Notre-Dame de Vladimir (début 12e siècle)
Tempera sur bois, 104 × 69 cm, galerie Tretiakov, Moscou.

L’icône de la Vierge de Vladimir est connue en Russie depuis 1131 alors qu’elle était apportée de Constantinople à Kiev.

En 1155, le prince André Bogolioubski partit vers le Nord pour fonder une nouvelle capitale. Ce fut Vladimir. Il apporta avec lui l’icône de Kiev. Il était captivé par sa splendeur. C’est à cette époque que l’icône commença à opérer des miracles et attira de nombreux fidèles.

En 1395, l’icône était transportée à Moscou. À trois reprises, lorsque menacée par une invasion de l’est, Moscou était sauvé par une intervention miraculeuse impliquant l’icône. L’icône se distingue par le bras de l’Enfant autour du cou maternel. Le visage de la Vierge qui nous regarde est empreint de chaleur et compréhension humaine, mais aussi d’une profonde tristesse.

Aujourd’hui, les pèlerins affluent toujours en grand nombre de toute la Russie, vers la Vierge de Vladimir.

L’icône de la Mère de Dieu, appelée aussi « icône de Vladimir», est conservée aujourd’hui dans la galerie Tretiakov à Moscou. C’est une icône dite miraculeuse du type Éléousa (tendresse miséricordieuse).

C’est une des plus anciennes icônes de ce type et, sans doute aussi, l’une des plus connues en Occident.
Histoire de l’icône de Vladimir : http://spiritualite-orthodoxe.blogspot.com/2008/12/histoire-de-licne-notre-dame-de.html
Galerie Tretiakov : https://www.tretyakovgallery.ru/

Mater dolorosa – Musée des Beaux Arts de Strasbourg

El Greco ou Le Greco, de son vrai nom Domínikos Theotokópoulos, naît en 1541 en Crète. Il s’est probablement formé en peinture byzantine et donc en icônes dans sa ville natale. Au milieu des années 1560, il quitte la Crète, alors sous administration de la République de Venise, pour l’Italie. Il se rend d’abord à Venise où il travaille dans l’atelier du Titien puis il part pour Rome en 1570 où il se met au service du cardinal Farnèse.

C’est en 1576 qu’El Greco part pour l’Espagne où de grands projets artistiques sont engagés par Philippe II. Il s’arrête à Tolède et devient vite très apprécié, les commandes affluent. C’est pour l’Eglise San Tomé de Tolède qu’il réalise ainsi ce qui est considéré comme son chef d’œuvre, « L’enterrement du comte d’Orgaz ». Il peint essentiellement des sujets religieux et des portraits pour l’aristocratie et l’élite du clergé. Son style lui est très personnel, un mélange d’art byzantin et de maniérisme italien, des aplats de couleur qui s’approchent à la fin d’un certain expressionnisme. Il meurt à Tolède en 1614.
https://youtu.be/xaHraGVygBE
https://www.franceculture.fr/…/le-greco-14-la-ligne-de-joie…
https://www.franceculture.fr/…/le-greco-va-au-dela-de-la-ma…

The Virgin Mary in Prayer – 1518
Albrecht Dürer (1471 – 1528)
Oil on linden panel – Staatliche Museen, Berlin


Albrecht Dürer : Le visionnaire mélancolique

(cf. Isabelle Grégor – Source https://www.herodote.net/Le_visionnaire_melancolique-synthese-2354.php

« Ici je suis un seigneur, là-bas un parasite ». Cette constatation cruelle que fait l’Allemand Dürer à son retour d’Italie montre bien le caractère ambivalent de celui qui fut un des fers de lance de la Renaissance artistique et intellectuelle : il était en effet à la fois sûr de son génie et angoissé de ne pas être à la hauteur, de ne pas pouvoir atteindre la perfection tant espérée.
Faisons mieux connaissance avec ce génie visionnaire dont le grand humaniste Érasme semblait avoir pressenti l’immortalité lorsqu’il déclara : « Un artiste comme lui serait digne de ne jamais mourir ».
L’incarnation de la Renaissance allemande
Albrecht Dürer a-t-il eu conscience de naître au bon moment ? Il va en effet vivre les derniers feux du Moyen Âge dont on retrouve la flamboyance gothique dans le chaos apparent de certaines de ses gravures, surchargées et violentes. Les planches foisonnantes de son Apocalypse, gravées pendant les dernières années du XVe siècle, reflètent ainsi les inquiétudes d’une époque pénétrée de l’angoisse millénariste de la fin des temps. Mais Dürer sut aussi se mettre à l’écoute des prémices de la Renaissance dont il devint un des plus dignes représentants : graveur, peintre, mathématicien, passionné d’anatomie et théoricien de l’Art, il a réussi à intégrer le vaste réseau d’éminents savants et intellectuels européens qui travaillèrent à donner naissance à ce nouveau courant de pensée. Il s’y fit d’ailleurs sans aucun doute apprécier, si l’on en croit les témoignages de tristesse qui se multiplièrent dans les correspondances à l’annonce de la mort de celui qu’on appelait l’Apelle allemand ».
[Appelle, peintre du IVe siècle av. J.-C. Célèbre pour son interpellation d’un cordonnier qui, regardant une de ses oeuvres, s’est pris à critiquer la manière dont il avait peint une sandale : « Ne ultra crepidam ».]
Même s’il n’eut pas lui-même à proprement parler d’éducation classique, il parvint à force de curiosité à acquérir une culture suffisante pour se mettre à la hauteur de ses contemporains érudits. Les voyages, lectures et expériences diverses qu’il multiplie montrent également sa soif de découverte et de savoir. Il ne cesse de s’intéresser au monde qui l’entoure, que ce soit les peuples lointains, les animaux familiers ou exotiques, les plantes, même les insectes. Il va également à la fin de sa vie se consacrer à la rédaction d’ambitieux ouvrages théoriques pour poursuivre ses réflexions et partager ses connaissances, convaincu à la fois d’être un grand artiste et de rester un amateur dans la poursuite de la perfection.

Quentin Massys (ou Metsys) – La Vierge à l’Enfant

Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

Quentin Metsys (né en 1466 à Anvers ou à Louvain, mort en 1530 à Anvers le 14 septembre) est un peintre de la renaissance flamande, l’un des pionniers de l’école d’Anvers. Son prénom et son nom sont orthographiés de plusieurs manières : Quinten ou Kwinten, Massys, Metsys ou encore Matsijs.

Né de Joost Massys, un forgeron, et de Katharina van Kinckem, il suit une formation de forgeron avant de se tourner vers la peinture. En 1517, par l’intermédiaire de Pierre Gilles, il fait la connaissance d’Erasme de Rotterdam et de Thomas More qui le tenaient pour un artiste de premier plan. Il est également admis que Dürer lui rendit visite pendant son séjour à Anvers en 1520-15212, et il qu’il entretenait des liens avec les peintres allemands dont Holbein et Lucas de Leyde. Il fut ainsi un artiste célèbre et prisé qui a jouit d’une belle aisance matérielle.

Ses tableaux se partagent entre œuvres religieuses, œuvres moralisatrices et portraits. Dans sa peinture religieuse, Metsys voue une attention particulière à l’expression des personnages qui va parfois jusqu’à la caricature, et il joue sur les oppositions. Il accentue la mélancolie des saints et la tendresse de la Vierge vis-à-vis de son enfant.

Source : https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/metsys/metsys.htm

Arcabas – Les pèlerins d’Emmaüs – https://musees.isere.fr/page/musee-arcabas-en-chartreuse-collections

Suite d’un commentaire à un avis sur le livre du cardinal Sarah : …/… Soyez remerciée pour votre longue réponse.

Je vous envie de pouvoir lire autant et de livrer avec beaucoup de densité le fruit de vos lectures.

Je ne doutais pas que vous ayez lu dans son intégralité le livre du cardinal Sarah répondant aux questions de Nicolas Diat.

Je reviens sur le livre et nos impressions respectives.

J’ai moi aussi lu les deux premiers volets de la « trilogie », « Dieu ou rien » et « La Force du silence ». Je lis actuellement « Le soir approche et déjà le jour baisse …». Comme à mon habitude je lis toujours en prenant des notes, ce qui prend du temps.

Je partage mais d’une certaine façon seulement votre sentiment global sur ce dernier livre. Le titre est révélateur. Comme vous le savez ce sont les mots des pèlerins d’Emmaüs alors même que leur « compagnon de voyage » s’apprête à les quitter. « Le soir approche et déjà le jour baisse…[1] ». Les disciples l’invitent à rester avec eux.

Et c’est la rencontre avec Jésus ressuscité qui change les sombres perspectives qu’ils ont sur l’avenir.

Le titre nous dit beaucoup sur ce que le cardinal Sarah veut transmettre. La couverture est, elle-aussi, pleine de sens. Dans l’avant-propos qui introduit le livre il se confie : « Dans peu de temps, je paraîtrai devant le Juge éternel ». Il poursuit son chemin et semble déjà tourner le dos au monde.

Il ne cache pas dans son avant-propos qu’il est conscient de la fermeté de son langage qui pourra choquer, voire qui ne sera pas reçu. Mais il commence par un avertissement que nous devons entendre : « Je ne peux plus me taire. Je ne dois plus me taire ».

L’histoire du cardinal Sarah, comme celle d’un certain nombre de témoins, est emblématique parce que ces personnes ont vécu des drames dont certains peuvent bien être qualifiés de tragédies.

Je ne parlerai pas de Jean Paul II.

J’ai terminé il y a peu un livre qui m’a passionné à double titre. C’est la biographie du cardinal François Xavier Nguyên Van Thuân écrite par Anne Bernet. Le Viêt Nam, que j’aime aussi appeler l’Indochine, non par nostalgie mais parce que ce pays qui a beaucoup souffert au XX° siècle, a une histoire tellement liée à la France. Je passe sur les erreurs tragiques aux causes multiples, qui ont abouti au désastre de Ðiện Biên Phủ et je garde l’épopée des missionnaires, des médecins, de tant de ceux qui sont partis là-bas avec la conscience d’œuvrer pour la civilisation. Nous oublions peut-être un peu trop, en Occident, que la civilisation n’est pas née chez nous. L’histoire est plus universelle et il y a civilisation là où vivent des hommes.

Vous dites que dans son livre, le cardinal Sarah fait peu de place à l’espérance. Je ne le pense pas. L’espérance n’ouvre pas un chemin dégagé, libéré de tous les obstacles. C’est un chemin qu’il faut aussi construire. Il est vrai que le constat est dur. Mais un constat se fonde sur la réalité des faits et « les faits sont têtus[2] ».

Comment voir l’espérance ? Si elle consiste simplement à attendre que les choses passent parce que l’évolution naturelle est la caducité du passé emporté par le changement, alors on ne vit pas d’espérance, on se contente de laisser le temps passer. « Panta rhéi[3]. »

Le cardinal Sarah et le cardinal Nguyên Van Thuân ont tous les deux parcouru un trajet historiquement lourdement chargé.

François Xavier Nguyên Van Thuân a passé 13 ans de sa vie en captivité, de prison en isolement, sous le régime communiste vietnamien à partir du mois de juillet 1975.

Le cardinal Sarah a vécu sous la dictature de Sékou Touré.

On peut dire ce qu’on veut, qu’ils sont trop marqués par ce qu’ils ont connu … pendant que l’Occident changeait, évoluait, transformait la société. … On ira jusqu’à dire qu’ils sont des hommes du passé… qu’ils sont dépassés !

Je ne sais pas -et je ne vous le demande pas- quel est votre lien personnel avec l’Église. Il est a priori bienveillant. Mais j’insiste sur un point que je partage : le diagnostic du cardinal Sarah est juste. Il est sombre … mais, sans tomber dans la désespérance, il ne sert à rien de vouloir le repeindre en vert ou en rose !

Et le faire ce serait accepter l’inacceptable, affirmer qu’on respecte mieux la liberté en tolérant n’importe quelle pratique concernant les fondamentaux qui touchent à la vie et qu’assume pleinement la doctrine catholique … si on admet, sans condescendance, que la doctrine n’est pas un carcan mais l’architecture de l’Église qui lui permet de subsister après 2000 ans dans la fidélité à Jésus-Christ et au message qu’il nous a transmis dans les quatre Évangiles. Vous relevez à juste titre un « détail » … [je mets des « » parce que pour moi ce n’est pas simplement du détail] : l’attachement du cardinal à (l’orient)ation. Il faut lui donner son sens authentique. La liturgie n’est pas un catalogue froid et rigide de rituels, de gestes, de pratiques !

Pour m’expliquer, permettez-moi de prendre un exemple peut-être un peu caricatural mais seulement au sens de l’image : le signe de la Croix qui est le plus emblématique du chrétien. Combien de fois un chrétien le fait-il ? Sans doute trop souvent machinalement. Pendant les persécutions des chrétiens -je pense au Japon, au film « Silence » et au roman de Shûzaku Endô … [cf. https://www.calamus-scriptorius.org/silence-le-livre-et-le-film/], les persécuteurs exigeaient des chrétiens qu’ils piétinent la Croix. Ils avaient bien compris que l’important n’était pas simplement le signe mais ce qu’il révélait, sa signification profonde. Et c’est d’ailleurs la question qui reste posée dans le roman [et dans le film] à propos de père Rodrigues.

Je reviens à mon sujet. Le cardinal Sarah est sombre mais il est vain de vouloir cacher les ombres pour ne voir que la lumière. Une ombre n’a d’existence que parce que la lumière se projette sur les objets. Les ombres que dénonce le cardinal Sarah ne relèvent pas d’un pessimisme qui empêcherait de voir la lumière.

Je suis médecin et ma spécialité me conduit vers les maladies les plus graves. Si je ne regarde que le diagnostic que je pose il y a de quoi désespérer. Mais alors, exercer la médecine serait le pire de tous les métiers si on ne voyait que la maladie. Le cardinal Sarah a dressé un diagnostic et il était nécessaire de le porter. D’ailleurs il n’est pas le seul à le dresser. Mais c’est le premier temps et le temps nécessaire pour passer au suivant : prendre les mesures.

Si l’on se contente d’un regard fuyant, qui évite ce qui fait mal, il sera impossible d’avancer. Il n’est pas question de revenir en arrière. Reproche que trop souvent on adresse à l’Église que l’on qualifie de rétrograde. Le temps de l’Église n’est pas le temps des événements et moins encore celui des médias. Il faut laisser « du temps au temps ».

Vous dites que le livre est « sans concession pour l’Occident ». Il est vrai que le cardinal Sarah n’est pas un occidental par ses origines mais sa culture l’est profondément. Et j’oserais ajouter que sa propre culture lui permet d’avoir un regard plus juste même si plus distancié. Permettez-moi de revenir sur ce que je disais plus haut à propos de la référence à l’Occident. Ne faudrait-il pas, sans faire un tri artificiel a posteriori, avouer que l’Occident porte de lourdes responsabilités dans l’évolution du monde tel qu’il est. Et d’ailleurs, suis-je vraiment autorisé à dire « l’Occident » ? Ne devrait-on pas plutôt dire ce que nous avons fait de l’Occident.

J’ai fait référence à ces deux cardinaux, l’un africain, l’autre asiatique. Ils ont tous deux reçu et accepté l’empreinte occidentale dans leur esprit, dans leur cœur. Cependant sans rien renier de leurs origines. Mais nous, qu’avons-nous accepté de l’Afrique, de l’Asie … et de tant d’autres cultures ? Nous fonctionnons souvent comme ceux qui donnent … – et encore faudrait-il approfondir cet notion du don – mais que donnons-nous et comment donnons-nous ? En revanche nous n’acceptons de donner souvent qu’à la condition de ne rien perdre parce que, n’est-il pas vrai que nous avons trop la conviction que nous sommes supérieurs ?

Une analyse objective du texte du cardinal Sarah ne démontre-t-elle pas que l’Occident a exporté la civilisation mais aussi les déchets de la civilisation. Et c’est cet héritage dégradé que dénonce le cardinal Sarah. Comme d’ailleurs le faisait le cardinal Van Thuân.

Vous écrivez : « Peut-être que de temps en temps, j’aimerais lire que nous habitons un pays merveilleux et que nous devrions nous réjouir, peut-être que je finis par me dire que notre époque au fond n’est pas pire que les précédentes à bien s’y pencher. »

Pour ma part je lis « Le soir approche et déjà le jour baisse … » non pas comme les thrènes prophétiques d’un monde qui va mourir. Ma conviction est qu’il est salutaire d’entendre, même si cela fait mal, ce long réquisitoire non comme une condamnation mais comme un vibrant appel à réagir. Allons-nous sauver le monde qui, quoiqu’on en pense, porte la responsabilité de sa décadence dans l’abandon des valeurs qui lui ont donné ses lettres de noblesse… Mais quelles sont-elles ? Les reconnaît-il encore ?

Le cardinal Sarah cite le magnifique discours d’Albert Camus à Stockholm à la réception du prix Nobel de Littérature en 1957. Il répond à une question sur la théorie du genre. Il rappelle les moyens financiers considérables qui ont été investis pour diffuser cette idéologie dans le monde entier. Il s’adresse à ceux qui « aux yeux des hommes sont sans pouvoir et sans influence ». Il leur dit : « Votre mission est grande », et il poursuit avec les mots d’Albert Camus. « Elle consiste à empêcher que le monde se défasse, …/… à restaurer un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. … Les grandes idées viennent dans le monde sur des pattes de colombe. Peut-être alors, si nous prêtions l’oreille, entendrions-nous, au milieu du vacarme des empires et des nations, comme un faible bruit d’ailes, le doux remue-ménage de la vie et de l’espoir. … Je crois que cet espoir est suscité, ranimé, entretenu, par des millions de solitaires… pour faire resplendir fugitivement la vérité toujours menacée que chacun, sur ses souffrances et sur ses joies, élève pour tous. »

… Il ne reste rien d’autre à dire après ces paroles. Il faut se taire, méditer et espérer.

[1] Luc 24, 29

[2] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/10/vil19171017.htm

[3] « Πάντα ῥεῖ » Héraclite d’Éphèse.

Silence

Titre original du livre de Shûsako Endô (1966) : Chinmoku

         Il a beaucoup été question de l’auteur et du roman éponyme à l’occasion de la sortie en 2017 du film de Martin Scorsese « Silence ». La qualification « roman » du livre se justifie par le mode sur lequel l’auteur l’a écrit mais qui plonge dans l’histoire bien réelle du christianisme au Japon ainsi que des principaux personnages. 

         Dans l’avant-propos Shûzaku Endô pose le contexte : « Les nouvelles parvinrent à l’Église de Rome. Christophe Ferreira, envoyé au Japon par la Compagnie de Jésus portugaise, après avoir subi le supplice de « la fosse » avait apostasié à Nagasaki. Missionnaire tenu en haute estime, il avait passé trente-trois ans au Japon, occupé la position élevée de provincial et avait été une source d’inspiration tant pour les prêtres que pour les fidèles. C’était aussi un théologien très averti et, pendant les persécutions, il s’était clandestinement rendu dans la région de Kamigata, afin d’y poursuivre son apostolat. Les lettres qu’il envoyait à Rome témoignent d’un courage indomptable, aussi paraissait-il impensable qu’un tel homme pût trahir sa foi, si terribles que fussent les circonstances devant lesquelles il fut placé ».

         Et de préciser « A partir de 1587, le régent Hideyoshi, contrairement à son prédécesseur entreprit une effroyable persécution. Elle débuta par la « Crucifixion des Vingt-six », prêtres et fidèles exécutés à Nishizaka[1], à Nagasaki. Partout ensuite, et dans tout le pays, les chrétiens furent chassés de leurs foyers, torturés et cruellement mis à mort ».

Mémorial des 26 martyrs (Nagasaki – Nishizaka Hill)

         Le film, dont le scénario est déjà écrit puisque Scorsese a lu le livre et, à l’en croire, porte en lui cette histoire jusqu’à l’obsession depuis plus de 20 ans, est l’occasion de revisiter l’histoire du christianisme et plus particulièrement au Japon.

         Au XXI° siècle cette histoire vécue prend un relief tout particulier dans un monde qui subit depuis de longues années sur un mode traumatique omniprésent, un choc des religions selon des modalités très diverses. Traumatisme, non pas que les religions soient la cause de cette vision pathologique, mais parce que les déviations sont de plus en plus fréquentes qui jettent sur elles l’ombre de la suspicion, de la méfiance jusqu’au rejet.

         « Silence » ayant pour théâtre le Japon et la relation très conflictuelle que le christianisme a entretenu avec la civilisation japonaise, il est intéressant de lire Silence et de voir le film comme le récit de l’histoire de l’enracinement de l’évangélisation dans des terres qui avaient une tradition philosophique et religieuse très éloignée du christianisme.

         Il ne s’agira pas tant dans cette note de lecture de raconter l’histoire que d’essayer de plonger dans les racines de la présence chrétienne au Japon.

         Pour commencer il est utile de préciser quelques données biographiques sur l’auteur du livre, Shûzaku Endô.

         Né à Tokyo en 1923, il est mort à Tokyo en 1996. Il est l’auteur de nombreux romans dont le fil directeur est étroitement tressé autour de la religion catholique. Il est souvent présenté comme converti au catholicisme mais il tient à préciser lui-même, quand on l’interroge sur son baptême reçu à l’âge de 12 ans[2] : « J’insiste sur l’emploi de la forme passive parce que mon baptême n’était pas, de ma part, un acte libre ».

         Un séjour en France, à Lyon, de 1950 à 1953 pour étudier la littérature, ouvre un horizon nouveau devant lui, japonais et catholique, découvrant l’affrontement entre la culture de son pays d’origine et celle de la France dont les racines plongent dans le terreau chrétien de toute l’Europe. Shûzako Endô parlera de son catholicisme en ces termes : « J’ai reçu le baptême quand j’étais enfant. Autrement dit, mon catholicisme était une sorte de prêt-à-porter. (…) J’étais décidé à faire de ce prêt-à-porter quelque chose qui corresponde à mon corps ou à m’en débarrasser et trouver un autre costume qui m’aille. (…) Plusieurs fois j’ai pensé à me débarrasser de mon catholicisme mais finalement j’en ai été incapable. Je ne l’ai pas fait parce que je n’ai pas pu. La raison doit en être qu’après tout il faisait partie de moi. Le fait qu’étant jeune il m’ait ainsi profondément pénétré est un signe… »

         Il écrit son premier roman en 1954 mais c’est l’année suivante qu’il publie Shiroi Hito (L’Homme blanc) pour lequel il est lauréat du prix Akutagawa, le prix littéraire le plus prestigieux du Japon.

         Graham Greene, qui peut lui être comparé sous l’angle de la foi catholique, disait de son œuvre qu’elle était « celle d’un des plus grands romanciers de notre temps ».

         Shuzaku Endo rentré au Japon après son premier séjour en France et, malgré l’obstacle qu’il voit à faire comprendre le message de l’Évangile au Japon, adopte le parti de présenter le Christ comme « un pauvre, faible et sans défense, submergé par la douleur, impuissant et prêt à pardonner. Un Christ insensible aux honneurs comme aux titres, aux traditions  et à l’argent. (…) Endô livrait ainsi à ses compatriotes non croyants des perspectives originales sur le Dieu des chrétiens, en dehors de toute spéculation[3] ».

         L’histoire de Silence suit le cours historique introduit dans l’avant-propos ci-dessus.

         Informés du bruit qui court de l’apostasie de leur maître qu’ils tenaient en haute estime, trois jeunes prêtres demandent à partir à sa recherche au Japon, malgré l’édit d’expulsion qui frappe les missionnaires catholiques et les persécutions qui sévissent.

         Seulement deux parviendront à mettre le pied au Japon et entreprendront un périlleux voyage. Ils embarquent sur un bateau marchand, accompagnés par un japonais, Kichijiro, rencontré à Macao. Ce dernier se révélera progressivement comme un chrétien apostat qui a sombré dans la déchéance, ayant fui le Japon alors que sa famille a été anéantie par la persécution. Parvenus au Japon, guidés par Kichijiro, les deux prêtres partent à la recherche de communautés chrétiennes qui pourraient les informer sur le père Christophe Ferreira.

         Ils doivent se séparer quand le danger d’être arrêtés se fait plus pressant. Sébastien Rodrigues est arrêté le premier, trahi par Kichijiro. Commence alors pour lui un long calvaire physique autant que moral, qu’il va parcourir, à travers les épreuves et les trahisons, exerçant chaque fois que possible son ministère auprès des catholiques cachés, jusqu’à la rencontre de Christophe Ferreira et ce parcours sera une descente progressive dans le questionnement tourmenté de la foi… de sa foi.

         L’inquisiteur Inoué construit le piège dans lequel il veut entraîner Sébastien Rodrigues autour de l’argument : « Le Japon est une terre marécageuse. Les racines du christianisme ne peuvent qu’y pourrir ». Et le père Rodrigues succombera non sans une ultime résistance. Mis en présence de Ferreira, son maître qui a apostasié, l’interprète d’Inoué le presse de fouler aux pieds l’efumi[4].

Gravure symbolisant l’efumi

         A la fin du roman, Shûzaku Endô fait intervenir le Christ qui « parle » à Rodrigues : « Piétine ! piétine ! mieux que personne je sais la douleur qui traverse ton pied. Piétine ! C’est pour être foulé aux pieds par les hommes que je suis venu au monde. C’est pour partager la souffrance des hommes que j’ai porté ma croix. Le prêtre pose le pied sur l’efumi. L’aube éclate. Au loin, le coq chante[5] ».

         Quelles que soient nos convictions il est impossible de rester insensible devant cette tragédie qui a parfois des accents cornéliens.

         Ce bref résumé ne laisse qu’entrevoir la trame intime du récit qu’il faut suivre page après page et qui s’inscrit autour de ce silence présenté comme le silence de Dieu qui paraît insensible à la souffrance de ceux qui, comme Sébastien et les chrétiens cachés, semblent avoir été abandonnés.

         Il faut lire le livre sans jamais perdre de vue son auteur. Ce qu’il dit à propos de son baptême est complété par cette ultime conclusion : «… Je pense qu’il avait fini par grandir avec moi » dit-il, parlant de son catholicisme.

         Toute son œuvre est profondément marquée par le sceau du baptême reçu quand il était enfant mais qu’il reconnaît comme une marque « passive », difficilement assumée par son identité japonaise.

         Faut-il aussi lire dans Silence les reproches cinglants de l’inquisiteur japonais Inoué qui veut faire apostasier Sébastien Rodrigues comme ceux-là mêmes que serait à même de se faire Shûsaku Endô ?

         Même si Silence reprend des faits historiques incontestables concernant l’entreprise de la christianisation au Japon, il n’en demeure pas moins que tout le récit mérite la qualification de « roman ».

         Au demeurant, la trame reste cependant celle de la question toujours actuelle de l’évangélisation.

         Quand on considère l’évangélisation à partir de la première mention de l’envoi missionnaire : «  Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde[6] », et si l’on suit cette longue histoire, ce qui apparaît en premier c’est le terrain sur lequel s’enracine ce mouvement : un terrain hostile qu’il faut travailler durement. Et cette même histoire s’est reproduite sur le même mode avec des variations dans tous les pays où le message de Jésus-Christ s’est implanté. La réflexion qui porte sur les conditions et l’adversité -les oppositions de toutes sortes- est légitime mais partir de l’a priori idéologique selon lequel certains terrains sont impropres parce que leur idiosyncrasie les rend imperméables au message est une erreur. Partout et toujours, les persécutions anti chrétiennes ont pour origine un conflit dont l’origine est humaine, né de l’incompréhension et souvent de frustrations, dont le principal motif est une rivalité de pouvoir.

         La christianisation du Japon qui a été initiée par saint François Xavier en 1550 a été florissante et a touché tous les milieux sociaux[7], y compris les intellectuels et les notables jusqu’à ce que des rivalités opposant les européens, pour des motifs qui n’ont rien à voir avec l’évangélisation, provoquent le rejet par les autorités et notamment Hideyoshi qui, d’abord tolérant, finit pas déclencher l’exclusion des missionnaires et la persécution des chrétiens dont les 26 martyrs de Nagasaki le 5 février 1597.

        Dans le livre quand Sébastien Rodrigues est confronté à Christophe Ferreira le dialogue qui les oppose est presque surréaliste.

        – « Vous et vos pareils, dit Ferreira, ne voyez du travail des missionnaires que les dehors, vous n’en considérez pas l’amande. Il est vrai qu’au cours  de mes vingt ans de travail à Kyoto, en Kyushu, en Chugoku, à Sendaï et ailleurs, des églises furent bâties, des séminaires fondés à Arima et Azuchi, et que les Japonais se convertissaient à qui mieux mieux. Le chiffre même de 200 000 chrétiens est une estimation prudente, il y en eut, à une certaine époque, jusqu’à 400 000.

        …/…  Certes, si les Japonais avaient été amenés à croire au Dieu que nous leur prêchions, mais dans les églises qui furent construites dans tout le pays, ils ne priaient pas le Dieu des chrétiens. Ils l’avaient adapté à leur mode de pensée d’une façon que nous ne saurions imaginer. Si vous appelez ça Dieu … Non ce n’est pas là Dieu. »

        – « Pas du tout, répond Rodrigues, je refuse d’écouter vos propos insensés. Il n’y a pas longtemps que je suis au Japon, mais de mes propres yeux, j’ai vu les martyrs.» Il se voila le visage et poursuivit entre ses doigts : « de mes propres yeux je les ai vus mourir, brûlant de foi. »

         … Et longtemps après, alors que le retour de prêtres au Japon se fait progressivement dans le silence : « Un mois environ après l’inauguration de l’église d’Oura, le 17 mars 1865, le P. Bernard Petitjean vit de sa fenêtre un groupe de douze à quinze personnes, hommes, femmes et enfants, qui se tenaient avec respect devant la porte fermée de l’édifice. …/… Pendant deux cents ans les chrétiens avaient vécu sans aucun prêtre pour leur administrer les sacrements ou leur venir en aide, sans possibilité d’entrer en relation avec l’Église dans le reste du monde. Et pourtant ils avaient gardé « le même cœur » que les chrétiens d’Europe. …/… Un jour un chrétien venu des Gotô se présenta accompagné d’un « baptiseur » qui, après avoir exposé sa dévotion au chapelet, récité sans Gloria Patri comme c’était la coutume au XVIIe siècle, posa ensuite deux questions : les missionnaires connaissent-ils le chef du Royaume de Rome ? les missionnaires sont-ils mariés ? Le baptiseur se réjouit d’entendre la réponse : le nom du Pape, Pie IX, et l’annonce que les missionnaires gardaient le célibat. Il sembla que, pour lui, les trois signes les plus évidents de la foi catholique des nouveaux arrivés avaient été la dévotion à Marie, l’union avec le successeur de Pierre et le célibat des prêtres. » [http://www.mepasie.org/rubriques/haut/pays-de-mission/le-japon/]

         Shûzaku Endô autant que Scorsese ont une histoire personnelle qui traverse le récit et dans lequel chacun pourrait endosser l’un après l’autre le rôle des personnages de Ferreira, Rodrigues, Garupe et Kichijiro.

Conclusion

         En filigrane, Silence pose avant tout une question : l’universalité du message évangélique.

         Le « silence de Dieu » n’est pas seulement celui auquel se heurtent les missionnaires dans le contexte particulier de la christianisation du Japon. Il s’est toujours posé depuis les origines. La question quant à elle est pertinente si la réponse n’est pas univoque, voire, chacun a sa propre réponse dans sa vie personnelle.

         Le « silence de Dieu » est autant une question qu’une réponse et le chrétien ne peut opposer à ce « silence » qu’une seule réponse : « Que veux-tu ? Qu’attends-tu de moi ? Me voici ».

[1] Nishizaka Hill est une colline sur laquelle a été érigé, à Nagasaki, le Mémorial des 26 martyrs chrétiens.

[2] Cf. notice biographique in Silence, Shûzaku Endô, Folio Editions Denoël 1992

[3] Cf. Shûzaku Endô, (1923-1996) : Un nouveau Graham Greene au Japon

[4] Au Japon, méthode utilisée par les autorités du shogunat Tokugawa pour repérer les personnes converties au Christianisme, religion alors interdite et persécutée au Japon. Elle consistait à forcer des individus suspects à piétiner une médaille de Jésus ou de Marie devant des officiels.

[5] Silence Folio Editions Denoël , 1992.

[6] Matthieu, 28, 19-20

[7] Le 7 février 2018 se tiendra à Osaka la Messe solennelle de béatification du Vénérable Justo Takayama Ukon (1552-1615), le samouraï du Christ, personnage cher à l’Eglise au Japon & http://eglasie.mepasie.org/asie-du-nord-est/japon/2016-02-18-beatification-d2019un-samourai-chretien-martyr-juste-takayama-ukon-1552-1615

Pizzicatho

2918.01.06

« Dieu par la face Nord » (II)

« Le mot Dieu est ambivalent. Il a un adret et un ubac. Une face sud et une face nord. Quand Nietzsche annonce : « Dieu est mort », il fait référence au dieu personnel, bon, jaloux ou miséricordieux, que le croyant prie dans les églises, mosquées et synagogues. C’est la face sud.

La face nord, il n’en souffle mot. Elle est abrupte, lisse, vertigineuse, sans filet, sans contour, sans fond, nocturne. Certains textes sacrés de l’Inde la désignent par le pronom « cela ». Des soufis, autrefois, l’appelaient al-Haqq, le Réel. Maître Eckart la nomme « déité ». Cela ne meurt pas, cela ne naît pas.

C’est elle que nous voyons aujourd’hui pointer à l’horizon. Cela pourrait être le sens, encore caché, de notre modernité. »

Ainsi l’éditeur, Albin Michel, présente-t-il, avec les mots-mêmes de l’auteur, ce livre paru en avril 2016 avec un bandeau sur lequel s’inscrit l’appréciation sans équivoque signée Emmanuel Carrère : « Un livre essentiel ».Et l’éditeur de préciser que le livre n’est pas sans lien avec « Le  » qu’Emmanuel Carrère a publié en 2014[1].

Et le même E. Carrère de publier dans le Monde des Livres du 23 mars 2016[2] un éloge inconditionnel d’Hervé Clerc dont il affirme être le meilleur ami. Si les deux livres se rapprochent, parce qu’apparemment ils tournent tous les deux autour même sommet, Dieu, qu’Hervé Clerc aborde par la face Nord, ils diffèrent, par le regard que leur auteur respectif porte sur Dieu. Assez lointain pour Hervé Clerc qui avoue n’être ni croyant, ni athée … agnostique (?) et qui se pose des questions sur sa propre existence « Qu’est-ce que je fais là ? Et c’est quoi « je » ? Et c’est quoi « là » ? » Il avoue quand même éprouver de l’attrait pour les religions parce qu’elles expriment du sens ou au moins de la recherche de sens. Quant à E. Carrère, il traîne toujours derrière lui un passé pas totalement éteint de cendres refroidies, celui d’un « ex » qui autour de la trentaine a basculé avec une spontanéité presque brutale, vers l’Église qui lui a ouvert ses portes. Il a « fait sa crise », lassé de trop de psychanalyse, entre deux séances de yoga et est devenu « catho »[3]. Peut-être trop … mais en tout cas pas assez en profondeur pour que l’expérience dure. « À un moment de ma vie, j’ai été chrétien. Cela a duré trois ans. C’est passé. » 

Ancré dans la conviction qu’il faut toujours éviter d’écrire des propos qui pourraient ressortir d’un jugement de la conscience, je me dois d’admettre par principe que sa démarche initiale était sincère. Il l’a d’ailleurs confiée à des notes intimes, comme un journal écrit pendant ces années où il a vécu sa foi, sur un mode très entier. Il aspirait à cette transformation qu’expriment les versets d’Ezéchiel : « J’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair »[4]Mais la foi et la persévérance ne se commandent pas. Carrère aborde la religion comme un bûcheron. Le parcours s’arrête aussi brutalement qu’il a commencé, un Vendredi Saint de l’année 1993. Il confesse : « Est-ce cela perdre la foi ? N’avoir même plus envie de prier pour la garder ? Ne pas voir dans cette désaffection qui s’installe jour après jour une épreuve à surmonter, mais au contraire un processus normal ? La fin d’une illusion. …/… Est-ce que le réel c’est que le Christ n’est pas ressuscité ? J’écris cela le vendredi saint, moment du plus grand doute. J’irai demain soir à la messe de Pâques orthodoxe, avec Anne et mes parents. Je les embrasserai en disant « Kristos voskres », « le Christ est ressuscité », mais je ne le croirai plus. Je t’abandonne, Seigneur. Toi, ne m’abandonne pas. Je suis devenu celui que j’avais peur de devenir. Un sceptique. Un agnostique – même pas assez croyant pour être athée. Un homme qui pense que le contraire de la vérité n’est pas le mensonge mais la certitude »

Hervé Clerc, Emmanuel Carrère, comme encordés sur la même face Nord à la recherche de Dieu, du visage de Dieu ?

Il faut accorder aux auteurs que l’érudition des deux livres suppose des recherches approfondies mais peut-être trop d’érudition les a-t-elle éloignés de l’essentiel… de la réalité de Dieu.

Le Dieu d’Emmanuel Carrère est identifiable : c’est celui qu’il suit dans une des meilleures sources : l’Évangile selon saint Luc. Aujourd’hui il cherche toujours : « Affaire classée, alors ? Il faut qu’elle ne le soit pas tout à fait pour que, quinze ans après avoir rangé dans un carton mes cahiers de commentaire évangélique, le désir me soit venu de rôder à nouveau autour de ce point central et mystérieux de notre histoire à tous, de mon histoire à moi. »

Et Carrère de conclure in fine : « Je ne sais pas ». Il se confie, au fil d’entretiens qui suivent la parution de son livre, sur la motivation qui l’a conduit à coucher sur le papier son expérience de croyant. « Une des choses qui rend le christianisme très singulier, c’est que c’est aussi une création littéraire et même romanesque. » Si on lui demande s’il est chrétien ou non, il répond : « Si, comme moi, on ne croit ni à la résurrection du Christ, ni au fait qu’il soit né des entrailles d’une vierge, on peut en tirer la conclusion que le christianisme est intéressant culturellement –il a produit les cathédrales et la musique de Bach- mais il n’y a pas à s’en soucier davantage en dehors de cet intérêt historico-culturel tout à fait légitime ».

En somme Carrère est un « intermittent de la foi ». Il est de ces hommes qui cherchent sans but précis, sans y mettre vraiment le cœur. Une errance seulement guidée par l’intellectualité à l’état pur qui ne se soucie guère de la spiritualité.

Il est juste quand même de préciser qu’E. Carrère n’a pas prétendu faire œuvre d’exégète et qu’il se refuse à envisager la dimension théologique du texte. Dont acte !

Le Dieu d’Hervé Clerc est enfoui dans la jungle de ses sources qu’il est allé chercher principalement dans les religions de l’Inde et dans l’Islam : « J’ai agencé mon enquête autour d’un certain nombre de noms divins, empruntés les uns à l’hindouisme, les autres à l’Islam –la plus ancienne et la plus récente des grandes religions du monde. …/… Toutes les religions qualifient Dieu même pour dire qu’il est fondamentalement inqualifiable. Ces noms sont dépourvus de caractère dogmatique. Ils n’appartiennent à personne. Chacun peut méditer sur eux, quelle que soit sa religion ou son absence de religion. D’où leur modernité. »

Une histoire introduit le prologue qui lui servira de fil rouge pour son ascension de Dieu par la face Nord : l’histoire bien connue des aveugles qui rencontrent un éléphant. Chacun touche une partie distincte de l’animal et en conclut : « C’est une grosse colonne …, c’est un tuyau rugueux …, c’est une grande balayette …, c’est une corde. » Et Hervé Clerc de conclure : « Alors, pour éviter la confusion, nous devons, à chaque fois, apporter un éclaircissement : quand je dis « Dieu », je ne pense pas à un père ou à un ami, au créateur et au seigneur des mondes que l’on prie dans les temples, églises, synagogues, mosquées, je ne pense pas au guide, sauveur, protecteur des hommes. Je ne sais pas s’il existe mais en tout cas ce n’est pas à lui que je pense ; lui, c’est l’éléphant en morceaux, alors que moi, je tâtonne pour trouver l’éléphant en entier ».

Un regard à la table analytique du livre m’a plongé dans une grande perplexité tant les références sont foisonnantes, voire étourdissantes. Les spiritualités de l’Extrême Orient y tiennent une place de choix, l’auteur ayant antérieurement publié un essai sur le bouddhisme[5]. Un unique chapitre -6 pages, sur 314 pages- s’intéresse au christianisme. Il est consacré à « Maître Eckart : dans le fond et le tréfonds ». C’est quand même bien peu.

Si on a le courage de s’encorder pour une telle expédition -plus de 900 pages tout de même à eux deux- qui vont-ils trouver au sommet de la face Nord ? Dieu … ? Quel Dieu ?

« Je ne sais pas » dit E. Carrère …

« Je ne sais pas s’il existe » conclut H. Clerc.

C’est quand même un lourd investissement pour un résultat aussi décevant.

Est-il si nécessaire de monter si haut, de choisir « la voie abrupte, lisse, vertigineuse… » pour chercher « l’essentiel » ?

Pizzicatho

2016.11.22

A suivre : « Dieu par la face Nord » (III)

[1] Emmanuel Carrère, Le Royaume, P.O.L. 2014

[2] http://www.lemonde.fr/livres/article/2016/03/23/l-ascension-d-herve-clerc_4888843_3260.html

[3] A suivre son parcours on ne sait pas bien à vrai dire si c’est l’Eglise catholique ou l’Eglise orthodoxe.

[4] Ezéchiel, 36, 26

[5] Herve Clerc, Les choses comme elles sont – Une initiation au bouddhisme ordinaire, Folio essais, 2001

Une brève explication à titre d’introduction.

J’ai découvert par hasard en surfant sur la toile le site de Régis de Castelnau[1]. Sans bien connaître l’auteur du blog Vu du droit[2] je ne partage sans doute pas beaucoup de ses convictions personnelles mais c’est sans importance dans le contexte qui est le motif de cet article. Régis de Castelnau a le regard professionnel d’un juriste compétent et c’est la seule chose qui m’intéresse.

17 Mehus Woman taken in adultery 17th century Mehus, Lieven more Pen and ink, graphite on paper (light buff) Height: 23.9 cm; Width: 19.1 cm Acquisition Witt, Robert Clermont (Sir); bequest; 1952 D.1952.RW.1992 Copyright: © Courtauld Institute of Art Gallery, London

Mehus Woman taken in adultery 17th century Pen and ink, graphite on paper
Copyright: © Courtauld Institute of Art Gallery, London

Baupin… Barbarin … même combat ?

Puisque dans ces deux affaires l’auteur du blog, – juriste de formation et donc ayant toutes les compétences pour s’exprimer -, parle de « lynchage » le rapprochement des deux « affaires » est une commodité de langage.

Mais ne nous y trompons pas, là s’arrête la corrélation ! Ni le fond, ni les enjeux ne sont les mêmes.

Cependant et si je poursuis dans la ligne du rapprochement, je ne développerai que la plus récente des deux histoires, « l’affaire Baupin ». Il m’apparaît que dans les deux cas les médias et tous ceux qui montent au front, quels que soit leur affinité ou leur dissentiment à l’égard des personnes, n’ont peut-être pas pris la vraie mesure de la question. Je dis « question » en évitant soigneusement de créer une problématique.

Une question est simplement posée et attend une réponse. Un problème suppose déjà – dans l’acception médiatique courante du terme – une part de non-dit, de mystère caché… bref une embrouille dissimulée.

En l’occurrence ces affaires et je le dirai avec une certaine franchise « brut de décoffrage » : c’est une « affaire de sexe » avec tout ce que l’expression suppose de nauséabond. Je précise tout de suite ma pensée pour éviter au lecteur de s’égarer sur une fausse piste. Je n’aime pas parler de la sexualité en la réduisant à « une question de sexe ». Pour moi, médecin, le sexe est une question d’anatomie, sans plus.

La vraie question, et j’y reviens, est celle de la sexualité et du rapport personnel et sociétal à la sexualité. Or du côté des victimes -qui en tant que telles ont tous les droits de recourir aux procédures légales- comme du côté des commentateurs en tout genre, c’est surtout une affaire de sexisme et d’abus de pouvoir. Or je pense qu’on se trompe de cible. La réalité est, en tout cas, à l’origine de « l’affaire Baupin », principalement, qu’on me pardonne la sincérité frontale, « une histoire de mec incapable de maîtriser sa libido ».

Je n’ai pas la compétence pour aborder ces situations sous l’angle juridique et de toute façon le droit devra passer … Je veux encore croire que le droit et la justice marchent dans la même direction … mais peut-être suis-je naïf.

Ce qui m’afflige le plus c’est la convergence de tous les commentaires lus ou entendus sur l’affaire Baupin. Et nous n’en sommes qu’au début, non sans avoir la conviction que bientôt elle sera reléguée au second plan … Le scoop. … toujours le scoop ![3] Ainsi il s’agirait principalement d’une histoire de pouvoir masculin dans la sphère politique. Certes ce pouvoir se serait traduit par des propos et des gestes connotés d’un homme à l’égard de collègues femmes mais c’est (presque) anecdotique. Ce qui ressort majoritairement des commentaires c’est que le pouvoir exercé par les hommes est encore trop largement dominateur ceci expliquant cela. CQFD.

Au fait, est-ce l’apanage des hommes politiques ? Et puis quand il est question de « harcèlement sexuel » on ne parle que des hommes vis à vis des femmes. Je n’ai pas encore lu que le harcèlement soit le fait de femmes vis à vis des hommes. Par prudence et surtout pour éviter de sombrer je ne pousserai pas plus loin les recherches.

Mais quand donc cessera-t-on de lever des écrans de fumée pour dissimuler cette « réalité que je ne saurais voir »…

Quel écran de fumée ?

Celui de la « féministosphère » qui a trouvé là un terrain favorable à ses revendications habituelles. Il existe quand  même une grande hypocrisie qui consiste à jeter la responsabilité exclusive sur le machisme en politique. Il faut prendre ses responsabilités et ne pas se défausser ! Que n’a-t’on entendu déjà en si peu de temps et bien évidemment de la part de femmes qui se revendiquent d’un féminisme de combat. Je veux dire ici un féminisme agressif qui considère la différence homme-femme comme un champ de bataille où s’affrontent des adversaires dont l’un doit nécessairement écraser l’autre. Que je précise pour éviter tout malentendu que je partage la conviction qu’il y a une place dans la société et dans tous les domaines pour les hommes et pour les femmes sans discrimination aucune, dans le respect de la spécificité et de la dignité propres de la personne. Rien de plus contraire à la dignité que de vouloir gommer ce qui fait l’originalité de la féminité et la masculinité. Ainsi ce qu’on a surtout entendu c’est la revendication d’une parité toujours insuffisante comme si cette parité était la solution à toutes les discriminations ou pseudo discriminations. « L’affaire Baupin » étant inscrite dans l’atmosphère politique c’est principalement le monde du pouvoir qui est ciblé. Ainsi l’ambition et le pouvoir sont-ils considérés comme la sphère privilégiée où séviraient les « aventuriers du sexe ». Il est vrai que par leur exposition publique, les personnalités politiques sont en devanture. … La réalité, depuis des temps immémoriaux il est vrai, nous en a donné la démonstration, cette triste réalité ne date pas d’hier. Il aurait existé, dans l’histoire-fiction, un « droit de cuissage » [4]! … Pourtant, et sans céder à la tentation d’une lecture psychanalytique de ces « faits divers », ne devrait-on pas s’essayer à une interprétation plus simple et plus sincère mais qui n’est pas dans l’air du temps. Les beaux esprits, … -j’interprète : les pharisiens d’aujourd’hui- ont jeté des pierres sans avoir la certitude que la cible est vraiment coupable. Il est aveuglant de constater que ceux qui s’érigent en donneurs de leçon ne veuillent rien savoir de la morale … qui est un concept ringard et rétrograde incompatible avec la modernité. « Bizarre »… Vous avez dit « Bizarre ». La diversion est bien orchestrée ! Et le refus criant, qui tourne à l’obsession, de regarder la réalité en face !

Les responsables : le machisme en politique, l’insuffisance de la parité, la griserie du pouvoir. Et on en profite pour exhumer d’autres affaires qui étaient oubliées dans des placards.

On parle un peu, aussi, du silence, cet assourdissant silence des victimes, auquel on trouve une justification : la pression exercée sur les elles par la crainte de perdre un poste, une fonction, et, il est vrai, l’honorabilité qui en prend un coup ! Mais pourquoi attendre : la première agression verbale, le premier geste inconvenant et déplacé devraient déclencher l’alarme sans attendre la fin du délai de prescription.

Je ne me fais aucune illusion quant à la réception de cet autre message : tant qu’il ne sera pas possible d’aborder dans la sincérité et autrement que comme un « problème » … -ce qui est largement entretenu par la théorie psychanalytique- la question de la sexualité, le résultat sera que personne ne saura la regarder sous l’angle de la normalité psychologique. La libido visqueuse des désaxés n’est ni de l’ordre de la génération spontanée, ni des actes manqués et pas davantage de la majorité des hommes. Si je dis que des valeurs comme la pudeur, la discrétion, la simplicité, la chasteté dans les attitudes et dans le vêtement sont les meilleurs atouts pour se protéger, j’entends déjà les ricanements, les allusions douteuses, je vois la moue sceptique …

… Et le « spectre DSK » de resurgir mais ce n’est pas le Commandeur, ce serait plutôt Leporello.

A ce propos on ne les a pas tellement entendues à cette occasion ! Il est vrai que « ça ne lui ressemble pas [5]». « Il n’y a pas mort d’homme. [6]» Et puis, nous sommes aux Etats Unis, la victime est une femme de service…

Même si personne ne prononce le mot que tout le monde pense mais que personne n’ose dire : on est bien dans le domaine du pathologique ! Ce qui n’exempte pas de responsabilité.

Sempé a fait, il y a longtemps, un dessin très emblématique. Ne l’ayant pas retrouvé je le décris. Un homme est sur un chemin. Il avance tête basse, on le sent préoccupé. On suppose qu’il marche sur ce chemin qui conduit vers un embranchement où il bifurque dans deux directions : une qui conduit vers une maison où une plaque indique un nom « Psychiatre », devant laquelle attend le praticien. L’autre direction conduit à une église sur le parvis de laquelle attend un prêtre. Et la légende : une bulle au dessus du psychiatre qui s’adresse au prêtre : « S’il a le sens du péché il est pour vous, sinon, il est pour moi ! ».

La modernité dont on nous rebat les oreilles veut que tout soit dit, tout soit étalé au grand jour, sans limite… Sinon c’est de la censure ! Oh le vilain mot ! Pas question de brider la créativité dans les arts, en littérature, au théâtre, au cinéma, dans les arts plastiques… etc. Surtout ne pas interdire : « Interdit d’interdire ! ». On était en 1968.

Pour une personne normale la sexualité reste du domaine de la vie privée… en principe ! Qui me fera croire que l’érotisme[7] je ne dis même pas la pornographie mais la « description et exaltation par la littérature, l’art, le cinéma, etc., de l’amour sensuel, de la sexualité »est un ressort naturel et normal pour la personne humaine ? Quand une personne éprouve comme une nécessité de voir, de lire, d’entendre … des messages érotiques, j’éprouve les plus grands doutes sur sa normalité. En ce moment se déroule le Festival de Cannes. Récemment, Antoine Guillot, un critique cinématographique commentait deux films présentés le premier jour de la compétition. A propos d’un de ces films il disait, sans s’émouvoir et comme si cela allait de soi qu’il y avait des scènes d’un « érotisme frontal ». Je ne sais pas vraiment ce qu’il entend par cette expression mais il ne faut trop d’imagination pour comprendre de quoi il s’agit. Normal, c’est du cinéma ! C’est le spectacle vivant ! « Touche pas au 7° art ! »

J’en termine par un retour sur le titre pour mettre en parallèle ce qui les rapproche vraiment mais seulement : les délits dont sont coupables les vrais responsables sont des délits sexuels.

La prétendue libéralisation des mœurs ou permissivité a ouvert la porte à toutes les dérives et exposé les personnes fragiles à toutes les agressions. Personnes fragiles : les jeunes dont la construction psychique et morale est en formation, les personnes dont la construction psychique et morale a été blessée, les adultes dont la construction psychique et morale a été détruite. Ces personnes fragiles sont plus que d’autres sensibles aux messages qu’envoient les vecteurs incontrôlés et incontrôlables qui surfent sur la vague de la sensualité la plus agressive portée par l’idéologie libertaire.

Ce qui n’est pas normal ce n’est pas tant d’avoir occasionnellement des pensées troubles voire déviantes dans le domaine sexuel, si elles ne sont pas suivies d’actes délictueux cela n’affecte pas d’autre personne et ceux qui en sont affectés de manière récurrente sont tenus d’assumer leur déviance personnellement et, si elles ont une conscience en activité, chercher à se corriger. Ce qui est autrement grave, c’est d’entretenir la déviance par des incitations diverses : lectures, films, sites… etc. de type érotique ou pornographique. Et c’est justement la cible que visent les vecteurs dont je parle plus haut.

Mais nous entrons là dans un vaste débat dans lequel n’osent pas entrer ceux qui pourraient assainir ce climat délétère. Ceux qui se risquent à le faire sont taxés de puritanisme vieux jeu.

… Tant que n’existera pas le courage politique et institutionnel de juguler les réseaux pornographiques mais aussi ceux qui véhiculent la sensualité comme norme sous prétexte de liberté d’expression, le jeu est commode aujourd’hui de tirer à boulet rouge sur quelques cibles qui se sont fait prendre au piège : les acteurs passifs ne sont pas exempts d’une grave responsabilité parce qu’eux mêmes ont contribué à ce qu’ils se mettent en ligne de mire.

Pizzicatho

2016.05.14

[1] http://www.vududroit.com/a-propos-de-lauteur/ & https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9gis_de_Castelnau

[2] http://www.vududroit.com/

[3] A l’heure où je mets une dernière main à ces lignes, on n’en parle déjà presque plus !

[4] http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-droit-de-cuissage-n-existait-127562

[5] http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2011/05/15/2495312_dsk-arrete-pour-agression-sexuelle-ca-ne-lui-ressemble-pas.html

[6] http://www.marianne.net/hervenathan/Affaire-DSK-Jack-Lang-un-peu-de-decence-_a105.html

[7] http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9rotisme/30826

 

 

 

 

 

Dans le jardin des mots : martyr… martyre…

Mon cher cousin,

J’emprunte l’intitulé « Dans le jardin des mots » à une grande dame, Jacqueline Worms de Romilly, helléniste, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et de l’Académie française. Il est le titre d’un livre [1] & [2] atypique pour celle qui fut professeur à la Sorbonne et nous a quittés en 2010.

Elle n’a pas traité ces mots qui aujourd’hui, après une nouvelle tragédie qui a endeuillé la nation, sont des concepts qui courent en boucle dans les innombrables articles de nombreux médias. Dans le désordre et sans épuiser le registre je voudrais évoquer « martyr, barbarie, radicalisation, valeurs, vandalisme … ». Ces mots qui sévissent dans les médias depuis de nombreux mois, à propos des actions menées dans de nombreux pays par des fanatiques se réclamant d’un « islamisme radical » méritent d’être revisiter. C’est en tout cas mon avis et sans prétendre faire le tour de la question ni moins encore rivaliser avec le talent et l’étendue de la culture de Jacqueline de Romilly, je vais m’essayer à l’exercice.

Dans un courrier tout récent je t’ai donné mes impressions sur la minute de silence qui a été observée le lundi 16 novembre.

Comme tout le monde a fait sans trop d’imagination le lien entre les événements du début janvier – « Charlie Hebdo » – tu ne seras pas étonné que je revienne moi aussi sur la tuerie qui a frappé le journal.

Pour commencer je me suis livré à une brève revue de presse en différé de l’événement pour situer mon sujet. Elle est assumée dans sa diversité mais je l’inscris telle que sans jugement de valeur sur le contenu ni sur les auteurs.

« Les abrutis qui ont massacré le 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo la fleur de l’intelligence française, symbole de l’esprit voltairien au meilleur sens du terme, nous rappellent la place tenue par nos chroniqueurs de l’époque comme contributeurs des Lumières. C’est cette richesse intellectuelle et morale qu’ont voulu tuer ces assassins dont la détermination et le professionnalisme dans l’horreur rivalisent avec le crétinisme le plus obscur. »

Noëlle Lenoir, 2015.01.08 [3]

« Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, s’est exprimé en français pour témoigner son soutien aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo. Mercredi en fin d’après-midi, il a déclaré que les journalistes assassinés aujourd’hui « sont des martyrs de la liberté ». Le secrétaire d’Etat a également professé : « Aujourd’hui, demain, en France, à travers le monde, le pouvoir de la liberté d’expression vaincra ».[4]

 « Y a-t-il une vie après Charlie Hebdo ? Quelle leçon en tirons-nous ? Certains sont plus logiques et affichent, comme une gloire de ne pas céder à une mode qu’ils pensent passagère : « Je ne suis pas Charlie ». Mais alors, qui sommes-nous après un tel drame ? Des croyants les yeux bandés, guidés par un aveugle sourd et muet ? Ne pas être Charlie aujourd’hui représente pour moi une justification du terrorisme. Ces journalistes-dessinateurs sont des martyrs de la liberté. » [5]

« Le journaliste français Jean-François Khan, fondateur du magazine Marianne, connaissait plusieurs victimes. «Tignous [de son vrai nom Bernard Verlhac] était mon ami, je l’avais embauché à Marianne, a-t-il raconté à La Presse. Ils [les journalistes du journal] sont morts dans leur combat contre le fanatisme et les dérives de la religion. Ce sont des martyrs de la liberté d’expression. En soi, ce n’est pas mon truc, Charlie. C’est un journal anarchisant qui aime la provocation. Personnellement, je ne crois pas que cela soit la bonne façon d’aborder les choses, mais cela n’empêche absolument pas son droit d’exister.»[6]

«… Mais nous refusons de nous associer à ce que Charlie Hebdo soit qualifié de martyr pour la cause de la démocratie et de la liberté d’expression et nous mettons en garde nos lecteurs d’être prudents face au programme réactionnaire qui motive cette campagne hypocrite et malhonnête. » [7]

 « Les morts de Charlie Hebdo sont des martyrs de la liberté totale d’expression. » Ironie sinistre, ou bien cynisme assumé ? [8]

Premier mot : « martyr »

Le mot martyr vient du grec martur qui signifie témoin. Le martyre est la mort ou les tourments que subit le martyr pour une cause.

« L’Église du premier millénaire est née du sang des martyrs : « Sanguis martyrum – semen christianorum » [9] . Les événements historiques liés à la figure de Constantin le Grand n’auraient jamais pu garantir à l’Église un développement comme celui qui se réalisa durant le premier millénaire s’il n’y avait eu les semailles des martyrs et le patrimoine de sainteté qui caractérisèrent les premières générations chrétiennes. Au terme du deuxième millénaire, l’Église est devenue à nouveau une Église de martyrs. Les persécutions à l’encontre des croyants – prêtres, religieux et laïcs – ont provoqué d’abondantes semailles de martyrs dans différentes parties du monde. Le témoignage rendu au Christ jusqu’au sang est devenu un patrimoine commun aux catholiques, aux orthodoxes, aux anglicans et aux protestants, comme le notait déjà Paul VI dans son homélie pour la canonisation des martyrs ougandais. (…)

En notre siècle, les martyrs sont revenus ; souvent inconnus, ils sont comme des « soldats inconnus » de la grande cause de Dieu. Dans toute la mesure du possible, il faut éviter de perdre leur témoignage dans l’Église. Comme il a été suggéré lors du Consistoire, il faut que les Églises locales fassent tout leur possible pour ne pas laisser perdre la mémoire de ceux qui ont subi le martyre, en rassemblant à cette intention la documentation nécessaire. Et cela ne saurait manquer d’avoir un caractère œcuménique marqué. L’œcuménisme des saints, des martyrs, est peut-être celui qui convainc le plus. La voix de la communio sanctorum est plus forte que celle des fauteurs de division. »

Saint Jean-Paul II, Tertio Millennio adveniente, n° 37 – Lettre apostolique ouvrant la préparation du Grand Jubilé de l’an 2000 

Lors de son « pèlerinage à la mémoire des martyrs du XXe siècle » le 8 avril 2008, le pape Benoît XVI a dit : « Ce XXIe siècle aussi s’est ouvert sous le signe du martyre ». Le Saint Père a fait remarquer que «  lorsque les chrétiens sont vraiment levain, lumière, et sel de la terre, ils deviennent eux aussi, comme c’est arrivé à Jésus, objet de persécutions, et comme lui ils sont un signe de contradiction ».

Mais il ne faut pas oublier d’autres nombreux martyrs qui ont aussi témoigné par la mort, par l’exil, par la déchéance tout au long de l’histoire biblique. L’histoire des derniers de l’Ancien Testament [10] se lit dans les deux livres des martyrs d’Israël qui raconte la révolte de Mattathias et de ses fils contre la tyrannie du roi Antiochus IV [11].

Permets-moi de revenir sur l’événement du 13 novembre. Ceux qui se sont fait sauter le caisson avec une ceinture d’explosifs prétendent eux aussi au glorieux titre de martyr.

Alors quel peut bien être le sens du martyre, l’acte par lequel on rend un témoignage, quand il est appliqué dans des contextes aussi éloignés que celui où des journalistes sont assassinés pour avoir caricaturé le prophète, les chrétiens des premiers siècles jusqu’à nos jours qui ont rendu témoignage au Christ en mourant plutôt que de trahir leur foi et des fanatiques qui choisissent de perdre la vie entraînant dans la mort des centaines d’innocents ?

Personne sans doute n’est titulaire exclusif d’une identité sémantique et si nous sommes très attachés à la richesse de sens des mots, à vouloir trop élargir le champ d’application le résultat est que le mot perd de sa signification.

Pour ma part tu comprendras que je ne partage pas de « panthéoniser » les journalistes de « Charlie Hebdo » comme des martyrs, fût-ce de la liberté d’expression. La liberté a-t-elle vraiment besoin de « ces témoins » ? Je n’entrerai pas ici dans un nouveau débat qui a déjà eu lieu en janvier et que les événements récents justifient pour certains qu’on les réchauffe. Quand on va au combat l’arme à la main, même si l’arme n’est qu’un crayon on peut s’attendre à ce qu’elle se retourne contre nous … et cette fois elle n’est plus un crayon. … Ce qui, bien évidemment, n’est pas supportable. J’admets qu’ils soient des témoins d’une cause mais je laisse à ceux qui la partagent la liberté de les mettre sur les « autels républicains » !

Je suis Charlie.3.2

Si un fanatique djihadiste met une ceinture d’explosifs pour aller plus vite et pas tout seul, hélas pour les innocents qu’il entraîne avec lui, au paradis d’Allah, il ne témoigne que d’une chose, de sa folie, ce qui est bien le sens du mot fanatique. Eux non plus ne sont pas des martyrs parce que leur cause est insensée.

Quant aux chrétiens, ils n’ont pas prétendu au martyre ni ne l’ont cherché par vocation eux par qui tout a commencé. Leur longue histoire qui du Colisée et des cirques de Rome s’est poursuivie tout au long des siècles jusqu’à aujourd’hui s’est aussi déroulée dans des « théâtres plus contemporains » qui ont pour nom : révolutions, guerres civiles, lutte idéologique assortie de lutte armée, dictatures…

Martyre de saint Etienne02

Ils ont répondu, parce que les circonstances les y ont conduits, debout dans les arènes, cloués sur des croix, torturés dans des camps, envoyés dans tous les goulags de la planète… sans jamais chercher cette palme parce qu’ils voulaient avant tout vivre pour témoigner. Ils savaient que Jésus l’avait annoncé [12] mais ils avaient surtout entendu le message donné aux apôtres après l’ascension : « Allez dans la monde entier, faites des disciples » [Matthieu, 28,19]. C’est à eux qu’en premier le témoin a été passé. Et ce témoin a couru de main en main transmis par ces témoins jusqu’à aujourd’hui parce que la course ne peut pas s’arrêter.

Et surtout, si la couleur du martyre est le rouge, le rouge du sang versé, elle est aussi celle de la charité. Ainsi en a décidé saint Jean Paul II le 10 octobre 1982 en canonisant saint Maximilien Kolbe [13].

Saint Maximilen Kolbe

Pizzicatho

2015.11.21

[1] http://www.canalacademie.com/ida2199-Dans-le-Jardin-des-mots-un-livre-de-Jacqueline-de-Romilly.html

[2] http://www.livredepoche.com/dans-le-jardin-des-mots-jacqueline-romilly-de-9782253124382

[3] http://blogs.lexpress.fr/noellelenoir/

[4] http://www.itele.fr/france/video/john-kerry-les-journalistes-assassines-sont-des-martyrs-de-la-liberte-106810

[5] http://www.croixdunord.com/la-vie-apres-charlie-les-lecons-dun-martyr-pour-la-liberte-seront-elles-entendues_3166/

[6] http://www.lapresse.ca/international/dossiers/attentats-a-paris/201501/08/01-4833403-des-martyrs-de-la-liberte-dexpression.php

[7] https://www.wsws.org/fr/articles/2015/jan2015/pers-j10.shtml

[8] http://www.bvoltaire.fr/tomasteri/de-la-liberte-dexpression-et-de-la-violence,151029

[9] Tertullien, Apologétique, 50,13

[10] Jacqueline de Romilly aurait aussi fait remarquer que l’étymologie latine de testament est testis qui signifie témoin.

[11] Lire le bouleversant récit in Deuxième livre des martyrs d’Israël, chapitre 7.

[12] Jean, 15,20 ; Matthieu, 5, 10 ; Luc, 21, 12-19

[13] http://www.immaculee.org/page.php?id=43

 

 

Une minute de silence …

Pray for Paris.5.2

« Souvent le silence est une réponse »

Ménandre[1]

Mon cher cousin,

Lundi la France sidérée par les attentats du 13 novembre a observé la traditionnelle « minute de silence » pour « témoigner ».

Je comprends bien que ce soit une manifestation de … justement, je me demande de quoi. De solidarité ? De compassion ? … Mais je pose aussi la question : à quoi cela sert-il ? Il n’y a rien de plus pesant que le silence dans ces circonstances, et l’on est presque soulagé quand la minute se termine. … C’est long une minute quand on compte mentalement chaque seconde.

Je me pose une autre question : et si au lieu d’un silence vide comme un désert on l’habitait intérieurement. Au lieu d’être simplement une minute vide, perdue dans le vague des regards tout aussi vides qui, il faut bien l’avouer, ne savent pas très bien sur quel horizon se fixer, on la remplissait de contenu…, de prière.

… J’entends déjà les réflexions habituelles : « Ça sert à quoi de prier dans ces circonstances ? Dieu ? … n’aurait-il pas pu empêcher, cette guerre, cette catastrophe, cette maladie, … toutes ces épreuves qui brisent nos existences. » La litanie des « responsabilités » qui pèsent sur ce Dieu qui reste sourd se déroule à l’infini.

Voilà que seront toujours affrontées face à face les deux attitudes, dans un duel intemporel autant que sans issue. Et il n’y a pas de réponse … En tout cas la minute de silence perd toute signification si on la met en face de la prière, sous le prétexte qu’elle ne sert à rien. La minute de silence n’a pas plus d’efficacité. Ceux qui l’observent ont-ils construit quelque chose ? Le silence tout seul est l’abîme du désespoir alors que la prière, qui souvent s’inscrit aussi dans le silence, engendre l’espérance. Le silence est un mur d’incompréhension, une frontière qui isole et qui dresse une barrière franchissable seulement sous condition. La prière est un pont qui conduit l’âme à la rencontre de Dieu… ou si ce n’est d’un Dieu que l’on connaît au moins d’une aspiration.

Je n’aime pas les minutes… pas plus que les secondes de silence qui nous transportent au bord de l’éternité du vide.

Je crois à la vertu, à la force, de la prière qui peut-être sans rien apporter de tangible, dans l’instant, porte en elle un élan qui maintient debout face à la tempête.

Le plus beau symbole du silence et de la prière sera toujours celui du Golgotha. Après avoir lancé vers le ciel, dans le peu de souffle qui lui restait, son ultime parole « Consummatum est », Jésus rendit son esprit. Il ne reste plus au pied de la Croix dressée sur le monde, qu’une mère et un fils qu’elle vient de recevoir… Sa dernière parole est aussi la porte qui ouvre sur un grand silence mais il est habité de prière et d’espérance. Sans doute seule, Marie, toute à sa douleur, sait-elle en cet instant, dans son cœur, que cette porte appelle l’espérance, celle qu’elle a ouverte depuis l’Annonciation. Elle est aujourd’hui et toujours, au milieu des vicissitudes de la vie l’icône inscrite dans le cœur du chrétien qui sait que sa foi n’est pas vaine.

« Souvent le silence est une question … »

Pizzicatho

2015.11.17

Pray for Paris.4.2

Le logo modifié s’inscrit sur deux photographies prises à Lourdes en mars 2010 qui représentent respectivement la quatrième et la treizième stations du Chemin de Croix de Lourdes sculptées dans le marbre par Maria de Faykod[2] pour célébrer le 150° anniversaire

[1] http://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/12/Men/Menandre.htm

[2] http://www.musee-de-faykod.com/chemindecroix.html