique in Silence, Shûzaku Endô, Folio Editions Denoël 1992

[3] Cf. Shûzaku Endô, (1923-1996) : Un nouveau Graham Greene au Japon

[4] Au Japon, méthode utilisée par les autorités du shogunat Tokugawa pour repérer les personnes converties au Christianisme, religion alors interdite et persécutée au Japon. Elle consistait à forcer des individus suspects à piétiner une médaille de Jésus ou de Marie devant des officiels.

[5] Silence Folio Editions Denoël , 1992.

[6] Matthieu, 28, 19-20

[7] Le 7 février 2018 se tiendra à Osaka la Messe solennelle de béatification du Vénérable Justo Takayama Ukon (1552-1615), le samouraï du Christ, personnage cher à l’Eglise au Japon & http://eglasie.mepasie.org/asie-du-nord-est/japon/2016-02-18-beatification-d2019un-samourai-chretien-martyr-juste-takayama-ukon-1552-1615

Pizzicatho

2918.01.06

« Dieu par la face Nord » (II)

« Le mot Dieu est ambivalent. Il a un adret et un ubac. Une face sud et une face nord. Quand Nietzsche annonce : « Dieu est mort », il fait référence au dieu personnel, bon, jaloux ou miséricordieux, que le croyant prie dans les églises, mosquées et synagogues. C’est la face sud.

La face nord, il n’en souffle mot. Elle est abrupte, lisse, vertigineuse, sans filet, sans contour, sans fond, nocturne. Certains textes sacrés de l’Inde la désignent par le pronom « cela ». Des soufis, autrefois, l’appelaient al-Haqq, le Réel. Maître Eckart la nomme « déité ». Cela ne meurt pas, cela ne naît pas.

C’est elle que nous voyons aujourd’hui pointer à l’horizon. Cela pourrait être le sens, encore caché, de notre modernité. »

Ainsi l’éditeur, Albin Michel, présente-t-il, avec les mots-mêmes de l’auteur, ce livre paru en avril 2016 avec un bandeau sur lequel s’inscrit l’appréciation sans équivoque signée Emmanuel Carrère : « Un livre essentiel ».Et l’éditeur de préciser que le livre n’est pas sans lien avec « Le  » qu’Emmanuel Carrère a publié en 2014[1].

Et le même E. Carrère de publier dans le Monde des Livres du 23 mars 2016[2] un éloge inconditionnel d’Hervé Clerc dont il affirme être le meilleur ami. Si les deux livres se rapprochent, parce qu’apparemment ils tournent tous les deux autour même sommet, Dieu, qu’Hervé Clerc aborde par la face Nord, ils diffèrent, par le regard que leur auteur respectif porte sur Dieu. Assez lointain pour Hervé Clerc qui avoue n’être ni croyant, ni athée … agnostique (?) et qui se pose des questions sur sa propre existence « Qu’est-ce que je fais là ? Et c’est quoi « je » ? Et c’est quoi « là » ? » Il avoue quand même éprouver de l’attrait pour les religions parce qu’elles expriment du sens ou au moins de la recherche de sens. Quant à E. Carrère, il traîne toujours derrière lui un passé pas totalement éteint de cendres refroidies, celui d’un « ex » qui autour de la trentaine a basculé avec une spontanéité presque brutale, vers l’Église qui lui a ouvert ses portes. Il a « fait sa crise », lassé de trop de psychanalyse, entre deux séances de yoga et est devenu « catho »[3]. Peut-être trop … mais en tout cas pas assez en profondeur pour que l’expérience dure. « À un moment de ma vie, j’ai été chrétien. Cela a duré trois ans. C’est passé. » 

Ancré dans la conviction qu’il faut toujours éviter d’écrire des propos qui pourraient ressortir d’un jugement de la conscience, je me dois d’admettre par principe que sa démarche initiale était sincère. Il l’a d’ailleurs confiée à des notes intimes, comme un journal écrit pendant ces années où il a vécu sa foi, sur un mode très entier. Il aspirait à cette transformation qu’expriment les versets d’Ezéchiel : « J’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair »[4]Mais la foi et la persévérance ne se commandent pas. Carrère aborde la religion comme un bûcheron. Le parcours s’arrête aussi brutalement qu’il a commencé, un Vendredi Saint de l’année 1993. Il confesse : « Est-ce cela perdre la foi ? N’avoir même plus envie de prier pour la garder ? Ne pas voir dans cette désaffection qui s’installe jour après jour une épreuve à surmonter, mais au contraire un processus normal ? La fin d’une illusion. …/… Est-ce que le réel c’est que le Christ n’est pas ressuscité ? J’écris cela le vendredi saint, moment du plus grand doute. J’irai demain soir à la messe de Pâques orthodoxe, avec Anne et mes parents. Je les embrasserai en disant « Kristos voskres », « le Christ est ressuscité », mais je ne le croirai plus. Je t’abandonne, Seigneur. Toi, ne m’abandonne pas. Je suis devenu celui que j’avais peur de devenir. Un sceptique. Un agnostique – même pas assez croyant pour être athée. Un homme qui pense que le contraire de la vérité n’est pas le mensonge mais la certitude »

Hervé Clerc, Emmanuel Carrère, comme encordés sur la même face Nord à la recherche de Dieu, du visage de Dieu ?

Il faut accorder aux auteurs que l’érudition des deux livres suppose des recherches approfondies mais peut-être trop d’érudition les a-t-elle éloignés de l’essentiel… de la réalité de Dieu.

Le Dieu d’Emmanuel Carrère est identifiable : c’est celui qu’il suit dans une des meilleures sources : l’Évangile selon saint Luc. Aujourd’hui il cherche toujours : « Affaire classée, alors ? Il faut qu’elle ne le soit pas tout à fait pour que, quinze ans après avoir rangé dans un carton mes cahiers de commentaire évangélique, le désir me soit venu de rôder à nouveau autour de ce point central et mystérieux de notre histoire à tous, de mon histoire à moi. »

Et Carrère de conclure in fine : « Je ne sais pas ». Il se confie, au fil d’entretiens qui suivent la parution de son livre, sur la motivation qui l’a conduit à coucher sur le papier son expérience de croyant. « Une des choses qui rend le christianisme très singulier, c’est que c’est aussi une création littéraire et même romanesque. » Si on lui demande s’il est chrétien ou non, il répond : « Si, comme moi, on ne croit ni à la résurrection du Christ, ni au fait qu’il soit né des entrailles d’une vierge, on peut en tirer la conclusion que le christianisme est intéressant culturellement –il a produit les cathédrales et la musique de Bach- mais il n’y a pas à s’en soucier davantage en dehors de cet intérêt historico-culturel tout à fait légitime ».

En somme Carrère est un « intermittent de la foi ». Il est de ces hommes qui cherchent sans but précis, sans y mettre vraiment le cœur. Une errance seulement guidée par l’intellectualité à l’état pur qui ne se soucie guère de la spiritualité.

Il est juste quand même de préciser qu’E. Carrère n’a pas prétendu faire œuvre d’exégète et qu’il se refuse à envisager la dimension théologique du texte. Dont acte !

Le Dieu d’Hervé Clerc est enfoui dans la jungle de ses sources qu’il est allé chercher principalement dans les religions de l’Inde et dans l’Islam : « J’ai agencé mon enquête autour d’un certain nombre de noms divins, empruntés les uns à l’hindouisme, les autres à l’Islam –la plus ancienne et la plus récente des grandes religions du monde. …/… Toutes les religions qualifient Dieu même pour dire qu’il est fondamentalement inqualifiable. Ces noms sont dépourvus de caractère dogmatique. Ils n’appartiennent à personne. Chacun peut méditer sur eux, quelle que soit sa religion ou son absence de religion. D’où leur modernité. »

Une histoire introduit le prologue qui lui servira de fil rouge pour son ascension de Dieu par la face Nord : l’histoire bien connue des aveugles qui rencontrent un éléphant. Chacun touche une partie distincte de l’animal et en conclut : « C’est une grosse colonne …, c’est un tuyau rugueux …, c’est une grande balayette …, c’est une corde. » Et Hervé Clerc de conclure : « Alors, pour éviter la confusion, nous devons, à chaque fois, apporter un éclaircissement : quand je dis « Dieu », je ne pense pas à un père ou à un ami, au créateur et au seigneur des mondes que l’on prie dans les temples, églises, synagogues, mosquées, je ne pense pas au guide, sauveur, protecteur des hommes. Je ne sais pas s’il existe mais en tout cas ce n’est pas à lui que je pense ; lui, c’est l’éléphant en morceaux, alors que moi, je tâtonne pour trouver l’éléphant en entier ».

Un regard à la table analytique du livre m’a plongé dans une grande perplexité tant les références sont foisonnantes, voire étourdissantes. Les spiritualités de l’Extrême Orient y tiennent une place de choix, l’auteur ayant antérieurement publié un essai sur le bouddhisme[5]. Un unique chapitre -6 pages, sur 314 pages- s’intéresse au christianisme. Il est consacré à « Maître Eckart : dans le fond et le tréfonds ». C’est quand même bien peu.

Si on a le courage de s’encorder pour une telle expédition -plus de 900 pages tout de même à eux deux- qui vont-ils trouver au sommet de la face Nord ? Dieu … ? Quel Dieu ?

« Je ne sais pas » dit E. Carrère …

« Je ne sais pas s’il existe » conclut H. Clerc.

C’est quand même un lourd investissement pour un résultat aussi décevant.

Est-il si nécessaire de monter si haut, de choisir « la voie abrupte, lisse, vertigineuse… » pour chercher « l’essentiel » ?

Pizzicatho

2016.11.22

A suivre : « Dieu par la face Nord » (III)

[1] Emmanuel Carrère, Le Royaume, P.O.L. 2014

[2] http://www.lemonde.fr/livres/article/2016/03/23/l-ascension-d-herve-clerc_4888843_3260.html

[3] A suivre son parcours on ne sait pas bien à vrai dire si c’est l’Eglise catholique ou l’Eglise orthodoxe.

[4] Ezéchiel, 36, 26

[5] Herve Clerc, Les choses comme elles sont – Une initiation au bouddhisme ordinaire, Folio essais, 2001