Mon cher cousin,

Il est des jours où, avec la meilleure volonté du monde et toutes convictions confondues, il est difficile de comprendre dans quel monde nous vivons.

Je ne sais pas ce que tu penseras de ce qui s’est passé le 7 janvier 2015, à Paris.

Un attentat criminel perpétré contre un journal. Sans céder à l’espèce d’hystérie collective qui a saisi des millions de personnes, oubliant ce qu’est Charlie Hebdo, qualifier de criminel  l’acte qui a frappé collectivement la rédaction du journal ressort du plus élémentaire sans commun.

Même seulement en passant, et sans prétendre à un acte prophétique, j’ai consacré indirectement une chronique à ce même journal, il y a quelques mois à l’occasion de la disparition d’un de ses fondateurs, Cavanna qui venait de disparaître [1].

Il est inutile, je présume, de te rappeler que Charlie Hebdo n’était pas pour moi une source d’information même occasionnelle. Dans les circonstances tragiques qui ont propulsé le journal sur le devant de la scène, il ne serait pas convenable de se lancer dans la polémique.

Pour d’autres prises de position, on verra plus tard.

J’en ai déjà beaucoup lu et entendu car les médias, bien sûr, toutes tendances confondues, endossent aujourd’hui la veste ensanglantée de Charlie Hebdo.

Demain en France, c’est jour de deuil national, par la volonté du Président de la République qui n’a pas hésité à qualifier les victimes de « héros ».

Demain à midi comme en d’autres occasions sera observée une minute de silence.

Une première réaction à l’écoute ou à la lecture des innombrables témoignages est celle-ci : Il me semble que, même si l’information à chaud sur une question aussi sensible, et indépendamment de la cible visée, est évidemment compréhensible, il faudra bien qu’un jour tous ceux qui ont fait des déclarations, sous le coup de l’émotion, une fois celle-ci retombée, reviennent sur leur portée et réfléchissent à leurs propos. Même si l’on ne sait encore que peu de choses, à l’heure où j’écris, sur les responsables de l’attentat, il faut bien avouer que déjà une direction a été prise. La piste « islamique » est évidemment privilégiée, et c’est logique au vu de ce que représentait Charlie Hebdo pour cette mouvance.

Mais au-delà de cette piste présumée, que de déclarations ont déjà été faites qui n’échappent pas à l’amalgame : l’obscurantisme, le refus de la modernité, … j’en passe, dont sont responsables les religions. La cible étant Charlie Hebdo, que de fois ai-je déjà entendu la revendication du « droit au blasphème [2] ». Et ce n’est qu’un échantillon des « professions de foi », si tu me permets cette expression paradoxale.

Wolinski, l’une des victimes, était, à l’occasion des obsèques de Jacques Chancel, à l’Eglise Saint-Germain-des-Prés le 6 janvier au milieu d’une foule de personnes de tous les horizons, venues rendre un dernier hommage au grand journaliste qu’il a été, pour certains sans doute un exemple de professionnalisme haut de gamme, dans cet exercice difficile d’écrire ou de dire « l’opinion ». Wolinski déclarait qu’il aimait, lui, le caricaturiste que l’on connaît, dessiner cette église, lui, l’athée et le libertaire, dont les convictions allaient dans une toute autre direction que celle de l’Église.

Je t’entends déjà me dire : « Où veux-tu en venir ? »

C’est presque la « providence », -et je te précise que je n’entends pas établir un lien de causalité entre les événements-, qui vient de rapprocher ces morts successives.

Cela pour dire combien je suis étonné, chaque fois qu’une personne du monde des médias quitte ce monde, de voir se rassembler au cœur de Paris, dans l’église Saint-Germain-des-Prés, des hommes et des femmes que l’on voit plus habituellement sur les écrans, signer des articles ou des dessins dans des journaux, prononcer des discours, faire des déclarations, parcourir l’hexagone pour une campagne politique, … etc. Un peu comme si Saint-Germain-des-Prés, l’église, était une autre scène où se produire.

Que représente pour eux cette nef qui converge vers un autel sinon une autre façon de « monter les marches à Cannes ».

Entendent-ils…, écoutent-ils…, comprennent-ils… vraiment les mots que prononce le prédicateur dans son homélie ? Ce qui rassemble ces « spectateurs » c’est un événement bien particulier : la mort.

Que représente pour eux le mystère qui est célébré lors des funérailles chrétiennes ?

La vie… La mort ! …

Pour revenir sur la tragédie qui endeuille la France, les propos n’ont pas manqué qui parlaient du « paradis » où se trouvent désormais les victimes. Et il n’a pas manqué de dessins…- c’était trop tentant !- qui mettent en présence les victimes de Charlie Hebdo avec un « Dieu le Père » avec lequel ils ont bien souvent du crayon…

Je ne reviens pas sur plusieurs de mes lettres que je t’ai déjà adressées dont le sujet était justement le départ de personnalités pour l’autre monde. Mais, avec un peu de bonne volonté, tu pourras peut-être comprendre le message.

Pour terminer je t’en délivre deux. Ils s’inscrivent dans l’actualité du jour.

« Le Saint Père exprime la plus ferme condamnation pour l’horrible attentat qui a endeuillé ce matin la ville de Paris », a indiqué le porte-parole du Vatican, dans un communiqué.

Le glas sonnera à Notre-Dame de Paris jeudi midi

« L’Eglise catholique s’associera jeudi à la journée de deuil national en hommage aux victimes de l’attentat dans les locaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et fera sonner le glas de la cathédrale Notre-Dame à midi », a annoncé le diocèse de Paris. « La messe qui suivra cela célébrée en pensant aux victimes et à leurs familles », ajoute l’évêché dans un communiqué.

(à suivre…)

 Pizzicatho

2015.01.07

 http://youtu.be/k1-TrAvp_xs

 

[1] https://www.calamus-scriptorius.org/2014/02/

[2] En boucle sur France Info dans son édition spéciale du 7 janvier.

Ces quelques mots pour introduire le courrier que je transmets en pièces jointes. Je l’envoie à l’occasion de Noël 2014 et de la nouvelle année 2015 à la plupart des amis et des connaissances entrés dans mon carnet d’adresses au fil des années dans les circonstances les plus diverses.

Ce n’est ni l’improvisation ni le hasard qui me conduit à l’envoyer (presque) sans faire de sélection.

Le seul risque que je prends en envoyant un courrier de ce style, non sans une tonalité de provocation que j’assume, est d’avoir d’heureuses surprises… même si je n’en saurai peut-être jamais rien. Je souscris à ce que Saint-Exupéry fait dire au petit prince dans cette merveilleuse formule qu’un homme de foi ne renie pas : « L’essentiel est invisible pour les yeux » dit le renard. Et le petit prince de répéter : « L’essentiel est invisible pour les yeux ». Et le renard de poursuivre : « les hommes ont oublié cette vérité. » 

Cette année encore c’est avec la même émotion de toujours qu’à la Messe de Minuit, comme c’est une tradition liturgique, je me suis mis à genoux au verset du Credo « Il a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme ». Le pape François dont on sait qu’il n’est pas à court d’innovation en paroles et en gestes, a demandé cette année qu’un orchestre symphonique interprète l’ « Et incarnatus est » de la Messe en Ut mineur de W.A. Mozart pour solenniser encore plus le verset[1]. cf. https://www.calamus-scriptorius.org/2014/01/

La première pièce jointe est la lettre que j’envoie pour transmettre mes vœux… simples et directs !

La deuxième est une vidéo de presque 5’ (pas plus !). Vous avez le choix de seulement contempler la beauté des tableaux soutenue par la paisible musique venue tout droit d’un Extrême-Orient qui a su se laisser inspirer, sans se renier, par le mystère chrétien. … La preuve que les civilisations ne sont pas imperméables les unes aux autres et peuvent dialoguer dans la paix et l’harmonie. Quant aux paroles chacun en tirera en toute liberté ce qu’il voudra.

 

Giotto di Bondone.03

Giotto di Bondone – Scènes de la vie du Christ : Nativité – Fresque 1304-1306

Chapelle Scrovegni (Chapelle de l’Arena), Padoue

Le simple abri sous lequel la Vierge et son enfant cherchent refuge est situé au milieu d’un sombre paysage rocheux. Marie se tourne de côté sur le lit afin de recevoir le nouveau-né des bras d’une sage-femme – un geste naturel et spontané que le regard de la mère et de l’enfant amplifie encore. Bien périphérique, cet échange de regards semble être le véritable centre de l’image, encore élargie pour inclure la scène de l’annonce aux bergers.


 

Les mots qui introduisent ce message de Noël ne sont pas d’un théologien ni même d’un prêtre dans son homélie de la Messe de la Nativité mais extraits de l’Éditorial d’un journal[2].

 « De la lumière à la lumière …

Qui est-il, cet enfant au fond de la crèche dont on devine les bras ouverts ? Qui est ce jeune homme au regard attentif, protégeant de sa main la vive flamme ?

 « De la souffrance à l’amour …

Cette crèche se trouve en Irak, dans la ville d’Erbil où tant de famille viennent chercher refuge. Elles ont tout quitté parce qu’elles voulaient rester fidèles à leur foi, parce qu’elles cherchent la paix.

« De l’attente à l’espérance …

Au loin un enfant attend. Son regard semble scruter l’immensité de la vie. Il s’approche, portant comme un trésor, cette flamme fragile. Fragile comme un nouveau-né. 

Dans la profonde nuit de Galilée voici plus de 2000 ans, l’Évangile rapporte que des bergers entendirent ces paroles : « Soyez sans crainte… Aujourd’hui vous est né un sauveur qui est le Christ Seigneur. »

« Ce nouveau-né a, lui aussi, fui la barbarie et la mort. Il a connu l’exode… Il demeure le signe de toutes les espérances humaines, de l’amour qui resplendit dans la chaîne ininterrompue de la vie. »

 

Notre monde est empêtré dans ses contradictions.

D’un côté ceux qui ne veulent pas entendre parler de symboles religieux, qui, selon eux, attentent à une certaine forme de liberté sous prétexte de « laïcité ».

De l’autre, parfois aussi les mêmes, ceux qui, pour des motivations que l’on ne comprend pas très bien, manifestent une « vague » sensibilité à l’égard des chrétiens persécutés, en Irak et en bien d’autres points du globe… mais sans plus.

Où est la cohérence ?

J’y vois plutôt l’incohérence du « politiquement correct» qui s’accorde avec l’incohérence des convictions.

Mais pour tant de chrétiens installés dans le confort et la passivité qui n’ont plus le courage d’affirmer leur foi c’est un peu comme si « tout ça » n’était rien d’autre que la mémoire historique enfouie sous les strates de l’indifférence … avant de sombrer dans l’oubli.

 J’emprunte les derniers mots au pape François :

« Il est salutaire de se souvenir des premiers chrétiens et de tant de frères au cours de l’histoire qui furent remplis de joie, pleins de courage, infatigables dans l’annonce et capables d’une grande résistance active. Il y en a qui se consolent en disant qu’aujourd’hui c’est plus difficile ; cependant, nous devons reconnaître que les circonstances de l’Empire romain n’étaient pas favorables à l’annonce de l’Évangile, ni à la lutte pour la justice, ni à la défense de la dignité humaine. A tous les moments de l’histoire, la fragilité humaine est présente, ainsi que la recherche maladive de soi-même, l’égoïsme confortable… ».[3]

 C’est toujours Noël, le joyeux message de la Nativité, prélude à une nouvelle année que je souhaite à chacun belle et remplie d’espérance… l’espérance de Noël et de son inestimable message dont l’actualité échappe au cours du temps qui passe.

2014.12.25 – 2015.01.01

 

 

 

[1]http://fr.radiovaticana.va/news/2014/12/23/et_incarnatus_est_de_mozart_pour_la_messe_de_la_nuit_de_no%C3%ABl_%C3%A0_saint-pierre/1115847

[2] http://www.ouest-france.fr/editorial-joyeux-noel-3080303

[3] La joie de l’Evangile, 263 in http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/apost_exhortations/documents/papa-francesco_esortazione-ap_20131124_evangelii-gaudium.html

Mon cher cousin,

En plein été dans Le Monde Festival[1] on pouvait lire dans la rubrique « Des personnalités racontent une histoire singulière qu’elles ont eue avec « Le Monde », datée du 2014.08.28, cette chronique qui fait un retour sur un article que j’ai eu l’occasion de commenter dans un de mes courriers précédents : « En attendant un conclave »[2].

Solange Bied Charreton.2

 

Quel  n’est pas mon étonnement à la lecture de cette chronique estivale d’en apprendre un peu plus sur son auteur, Solange Bied-Charreton et surtout sur sa déconvenue quant à l’accueil plus que mitigé de son article dans les médias.

Le chapeau de la chronique est celui-ci : « 28 février 2013 : Benoît XVI renonce à sa charge. Très vite se pose la question de sa succession : qu’attend-on du nouveau pape ? Pour la première fois, Solange Bied-Charreton, jeune romancière catholique, s’exprime dans « Le Monde ».

Ainsi donc Solange Bied-Charreton est classée comme « une jeune romancière catholique ».

Avant de revenir sur la chronique de cette « histoire singulière » la concernant, intitulée « Le jour où Solange Bied-Charreton vexe les catholiques dans « Le Monde », permets-moi de faire un détour pour essayer de cerner la personnalité de Solange Bied-Charreton.

N’ayant lu aucun de ses livres et n’ayant aucune autre référence sur l’auteur que les articles du Monde, j’ai erré sur la toile à la recherche de quelques éléments d’orientation. Tu me rétorqueras qu’avant d’aller plus loin je devrais au moins lire quelques pages de ses livres ! A quoi je te répondrai que je pense en savoir déjà assez pour m’en faire une opinion sinon définitive, du moins bien documentée. Ses articles en disent long sur elle-même.

Ainsi, j’ai rencontré un personnage au parcours somme toute plutôt banal[3] et qui ne sort pas des sentiers battus. Des études honorables, sans plus. Mais il n’est pas nécessaire d’avoir fait un parcours brillant et exceptionnel pour accéder à la notoriété.

J’ai aussi trouvé sur un blog cette note critique de son premier roman « Enjoy », signé par François Maillot, PDG de La Procure.

Enjoy Bied-Charreton-Solange

« Il est difficile d’écrire sur les livres des amis, surtout lorsqu’il s’agit de romans. Non pas pour une médiocre affaire de complaisance et de renvoi d’ascenseur (Solange et moi ne connaissons comme ascenseur que celui de la petite Thérèse) … En faisant résolument basculer son histoire vers une humanité cabossée mais réellement vivante, à laquelle Charles et Gauthrin finiront par aspirer, Solange Bied-Charreton laisse la place à une réelle compassion, sans pathos ni mouchoirs, juste suggérée à l’attention du lecteur réellement présent à ce qu’il lit. C’est alors, la béance du vide de ce monde sans Dieu et dont l’humanité s’expulse elle-même qui apparaît. Se dessine enfin ce portrait de l’homme en marche vers sa destinée : une quête de Dieu, d’amour, de rédemption l’habite inexorablement. Il n’aura de repos de l’avoir trouvé. »[4]

Tu l’auras bien compris, et si tu suis avec attention mes courriers, je cherche la présence de Dieu dans la vie de ces personnes dont je parle, des vivants et des disparus.

Tu comprendras aussi ma surprise à la lecture de la chronique intitulée « Le jour où Solange Bied-Charreton vexe les catholiques » dans « Le Monde ».

J’y viens ! Je dois avouer qu’à la relecture de l’article du Monde paru en 2013 et la chronique qui lui fait suite plus d’un an après je ne parviens pas à émerger d’une grande perplexité. Je ne prétends pas connaître Solange Bied-Charreton sinon par ces quelques bribes de commentaires sur elle-même et sur ses écrits.

Je relève quand même ces quelques phrases : « Quand on m’a demandé d’écrire sur le pape, j’ai craint de voir mon rôle se réduire à celui d’un auteur chrétien… Une jeune catholique qui fait de l’humour, ça ne correspond pas à la case dans laquelle on a rangé l’Eglise ».

J’ignore à vrai dire tout de la foi de celle qui s’intitule une « jeune catholique qui fait de l’humour », d’autant plus qu’elle avoue aussi : « Je ne souhaitais pas parler de ma foi, ni de celle des autres. » Mais quand même, et sans entrer dans la polémique que son article a suscitée, il n’était pas évident à comprendre et moins encore cet « humour catholique » -j’avoue humblement inventer la formule en torturant peut-être un peu la sienne- et la tentative de justification récente ne me semble pas très convaincante.

Quand en 2013 Benoît XVI renonce à la fonction pour laquelle il a été élu en 2005 pour succéder à Jean Paul II, c’est une sorte de bombe à retardement qui explosera quand son successeur sera élu, un « inconnu » du monde médiatique, même si, comme il est normal, on le découvre peu à peu et on découvre aussi une personnalité hors du commun, surtout pour la fonction qu’il est appelé à exercer à la tête de l’Église catholique. A son sujet j’ai lu un long entretien qu’avait accordé le cardinal Jorge Bergoglio[5]. J’en ai déjà parlé dans l’article précédent https://www.calamus-scriptorius.org/adios-a-dios/ . Personnellement je n’aime pas le titre de la version traduite « Je crois en l’homme » car il peut être lu d’une manière ambiguë. Mais le contenu lui-même est très intéressant, surtout quand on lit cet entretien, qui date de 2010, en 2014 après plus d’un an de pontificat du pape François.

Je reviens à Solange Bied-Charreton.

Aujourd’hui, on peut rire de tout, se moquer, même ridiculiser, et on ne s’en prive pas quand il s’agit de l’Église et des personnes qui exercent une responsabilité parce qu’elles sont en vue. Et en particulier le pape. Le pape François échappe peut-être à la férocité médiatique dont a été victime son prédécesseur. Ses origines, son style de vie comme celui de sa communication, étonnent. Il est vrai qu’il laisse moins de prise aux médias par sa simplicité, son côté direct et sans apprêt. J’aime beaucoup  sa façon « uppercut » de renvoyer les uns et les autres qui ont bien du mal à trouver un angle d’attaque. Solange Bied-Charreton était prophète à sa façon en appelant de ses vœux « un pape ringard »[6].

Mais je trouve sa tentative de justification récente étonnante. « Alors, en dressant le portrait d’un pape à la mode, pour mieux réclamer un pape traditionnel ensuite, j’ai fait quelque chose d’ironique pour pousser le sujet à son paroxysme. Je croyais que la critique serait favorable. Sur un blog, cela n’aurait pas eu un tel retentissement, mais là, il s’agissait du Monde. »

Eh oui, chère Solange, vous avez peut-être eu le tort de prendre comme tribune les colonnes du Monde. D’Henri Fesquet à Stéphanie Le Bars en passant par Alain Woodrow et Henri Tincq, on ne peut pas dire que l’Église a fait l’objet d’un traitement de faveur. Elle a été plutôt mal-traitée et aussi bien maltraitée. Et je pourrais poursuivre, mais cela prendrait trop de temps et nécessiterait un article à part entière, sur ce chapitre de la façon dont sont considérées la religion, l’Église et la pratique religieuse dans les médias.

Vous concluez vos confidences d’auteur outragée[7] par ces mots : « Le pape François, lui, s’attaque à la finance, ce qui est admirable. De nombreux catholiques sont libéraux, ce qui me semble inconciliable avec leurs convictions. Etre catholique, c’est avoir le sens de la communauté avant d’avoir le sens de l’individu. Jésus n’était-il pas un socialiste primitif ? Il se battait contre l’individualisme. »

Je ne me livrerai pas à un commentaire de plus de cette conclusion sinon pour dire qu’on se livre souvent à de nombreux contre sens sur l’ « être catholique ».

Il me semble que, plutôt que de réinterpréter ce que fait l’Église depuis 2000 ans à partir de considérations spatio-temporelles et historiques, il faudrait commencer, en 2014, par ouvrir le Nouveau Testament et le lire sans a priori, sans les parasitages intellectuels de la modernité. Et ensuite vouloir sincèrement prendre connaissance du discours que tient l’Église depuis les origines sur ces sujets qui sont pris comme des chevaux de bataille, comme s’il s’agissait de simples « faits de société » sur lesquels elle se tromperait depuis des siècles.

« Je me sens plus légataire de Charles Péguy et Georges Bernanos, intellectuels engagés et catholiques, que de la vie paroissiale chrétienne au sens strict, ou du catholicisme mondain. Or, être un intellectuel catholique en France est très difficile. C’est un milieu qui manque d’audace. »

Je ne prendrai pas position sur cet héritage que vous revendiquez. En revanche je suis bien d’accord avec vous pour dire que les intellectuels français manquent d’audace. … Et surtout pour affirmer leur catholicisme qui ne peut s’en tenir à une attitude seulement intellectuelle.

Quant à revendiquer l’identité d’ « intellectuel catholique » … c’est en effet bien audacieux !

Pizzicatho

2014.09.21

[1] http://www.lemonde.fr/festival/projet.html

[2] https://www.calamus-scriptorius.org/wp-admin/post.php?post=55&action=edit & https://www.calamus-scriptorius.org/wp-admin/post.php?post=64&action=edit

[3] http://www.reussirmavie.net/Solange-Bied-Charreton-elle-a-choisi-d-ecrire_a1926.html

[4] http://www.blog-laprocure.com/chroniques-de-nos-libraires/solange-bied-charreton-enjoy/

[5] http://wujacongress2013.com/fr/el-congreso-2/noticias/546-el-jesuita-conversaciones-con-el-cardenal-jorge-bergoglio,-sj

et dans la version française http://www.famillechretienne.fr/livres/foi/pape-et-vatican/je-crois-en-l-homme-conversations-avec-jorge-bergoglio-105707

[6] http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/03/02/je-veux-un-pape-ringard_1841822_3232.html

[7] … ce n’est pas une faute d’accord. C’est volontaire car je n’aime pas la féminisation qui se traduit simplement par l’ajout d’un « e » aux mots traditionnellement masculins mais qui peuvent se lire sans complication aussi bien au masculin qu’au féminin sans aucune discrimination et sans affront à l’égalité.

Mon cher cousin,

Tu vas sûrement me répliquer, à lire mes plus récents courriers, que je m’intéresse plus à la chronique nécrologique qu’à la vie des personnes.

Au risque de paraître d’une affligeante banalité je dirais qu’on meurt comme on a vécu… et dans cette perspective la mort interroge la vie. Je me place ainsi, si tu veux bien, dans la perspective de l’éternité et du sort qui attend tout un chacun. Je sais bien que beaucoup de personnes – en apparence du moins – ne semblent pas trop se préoccuper de ce qui se passera après. Heureusement, cette affirmation  n’est pas vraie dans l’absolu, ce serait au fond vivre avec comme tout objectif de l’existence  une sorte de désespérance.
Tu voudras bien comprendre, – évidemment ce n’est pas gagné, te connaissant ! –  qu’un tel objectif est tout le contraire de l’espérance chrétienne, vertu théologale. Ainsi vivent ceux qui n’ont pas d’autres aspirations que celles qu’ont tous les hommes pour qui tout se limite, hélas le plus  souvent, à l’apparence du monde présent sans perspective surnaturelle. Après la mort ? Rien !

« Je suis morte cliniquement plusieurs fois et je peux vous dire qu’il n’y a rien! Et c’est bien rassurant! Ce qui m’inquiéterait, c’est l’idée d’une âme toute seule, tournoyant dans les airs, et qui hurlerait à la mort dans le noir absolu. Je n’ai pas le même point de vue sur la mort que ceux qui ne l’ont jamais vue de près. Avoir entrevu la mort lui enlève beaucoup de prestige. Du coup, je suis peut-être une des personnes au monde qui a le moins peur de la mort. »[1]

La citation est  assez typée, à la fois bien dans le style de l’auteur et le reflet d’une vie bien triste … « Bonjour tristesse »… Je l’abandonne sans autre commentaire.

Je reviens à mon introduction : « … la chronique nécrologique ».

Il est vrai que j’ai déjà écrit des lettres à propos de la disparition de plusieurs personnalités : Nelson Mandela, le chef d’orchestre Claudio Abbado, l’écrivain, journaliste et dessinateur humoristique Cavanna… Et maintenant vient le tour de Gabriel García Marquez dont la disparition est annoncée dans le journal Le Monde en date du 2014.04.17 sous le titre :  » Mort de Gabriel García Marquez, légende de la littérature ».

Comme tu peux bien le penser et comme à chaque fois, je cherche dans la biographie du disparu la trace de la présence de Dieu dans sa vie. Tu vas me rétorquer que c’est une obsession, mais tu as bien dû comprendre, depuis que nous correspondons, que sans être une « obsession », c’est réellement le seul sujet intéressant parce que, n’en déplaise à tous les athées, agnostiques, mécréants et autres indifférents de la terre, toute notre vie, la leur y compris, en dépend.

Juste quelques précisions d’ordre personnel avant d’entrer dans le vif du sujet.

J’ai toujours été attiré par l’Amérique latine, du Mexique à la terre de feu. Ses cultures très anciennes et multiformes, son histoire mouvementée et qui n’en finit pas de bouger, ses montagnes, ses extrêmes … m’ont toujours fasciné. Peut-être aussi le dois-je à des rencontres que j’ai faites avec des personnes originaires de plusieurs pays d’Amérique latine qui m’ont profondément marqué. A commencer par un de mes professeurs de langue espagnole ancien attaché culturel d’ambassade pendant plusieurs années, qui m’a inculqué ce souffle latino-américain. Ainsi, après avoir appris les rudiments nécessaires du castillan un peu rocailleux, j’ai été introduit à la littérature latino-américaine et aussi, par le biais de la langue parlée, à ses accents si divers et si mélodiques qui chantent en même temps qu’ils parlent chez les personnes originaires de tous ces pays. Je n’ai cependant pas la prétention de te faire croire que je suis  un connaisseur érudit de cette littérature.

La disparition de Gabriel G. Marquez m’a donc conduit à me pencher sur une autre dimension  de l’Amérique latine. Il n’est pas nécessaire d’être un grand spécialiste pour se rendre compte à quel point l’Amérique latine a marqué les esprits occidentaux, notamment à cause de l’emprise qu’ont eue sur toutes ces nations les idéologies nées en Europe. Elles ne sont pas sans responsabilité sur les événements qu’elles ont traversés au milieu des multiples convulsions où les ont entraînées de nombreuses révolutions.

L’héritage de 1492 n’est pas toujours vu sous un angle favorable. Il ne s’agit pas ici de refaire l’histoire pour en tirer des conclusions péremptoires voire définitives. La mode est aujourd’hui au rejet viscéral de ce qu’une certaine vision de la culture occidentale aurait apporté pour leur malheur à des civilisations qui n’étaient pas sans richesse.

Je reviens à Gabriel G. Marquez…  à propos d’une réflexion  personnelle tirée d’un entretien où il se confiait : « Je suis un romancier, disait-il, et nous, les  romanciers, ne sommes pas des intellectuels, mais des sentimentaux, des émotionnels. Il nous arrive à nous, Latins, un grand malheur. Dans nos pays, nous sommes devenus en quelque sorte la conscience de notre société. Et voyez les désastres que nous provoquons. Ceci n’arrive pas aux Etats-Unis, et c’est une chance. Je n’imagine pas une rencontre au cours de laquelle Dante parlerait d’économie de marché. »[2]

De lui aussi, parmi d’autres formules rassemblées sous le titre « 13 conseils pour la vie » : « Peut-être que Dieu souhaite que tu connaisses beaucoup de mauvaises personnes, avant de connaître la bonne personne, afin que tu puisses être reconnaissant lorsqu’enfin, tu la connaîtras. »

… La seule trace de Dieu dans l’œuvre de G. G. Marquez ? Je n’ai pas lu G. G. Marquez. Je n’ai pas poussé la curiosité pour sonder le personnage sous cet angle.

J’ai lu récemment ces propos du cardinal Jorge M. Bergoglio[3] (… pour mémoire je te rappelle qu’il est mieux connu sous le nom de François, le pape François). Dans un chapitre que l’édition française intitule « J’aime aussi le tango », les deux journalistes lui posent une série de questions à la manière du questionnaire de Proust.

  • « Un lieu dans le monde ?
  • Buenos Aires.
  • Une personne ?
  • Ma grand-mère.

  • Une œuvre littéraire ?
  • La poésie de Hölderlin m’enchante. Egalement un grand nombre d’ouvrages de littérature italienne.

  • « Borges, vous l’avez fréquenté ? »
  • Et comment ! Borges avait le don de parler pratiquement de tout sans s’esquiver. C’était un homme d’une grande sagesse, un homme très profond. Borges m’a laissé l’image d’un homme qui, dans la vie, remet les choses à leur place, range les livres dans les rayons, en bon bibliothécaire qu’il était.
  • Borges était agnostique !
  • … Un agnostique qui récitait chaque soir le Notre Père, car il l’avait promis à sa mère. … Et qui mourut assisté religieusement. »

Tu vas me dire : « Quel rapport entre Gabriel G. Marquez, J.L. Borges et le pape François ?

Nous y voilà : « Et Dieu dans tout ça ? » Marquez, Borges mais tant d’autres qui font partie du patrimoine culturel de l’Amérique latine ont subi l’influence de cet agnosticisme que l’occident a introduit dans des civilisations qui avaient su intégrer aux leurs les valeurs chrétiennes mais aussi des sources d’inspiration culturelle dans de nombreux domaines artistiques et cela sans renier leurs propres racines.

On a voulu faire croire, par suite d’excès et de brutalités indéniables et inexcusables dont les premiers responsables ne sont pas les missionnaires mais des soldats et des aventuriers cupides et brutaux, que l’introduction du christianisme avait détruit les grandes civilisations latino-américaines.

On pouvait lire[4] « Après la conquête par les Espagnols, sculpteurs et artisans, aztèques et incas, devront mettre leurs talents au service d’un Dieu unique et chrétien. Quelques symboles de la nature subsistent sur des crucifix en pierre : l’art aztèque se survit à lui-même, mais sans plus jamais livrer de chefs-d’œuvre. » [Véronique Prat, Le Figaro Magazine, Les chefs-d’œuvre d’un monde brisé, 27/01/2007]

S’il y avait une parcelle de vérité dans ce cliché du prêt-à-penser brut de décoffrage, resterait-il aujourd’hui dans le patrimoine culturel de ces nations autant d’authentiques  trésors en littérature, en musique, en peinture, en architecture … etc.

Il faudra beaucoup, de temps pour que les contrevérités laissent enfin la place à ce qui est démontré en Amérique latine, peut-être mieux et davantage que partout ailleurs : le christianisme, ici d’origine espagnole et portugaise, s’est bien réellement intégré au contact de ces nouvelles cultures qu’il a rencontrées. Mais la caricature du conquérant destructeur véhiculée par certains milieux intellectuels persiste, entretenue par les idéologies inconsistantes de la culture pure et autonome qui a tout à perdre du contact avec d’autres civilisations.

Il faudrait plus de temps et des exemples pour l’illustrer.

Que quelques références me suffisent pour battre en brèche l’insupportable désinformation médiatique qui ne sert ni la civilisation occidentale tellement vautrée dans son orgueil qu’elle se renie elle-même ni les civilisations qu’elle a rencontrées et qui, sous prétexte d’authenticité, sont sommées par des diktats idéologiques prétendument libérateurs, de renoncer, au moins intellectuellement, à des pans entiers de leur patrimoine culturel qui s’est pourtant construit dans un subtil métissage des cultures.

L’architecture religieuse et profane  se sont rencontrées et ont donné des trésors qui sont désormais inscrits au Patrimoine Mondial.

Par exemple on doit beaucoup au travail du jésuite suisse Martin Schmid (1694-1772), architecte et musicien-organiste qui fut le véritable créateur de la très belle architecture des églises de mission édifiées dans le style Baroque Métis.

Mission jésuite de Chiquitos Bolivie Eglise San Javier

Dans le domaine musical, le patrimoine est tout aussi riche. Les plus grands spécialistes contemporains, Jordi Savall, Gabriel Garrido entre autres, contribuent avec talent et grâce à leurs recherches approfondies, à mettre en valeur ce très riche patrimoine. Leurs enregistrements somptueux ne contrediront pas le fait qu’il existe une authentique symbiose des traditions musicales. La tradition mélodique occidentale de la liturgie catholique mais aussi profane a emprunté aux traditions locales pour donner des œuvres d’une grande beauté et d’une grande originalité qui portent la signature très colorée de leur origine.

En Europe comme en Amérique latine des festivals attestent que ces musiques sont bien vivantes et que nul ne renie leur origine dans le métissage des cultures et des traditions.

A bientôt pour une autre chronique.

                                                           Pizzicatho

2014.04.18

 

[1] Denis Wetshoff, François Sagan, ma mère Editions Flammarion 2012

[2] http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2014/04/17/l-ecrivain-gabriel-garcia-marquez-est-mort_4401388_3382.html

[3] Sergio Rubin – Francesca Ambrogetti – « El Jesuita. Conversaciones con el cardenal Jorge Bergoglio sj. » (2010) En édition française Flammarion, Paris, 2013 sous le titre « Je crois en l’homme ».

[4]  http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2007/01/26/01006-20070126ARTMAG90562-les_chefs_d_oeuvre_d_un_monde_brise.php

 

Bon anniversaire !

Signature-Pape-Francois-parousie.over-blog.fr


stemma-papa-francesco

Il y a toutes sortes de prophètes :

  • Ceux qui « inspirés par Dieu, parlent en son nom pour faire connaître ses volontés… ». Ils sont bien peu nombreux.
  • Les « faux prophètes » plutôt conduits par leur propres « démons »  et « qui induisent le peuple en erreur ».
  • Les « prophètes de malheur « qui prédisent des choses funestes et désagréables ».
  • Ceux  qui jouent au « personnage important qui annonce l’avenir par voie de conjecture ». Ce sont des « prophètes qui n’y croient pas trop mais qui réagissent face à un événement d’envergure historique comme s’ils étaient mandatés par une inspiration et « qui annoncent des événements à venir (en général) ». Ces derniers ont une certaine propension à prendre leurs désirs pour la réalité même s’ils sont conscients (on peut l’espérer) que la réalité sera vraisemblablement distincte. Généralement ils reviennent a posteriori sur leurs « prophéties » pour les justifier… Ils ont toujours eu raison avant tout le monde.

Bon anniversaire ?

Rappelez-vous, il y a un an «l’entre-deux-papes » laissait les médias, et aussi à vrai dire tout le monde, abasourdis par la renonciation inédite de Benoît XVI.

Des « prophètes » se sont tout d’un coup levés en foule … Je voudrais revenir sur certaines de ces prophéties rédigées d’ailleurs sur le mode d’une aspiration véhémente au changement.

Je prends le risque de me répéter mais tant pis[1] avec le recul d’un an les propos restent toujours emblématiques de « la névrose obsessionnelle anti papale » qui sévit dans certains médias. Ainsi pouvait-on lire sous la griffe de Solange Bied-Charreton[2] les souhaits suivants, le pape qu’elle appelait de ses vœux (je doute quand même de la sincérité de ses « vœux » d’un nouveau pape !) : « Que le nouveau pape soit différent des autres. Nous voudrions d’un pape qui soit à notre image. Nous voudrions d’un pape à la portée de tous. Un pape si possible moins ancré dans le passé. Un pape assez ouvert pour discuter avec nous, par messagerie instantanée. Un pape pour régler tous nos problèmes de couple. Un pape trendy, qui laisserait un peu la théologie de côté. Un pape qui transforme les églises en espaces de prière et les confessionnaux en espaces détente. Un pape qui se la coule douce. Un pape de tolérance, un pape de résistance. Un pape que tu peux appeler quand  t’as pas le moral. Un pape jeune et fort. Un pape grand et beau. Une image positive, c’est mieux pour faire passer le message. Un pape pas toujours habillé pareil. Un pape qui se prend pas la tête. Ou, mieux, un pape vintage, un pape dans son jus. Un pape customisé, en vitrine. Un pape souriant sur une affiche dans ma cuisine, Un pape qui réinvente, un pape qui redécouvre, un pape qui revisite un peu le modèle papal. Un pape en papier peint, ambiance vide-grenier, qu’on achète d’occasion. Le pape est le meilleur ami de l’homme. »

         Et de poursuivre sur le même ton faussement décalé : « Un pape old school, qui tient la porte aux dames, envoie des bouquets de fleurs, n’a toujours pas de portable. Comment, en 2013, est-ce Dieu possible ? Un pape de galanterie, qui vouvoie tout le monde. Qui écoute Jean-Sébastien Bach et qui reçoit des fax. Un pape qui ne regarde vraiment pas vers l’avenir. Un pape en retard. Je veux un pape contre qui se révolter. Je veux un pape qu’on puisse tous détester avec la même énergie. Je réclame un pape contre qui faire des manifs. Un pape avec un nom qui sonne bien dans les slogans. Je veux pouvoir casser du pape. Comment existerais-je si je ne puis contester le monde ancien, m’affirmer sans avoir à détruire des siècles et des siècles d’histoire ? Je ne voudrais pas mourir avant d’avoir pourri tous les hommes du passé, leurs idées courtes et leurs pratiques obscures, leurs modes de vie sans hygiène, leur patois, leurs quolibets douteux et leurs jeux de mots nationalistes, leur sexisme insoutenable, leur cruelle sauvagerie. Je voudrais exister tant que je peux, et on ne m’a pas appris à le faire autrement. Alors j’aimerais autant que l’ennemi soit identifiable, merci d’avance. »

Oui, je sais c’est plus qu’une citation, c’est carrément de l’usurpation, du pillage. Ma foi tant pis, il vaut le coup de relire cette prose épicée un an après quand un nouveau pape est installé et qu’il a conquis la planète, même les plus réfractaires (enfin pas tout à fait quand même).

Au moins sur un point elle doit être satisfaite : « J’aimerais que l’ennemi soit identifiable ! »

Quant à moi j’avais aussi émis des vœux. Je voulais un pape, et je le voulais vraiment de toutes mes forces. Alors je l’ai aussi imaginé[3].

…/…

Un an plus tard.

La « force tranquille » : telle est « l’image » qui me vient à l’esprit, qui a été popularisée par un autre François, mais « toute ressemblance avec des personnages ou des situations existant ou ayant existé ne saurait être que fortuite ».

Les « prophètes », les « sibylles », les « pythies » se sont encore exprimés, mais cette fois pour évaluer le bilan à un an. C’est la coutume de dresser le bilan à échéance des grands responsables comme des institutions.

Il varie selon l’angle de vue, la lumière portée, l’état de l’âme …

Trop de points à commenter dans cette profusion d’articles … Je me limiterai à relever les principaux qui ont « accroché » mon attention avec une grille librement établie au fil des lectures.

Alors, François, le pape premier du nom ?

  • « Par ses gestes, ses phrases-chocs, sa décontraction et des priorités plutôt consensuelles – attention aux pauvres, miséricorde, ouverture de l’Église sur les « périphéries » –, le nouvel élu, François, l’a éclipsé (le pape devenu émérite, Benoît XVI), attirant sur l’Église catholique une lumière dont elle n’avait pas bénéficié depuis des années. Le style, rigide et ampoulé, de Benoît XVI, sa vision du monde et de l’Église, sombre et alarmiste, ses écrits, complexes, ses expressions malheureuses, avaient fini par rendre son message inaudible, incompris, voire rejeté par une partie des catholiques. L’Église a visiblement trouvé avec François un messager plus convaincant, une « autorité morale » qui parle aussi aux non-croyants »[4].

Ce style convenu qui accumule brut de décoffrage les habituels griefs faits à Benoît XVI dont on n’a probablement pas lu -ou en tout cas jamais dans leur intégralité- les écrits d’une richesse incomparable sur les sujets les plus actuels, avec une lucidité inégalée, ne doit cependant pas impressionner. Il ne faudrait pas se laisser abuser par un ton soudain faussement bienveillant qui passe par un filtre calibré dont on aimerait connaître l’étalonnage. Je ne sais pas si la journaliste signataire a déjà entendu parler d’une parabole bien connue, celle du semeur qui décrit cet homme parti pour semer sa semence et les différents terrains qui reçoivent la semence[5]. Et j’attire son attention sur le verset 13.

  • « Le retentissement de ses prises de parole brouille la perspective. Comme si Benoît XVI avait emporté dans sa retraite des années de discours de l’Église ; et comme si François reprenait les choses de zéro. Une plongée dans les textes des deux hommes prouve que tel n’est pas vraiment le cas. Car François, faut-il le rappeler, fait sienne l’entièreté des enseignements de l’Église. »

Je m’étonne que l’on s’étonne de cette fidélité à un enseignement toujours confirmé, qui suit le droit fil du message de celui dont il est le vicaire. A ce propos me viennent à l’esprit ces quelques lignes tirées de « Paroles » : « Le pape est mort, un nouveau pape est appelé à régner. Araignée ! Quel drôle de nom ! Pourquoi pas libellule ou papillon ? » L’iconoclaste de service, Jacques Prévert, n’aurait pas renié cette façon de présenter la succession.

Dans un autre article c’est le même étonnement :

  • « Mais il ne faut pas s’y tromper : si François révolutionne nombre d’habitudes vaticanes, tout, chez ce pape, n’est pas révolutionnaire. Sa doctrine globale est identique à celle de ses prédécesseurs, qu’il s’agisse de la morale sexuelle, du célibat des prêtres, de la place de la femme, des questions éthiques et bioéthiques… Il a, par exemple, récemment défendu l’idée d’un « statut juridique pour l’embryon ». « S’il est vrai qu’il a changé la façon de faire le pape, il ne changera pas les contenus », confirme le cardinal allemand Walter Kasper… »[6]

Mais enfin est-ce-que l’Église a encore le droit d’être l’Église ? A-t-elle le droit d’avoir une parole (et aussi la parole) ?

  • Parmi les sujets les plus récurrents sur lesquels tous les médias insistent pesamment, faut-il le préciser, se trouvent ceux qui concernent l’éthique avec un regard plutôt appuyé sur tout ce qui concerne la sexualité. J’ose à peine parler de « sexe » car c’est en fait sous cet angle, exclusivement anatomique, que les choses sont le plus souvent présentées. On entasse en vrac sur un mode apparemment consensuel les « questions éthiques » et suit le catalogue bien connu « des questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel ou à l’utilisation des méthodes contraceptives »[7].

Et de relever dans la foulée la réponse du pape François : « Il s’agit d’une question qui regarde la cohérence interne de notre message, on ne doit pas s’attendre à ce que l’Église change de position sur cette question ». Alors sans doute on se satisfait qu’il ait opté pour une attitude qui est interprétée en rupture avec les discours antérieurs : ne pas parler en permanence de ces sujets. Comme si ce choix sous-entendait comme un début de changement vers une plus grande « souplesse » dans la position morale de l’Église sur ces mêmes sujets.

            « Je n’ai pas beaucoup parlé de ces choses [l’avortement, le mariage homosexuel, les méthodes contraceptives] et on me l’a reproché. Mais lorsqu’on en parle, il faut en parler dans un contexte. La pensée de l’Église nous la connaissons et je suis fils de l’Église, mais il n’est pas nécessaire d’en parler en permanence. »[8][9].

Et en introduction du même paragraphe il disait : « Nous ne pouvons pas seulement prendre position sur ces questions. »

Un grand chantier est en cours sur toutes ces questions : il est urgent d’attendre !

Comme quoi ce pape n’est pas si facile à saisir et, s’il en a une, sa « tactique » en surprendra plus d’un.

Dans l’entretien qu’il a accordé A. Spadaro s.j. directeur de La Civiltà Cattolica,  le pape François dessine le profil de ce que la revue Etudes intitule « Un nouveau style d’Église »[10]

On peut lire ces quelques perles qui permettent de discerner ce nouveau style :

  • « Nous ne devons pas réduire le sein de l’Église universelle à un nid protecteur de notre médiocrité. »
  • Et d’expliciter d’où lui vient cette conviction presque en introduction répondant à la question « Que signifie pour un jésuite d’être élu Pape ? » « J’ai toujours été frappé par la maxime décrivant la vision d’Ignace : « Non coerceri a maximo, sed contineri a minimo divinum est ». J’ai beaucoup réfléchi sur cette phrase pour l’exercice du gouvernement en tant que supérieur : ne pas être limité par l’espace le plus grand, mais être en mesure de demeurer dans l’espace le plus limité. Cette vertu du grand et du petit, c’est ce que j’appelle la magnanimité. A partir de l’espace où nous sommes, elle nous fait toujours regarder l’horizon. C’est faire les petites choses de tous les jours avec un cœur grand ouvert à Dieu et aux autres. C’est valoriser les petites choses à l’intérieur de grands horizons, ceux du Royaume de Dieu ».
  • Sur un sujet qui focalise artificiellement toutes les crispations, l’homosexualité : « les journalistes ont beaucoup parlé du coup de téléphone que j’ai donné à un jeune homme qui m’avait écrit une lettre. Je l’ai fait parce que sa lettre était si belle, si simple. Lui téléphoner a été pour moi un acte de fécondité. Je me suis rendu compte que c’est un jeune qui est en train de grandir, qui a reconnu un père…»
  •  L’Église : « Je la vois comme un hôpital de campagne après une bataille. … Nous devons soigner les blessures » … mais en évitant deux écueils « … être trop rigide ou trop laxiste ».
  • Les pasteurs : « Les ministres de l’Évangile doivent être des personnes capables de réchauffer le cœur des personnes, de dialoguer et cheminer avec elles, de descendre dans leur nuit, dans leur obscurité, sans se perdre. » Et un peu plus loin « Les enseignements, tant dogmatiques que moraux, ne sont pas tous équivalents. Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance ».
  • Une théologie approfondie « du féminin » … et non « au féminin » : « Je crains la solution du “machisme en jupe” car la femme a une structure différente de l’homme. Les discours que j’entends sur le rôle des femmes sont souvent inspirés par une idéologie machiste ».
  • L’enseignement doctrinal de l’Église : « Dieu s’est révélé comme histoire, non pas comme une collection de vérités abstraites. » Et quand il est question du langage de l’Église face aux défis de la société contemporaine et que beaucoup considèrent comme « décalé » voire « déphasé » : « Il est erroné de voir la doctrine de l’Église comme un « monolithe » qu’il faudrait défendre sans nuances ».
  • Et pour terminer sur une note très personnelle : « Je prie l’Office chaque matin. J’aime prier avec les psaumes. Je célèbre ensuite la messe. Et je prie le rosaire. Ce que je préfère vraiment, c’est l’Adoration du soir, même quand je suis distrait, que je pense à autre chose, voire quand je sommeille dans ma prière. Entre sept et huit heures du soir, je me tiens devant le saint sacrement pour une heure d’adoration. Mais je prie aussi mentalement quand j’attends chez le dentiste ou à d’autres moments de la journée ».

PizziCatho

 


[2] Solange Bied-Charreton, née à Paris en 1982. Elle a tenu un blog de critique littéraire et de billets d’humeur pendant cinq ans.

[5] Matthieu, 13, 1-23

[7] Ibidem

Mon cher cousin,

Cette lettre est atypique car figure-toi que j’étais auprès de Notre Père à tous quand est arrivé une personne remarquable. Ce n’est pas si rare car tu imagines qu’ici les arrivées sont quotidiennes. Je ne sais pas ce qu’il en est chez vous mais tu n’es pas sans savoir que la porte d’entrée dans votre camp passe par la case départ qui est chez nous.

Nous avons reçu un grand chef d’orchestre, Claudio Abbado.

Claudio Abbado - 1934-2014

Il se trouve que mon protégé est un mélomane. Le dictionnaire définit un mélomane comme « une personne passionnée de musique classique ». Cette précision pour dire qu’il n’a pas la prétention d’être un virtuose ni un grand musicologue : il aime la musique tout simplement. Je me suis entretenu avec lui et j’ai cru comprendre que ce chef d’orchestre était réellement un grand chef doublé d’une forte personnalité.

Je te fais grâce de sa carrière qui est d’une grande richesse, et je dirai seulement que la contribution qu’il a apportée à la musique est prodigieuse.

Les hommages qui lui ont été rendus à sa disparition sont nombreux et unanimes. Sur les chaînes qui diffusent la musique, classique en particulier, les auditeurs ont pu entendre des enregistrements mémorables extraits de ses interprétations qui couvrent tous les répertoires. Mon protégé m’a confié qu’il était plus spécialement ému par certains enregistrements du répertoire des œuvres dites sacrées. Il était ému parce que ce chef était aussi connu pour des idées qui n’étaient pas forcément en accord avec ce que ces mêmes œuvres expriment : le sacré. Oh, bien sûr tu me diras qu’on ne demande pas à celui qui dirige, par exemple, le Stabat Mater de Pergolèse, la Passion selon saint Matthieu de Jean Sébastien Bach ou l’Ave verum de W. A. Mozart, de partager le contenu des textes sur lesquels est écrite la partition musicale. Je te l’accorde et n’en disconviens pas.

Mais si je te confie ces réflexions de mon protégé c’est qu’il se trouve que j’ai été admis au premier entretien qu’a eu Notre Père à tous avec ce chef, à son entrée. Je voulais te faire part du contenu de ce « premier entretien » parce qu’il me semble que cela peut te donner à réfléchir, sinon te faire changer de camp, hélas, hypothèse définitivement impossible ! Cela n’est pas sans lien avec ce que je te dis plus haut à propos des œuvres de musique sacrée. Je dois t’avouer que mon protégé éprouve un certain agacement à entendre certains journalistes spécialistes pérorer avec emphase sur la musique qui accompagne des textes d’une grande profondeur comme si le compositeur avait posé sans plus des notes sur ces mêmes textes sans tenir compte de ce qu’ils signifient… Un peu comme si mettre en musique le texte de la Passion selon saint Matthieu ne signifiait pas plus que de mettre en musique n’importe quelle prose aussi littéraire soit-elle : en somme comme s’il était possible de greffer un organisme vivant sur un support inerte. W. A. Mozart confiait qu’il n’était pas possible d’avoir entendu pendant toute son enfance l’Agnus Dei sans être profondément inspiré par ces mots. Enfin c’est un autre débat… Peut-être faudra-t-il y revenir un jour, car vider de son sens religieux une œuvre quelle qu’elle soit est bien dans votre pratique.

Quand je dis donc que j’ai assisté au « premier entretien », je dois t’expliquer qu’il s’agit du premier dialogue au cours duquel le « postulant à entrer chez nous » s’entretient librement avec Notre Père à tous. Nous y sommes admis. C’est un peu comme un grand oral public. Ensuite pour des confidences plus personnelles et décisives, les deux interlocuteurs restent seuls.

Je transcris ci-après quelques bribes de ce premier entretien.

  • « Soyez le bienvenu, Maestro ! Vous me permettrez de vous appeler ainsi même si je crois savoir que vous préférez tout simplement « Claudio ». Laissez-moi d’abord vous confier toute mon admiration devant la richesse et la qualité des œuvres de toutes les époques qui ont traduit en musique ce que sont pour vous les mystères de la foi. Je reste vraiment ébahi devant l’étendue et la variété des œuvres que les compositeurs ont su écrire et les interprètes en permettre l’écoute. Je ne vous cache pas mon admiration à la lecture du catalogue de toutes les œuvres qui ont été produites depuis que des compositeurs se sont saisis de ces sujets qui vous sont connus sous le titre de répertoire de la « musique sacrée ». Rien ne vous a échappé : les mystères de la Création, l’histoire sainte de ce peuple que j’avais choisi à travers ses tribulations, ses grandes figures, ses exils et ses déportations, l’histoire de mon Fils avec, dans l’ordre, l’Annonciation, la Nativité et les événements qui l’ont accompagnée, sa vie publique, sa Passion et sa Résurrection… Rien n’a été oublié, c’est prodigieux ! Mais, vous, qu’en pensez-vous ? »
  • « Je n’étais qu’un modeste exécutant. Je faisais de mon mieux pour exprimer ce que je croyais avoir appris de l’étude approfondie de l’œuvre et compris dans mon cœur et dans mon esprit. Vous vous imaginez qu’il n’est pas si facile aujourd’hui d’interpréter souvent à des siècles de distance des pièces qui ont été écrites dans un contexte personnel et historique bien différent. Je ne prétendais pas incarner Jean Sébastien Bach, ni aucun des grands compositeurs dont je devais assumer modestement de prendre la place. Je ne sais pas s’ils auraient aimé mon interprétation. Mon rôle était simplement d’être un « passeur d’émotion », l’héritier d’une tradition qu’il est impossible d’interrompre parce que sinon, c’est l’histoire humaine dont j’aurais, d’une certaine façon, brisé le cours. »
  • « Je crois savoir que vous entreteniez des relations personnelles plutôt distantes avec tous ces mystères. Vous aviez, m’a-t-on dit, une orientation dont je sais que ses fondamentaux n’étaient pas très en accord avec tous ces mystères. Je vous accorde qu’ils restent toujours pour vous, et même pour ceux que la foi attache à ces vérités, des mystères, mais il ne manque pas de raisons profondes pour les comprendre. Je reste persuadé que vos convictions étaient sincères et que vous étiez conduit par de nobles idéaux pour le service de l’homme. En témoigne, pour moi, que vous ayez voulu, par exemple, faire entendre la musique que vous avez si bien servie, dans des lieux où elle était exclue comme les prisons. Vous savez peut-être que ce sont ces milieux marginaux, ces périphéries de l’humanité, qui avaient la préférence de mon Fils, qu’il n’a justement pas été compris pour cela et que c’est une des raisons qui l’ont conduit à sa Passion. »
  • « Il est vrai que j’ai toujours donné la préférence à ce qu’il y a de plus noble dans l’homme et qui, dans notre monde fait si souvent défaut : la compassion, la solidarité, l’attention aux humbles et à tous ceux que les circonstances de la vie ont mis devant l’épreuve. Les dernières années de ma propre vie m’ont fait beaucoup réfléchir et je crois que j’ai un peu mieux compris la souffrance parce que je l’ai connue et vécue. Je sais que les hommes qui croient en vous accordent de l’importance à la souffrance. Je ne suis pas sûr qu’ils sachent toujours bien en parler… et peut-être même pas du tout. Vous voudrez bien admettre qu’il n’est pas si simple de croire en un Dieu qui enverrait son Fils sur la terre pour mourir au terme d’une Passion que je ne savais pas comprendre dans le texte mais dont la musique a su transmettre toute la grandeur. Mais ne reste-t-elle pas toujours un mystère ? Souffrir est-il un but ? »
  • « Vous avez raison ! La souffrance n’est pas un but … en soi ! Je n’ai pas envoyé mon Fils sur la terre pour qu’il donne un sens à la souffrance. Il a souffert et c’est tout. Mais sa souffrance était pour le salut des hommes, il est là son sens. Ce n’est pas en souffrant sans plus que l’homme se sauve. Et ce n’est pas la souffrance seulement qui le fait entrer sur ce chemin qui le conduit vers sa fin. Sa fin ? Me connaître ! Vouloir librement me connaître ! Je sais bien que beaucoup de sermons ont été prononcés qui ont essayé de sublimer la souffrance, de lui trouver justement un sens, à défaut de lui en donner. Le cardinal Louis Veuillot qui passait par l’épreuve de la maladie a écrit ces belles paroles, remplies de sa propre expérience, … comme vous : « Nous savons faire de belles phrases sur la souffrance. Moi-même, j’en ai parlé avec chaleur. Dites aux prêtres de n’en rien dire : nous ignorons ce qu’elle est et j’en ai pleuré. » [cité par Mgr Marc Lallier dans son homélie aux obsèques du Cardinal Louis Veuillot, le 17 février 1968]. Vous serez étonné que je vous dise cela. Oui, nous sommes au cœur du mystère dont nous avons déjà beaucoup parlé. Et la musique, ne vous a-t-elle pas fait pénétrer au cœur de ce mystère ? Ne l’avez-vous approché un peu ? Un pianiste que vous avez bien connu, Nikolaï Lugansky, a repris à son compte une affirmation d’un compositeur russe comme lui, Sergueï Rachmaninov : « Si l’on aime la musique, on ne peut pas croire que Dieu n’existe pas ». Je vous vois songeur ? …

…/…

Voici votre baguette.

Je mets à votre disposition mon orchestre et un chœur.

Les anges musiciens - Hans Memling.2

Je vous demande de diriger la Messe en Es-Dur de Franz Schubert et de me bouleverser, comme à chaque fois que j’écoute le Credo et le verset « Et incarnatus est… ».

 

Les anges chanteurs

 

Pizzicatho

2014-01-21

Adoration des bergers   Joyeux Noël & Meilleurs vœux pour la nouvelle année 2014

         « Bethléem est certainement le lieu où les extrêmes se touchent. »

         G.K. Chesterton

   « Les bergers prirent des risques, traversèrent probablement des « check points » et des routes bloquées pour VENIR et VOIR,  REPARTIR et TRANSMETTRE  le message d’espoir et de paix à toutes les nations »

   Adoration des bergers – Le Caravage (1609)

   [Musée régional, Messine]

Cette citation est extraite d’une lettre dont j’ai reçu la copie. Je me suis permis d’ajouter des guillemets à l’expression « check points » parce que je ne souhaite reprendre de la phrase que sa pure signification, sans oser me projeter au-delà des siècles pour ce qui est de la réalité de l’événement qui a eu lieu voici 2000 ans.[1]

Le 25 décembre j’écoutais le traditionnel message de Noël du pape (François désormais). Chaque année, et je l’écoute chaque année, les souverains pontifes reprennent une même thématique : celle de la paix. C’est ainsi que Jésus était annoncé par les prophètes.

  • Isaïe 9, 1-6 ; « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné ; l’insigne du pouvoir est sur son épaule ; on proclame son nom : « Merveilleux Conseiller, Dieu fort, Père à jamais, Prince de la Paix. » (Isaïe, vers 735 av. JC)
  • Michée 5, 1-4 : « Ils vivront en sécurité, car désormais sa puissance s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre et lui-même il sera la paix !» (Michée : contemporain d’Isaïe)

Si depuis tant et tant d’années ce message se décline sur la même thématique, devrions-nous pour autant être désespérés de constater que cette paix, gagnée ici, est perdue ailleurs … et ainsi de suite dans un enchaînement, qui semble inexorable, de conflits qui se succèdent et qui durent depuis des siècles parfois.

Je reprends les 4 verbes essentiels du message :

       Venir  et voir : plus tard, au début de sa vie publique Jésus-Christ lancera à ses premiers disciples cet appel : « venez et vous verrez ». (Jean, 1, 39)

       Repartir : … « Et les bergers s’en retournèrent, glorifiant Dieu… » (Luc 2, 20) et à la fin du même évangile (de saint Luc) Jésus étant mort au calvaire et déposé dans un sépulcre « les femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus s’en retournèrent… ». (Luc, 20, 55-56)

      Transmettre : Les derniers mots de l’Evangile sont un envoi « Allez, de toutes les nations faites des disciples…leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit ». (Matthieu, 28, 19)

Voilà ce que je retiens, à titre personnel, de ces vœux venus de Palestine où a commencé et s’est achevée la vie d’un homme que beaucoup connaissent par son nom mais qui restent encore bien divisés quant à la réalité que recouvre ce nom : Jésus-Christ.

Je reviens à des mots écrits par le pape François dans sa récente exhortation apostolique « La joie de l’Évangile »

        « Sortons, sortons pour offrir à tous la vie de Jésus-Christ. Je répète ici pour toute l’Église ce que j’ai dit de nombreuses fois aux prêtres et laïcs de Buenos Aires : je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités.

Je ne veux pas une Église préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures. Si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience, c’est que tant de nos frères vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de Jésus-Christ. »

Pape François, Evangelii Gaudium n° 49

Zurbaran - Adoration des Mages

Chacun peut l’écouter à sa façon mais nul ne peut dissocier ce message de celui dont il s’inspire.

 

         Noël 2013—Nouvelle année 2014

Le  25  décembre 2014 – 6 janvier 2014

PizziCatho

   L’adoration des Mages – Francisco de Zurbarán (1639-1640°

   [Musée des Beaux-Arts de Grenoble]



[1] La lettre a été écrite par D. Nassar, un chrétien qui vit en Cisjordanie dans les conditions qu’on connaît qui affectent cette région. Il est juste que je précise, pour ne pas trahir l’auteur, que l’emprunt à son message n’a pas la prétention d’entrer dans la douloureuse problématique actuelle de la Palestine.

Pour information sur l’auteur de la lettre :

http://www.tentofnations.org/

http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/3/21/73/59/Documents-textes/Palestine/Israel-la-tente-des-nations-article-Secours-Catholique0001.pdf

 

Mon cher cousin,

J’ai pris connaissance des trois principes que ton maître à penser t’a rappelés dernièrement, histoire de reprendre la main et de te reprendre en main.

Je les résume :

  1. Ne pas croire que tu « les » convaincras en les persuadant que Dieu n’existe pas.
  2. Ne pas nourrir de faux espoirs de « les » rassurer en « les » laissant croire que l’enfer n’existe pas, que le diable est un mythe…
  3. La voie que tu devras toujours privilégier : l’indifférence.

Il ne m’intéresse pas vraiment de développer par le détail des arguments pour te convaincre de l’ineptie de ces principes.

Vous avez vos méthodes et nous avons les nôtres. Nous sommes au moins convaincus d’une chose, peut-être la seule que nous avons en commun : il y aura toujours entre vous en nous un abîme d’incommunicabilité. Nous devrons nous y faire.

… Cela ne m’empêche pas de m’exprimer, tout comme ton maître ne s’en prive pas.

Laisse-moi te raconter quelques histoires qui, sans doute, font partie de l’histoire que vous entretenez en les transmettant parmi vous parce que Shaytân, votre maître tout-puissant, en est un acteur de premier plan. Il se trouve que nombre de ces histoires font partie d’un trésor que nous appelons les Saintes Écritures. Tu me diras qu’il est curieux que nous les ayons conservées mais je te répondrai que justement elles ont pleinement leur place à titre d’exemple.

Je ne remonterai pas aux origines dont il est question dans le troisième principe que te rappelle le Sbire, sa première victoire !

Je vais avancer dans l’histoire jusqu’au livre que nous appelons le livre de Job. Je suis sûr que tu ne l’as jamais lu et, dès lors, je ne peux faire l’économie de quelques mots d’explication.

La thématique du livre de Job prend place d’emblée au cœur de la théologie spirituelle. En effet, le destin de Job et les divers dialogues qui en permettent l’interprétation interrogent sur des questions essentielles concernant la foi et l’espérance du juste aux prises avec une souffrance imméritée. Pour bien le comprendre le livre de Job exige des clefs de lecture théologique qui introduisent sur des questions majeures auxquelles tout croyant, tôt ou tard, se trouve un jour confronté : le mystère du mal et de la souffrance, en particulier celle qu’il estime injustifiée, la rencontre de Dieu jusque dans l’échec apparent de toute réussite humaine, la confrontation de la fidélité de l’homme avec la justice de Dieu, les difficultés du dialogue avec l’homme souffrant et enfin le sens de la vie elle-même dès lors qu’elle doit intégrer la perspective de la mort[1].

Livre de Job

[Du livre je ne retiens ici que les versets qui intéressent mon propos.]

Chapitre 1 – Job, ses richesses, sa piété

1 Il y avait dans le pays de Hus un homme nommé Job; cet homme était intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du mal.

2 Il lui naquit sept fils et trois filles.

3 Il possédait sept mille brebis, trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs, cinq cent ânesses et un très grand nombre de serviteurs; et cet homme était le plus grand de tous les fils de l’Orient.

…/…

Première série d’épreuves  

6 Il arriva un jour que, les fils de Dieu étant venus se présenter devant Yahweh, Satan vint aussi au milieu d’eux.

7 Et Yahweh dit à Satan: « D’où viens-tu? » Satan répondit à Yahweh et dit: « De parcourir le monde et de m’y promener. »

8 Yahweh dit à Satan: « As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n’y a pas d’homme comme lui sur la terre, intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du mal. »

9 Satan répondit à Yahweh: « Est-ce gratuitement que Job craint Dieu?

10 Ne l’as-tu pas entouré comme une clôture, lui, sa maison et tout ce qui lui appartient? Tu as béni l’œuvre de ses mains, et ses troupeaux couvrent le pays.

11 Mais étends la main, touche à tout ce qui lui appartient, et on verra s’il ne te maudit pas en face! »

12 Yahweh dit à Satan: « Voici, tout ce qui lui appartient est en ton pouvoir; seulement ne porte pas la main sur lui. » Et Satan se retira de devant la face de Yahweh.

Gustave Doré - Job apprend les malheurs qui le frappent - Job Chapitre 1

Gustave Doré – Job apprend les malheurs qui le frappent

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Suivent les versets qui racontent par le détail les épreuves qui frappèrent Job et toute sa maison (versets 13-19)

…/…

Chapitre 2 – Job frappé d’une lèpre maligne

1 Il arriva un jour que, les fils de Dieu étant venus se présenter devant Yahweh, Satan vint aussi au milieu d’eux se présenter devant Yahweh.

2 Et Yahweh dit à Satan: « D’où viens-tu? » Satan répondit à Yahweh et dit: « De parcourir le monde et de m’y promener. »

3 Yahweh dit à Satan: « As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n’y a pas d’homme comme lui sur la terre, intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du mal. Il persévère toujours dans son intégrité, quoique tu m’aies provoqué à le perdre sans raison. »

4 Satan répondit à Yahweh et dit: « Peau pour peau! L’homme donne ce qu’il possède pour conserver sa vie.

5 Mais étends ta main, touche ses os et sa chair, et on verra s’il ne te maudit pas en face. »

6 Yahweh dit à Satan: « Voici que je le livre entre tes mains; seulement épargne sa vie! »

7 Et Satan se retira de devant la face de Yahweh. Et il frappa Job d’une lèpre maligne depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête.

…/…

Je voudrais à présent que tu consentes à lire ce chapitre du livre d’Amos[1]. Il fait partie des livres prophétiques.

Amos 6, 1-7

1 Malheur à ceux qui vivent tranquilles dans Sion, et en sécurité sur la montagne de Samarie, les plus nobles du premier des peuples, auprès desquels va la maison d’Israël

2 Passez à Calné et voyez; allez de là à Hamath la grande ; descendez à Geth des Philistins ; Ces villes sont-elles plus prospères que ces royaumes, et leur territoire est-il plus étendu que le vôtre?

3 Vous éloignez le jour du malheur, et vous faites approcher le règne de la violence !

4 Ils sont vautrés sur des lits d’ivoire, et s’étendent sur leurs divans ; ils mangent les agneaux du troupeau, et les veaux engraissés dans l’étable.

5 Ils folâtrent au son de la harpe ; comme David, ils ont inventé des instruments de musique.

6 Ils boivent le vin dans de larges coupes, ils se parfument avec les huiles les plus exquises. Et ils ne sont pas malades de la plaie de Joseph.

7 C’est pourquoi ils iront en exil, à la tête des captifs, et les cris de joie des voluptueux disparaîtront.

Et enfin je t’envoie vers un troisième livre, également de la série des livres prophétique, le livre de Malachie[

Malachie 3, 13-20

13 Vous avez contre moi des paroles dures, dit le Seigneur. Et vous osez demander : « Qu’est-ce que nous avons dit entre nous contre toi ? »

14 Voici ce que vous avez dit : « Servir Dieu n’a pas de sens. A quoi bon garder ses préceptes, mener une vie sans joie en présence du Seigneur de l’univers ?

15 Nous en venons à déclarer heureux les arrogants ; même ceux qui font le mal sont prospères ; même s’ils mettent Dieu à l’épreuve, ils s’en tirent ! »

16 Alors ceux qui craignent le Seigneur s’exhortèrent mutuellement. Le Seigneur fut attentif et les écouta ; un mémorial fut écrit devant lui en faveur de ceux qui le craignent et qui ont le souci de son Nom.

17 Le Seigneur de l’univers déclara : Ils seront mon domaine particulier pour le jour que je prépare. Je serai indulgent envers eux, comme un homme est indulgent envers le fils qui le sert fidèlement.

18 Vous verrez de nouveau qu’il y a une différence entre le juste et le méchant, entre celui qui sert Dieu et celui qui refuse de le servir.

19 Voici que vient le jour du Seigneur, brûlant comme une fournaise. Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille. Le jour qui vient les consumera, déclare le Seigneur de l’univers, il ne leur laissera ni racine ni branche.

20 Mais pour vous qui craignez mon Nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement.

Ces trois passages sont historiquement totalement indépendants. Cependant permets-moi de les rapprocher pour en tirer une conclusion  qui, pour être personnelle, ne me semble pas trop incongrue et dans le but de donner la réplique à ton maître à penser dont toute la stratégie consiste à attaquer les  créatures dans leur chair pour asservir leur âme.

Tu noteras que ce dernier entre bien singulièrement dans l’existence de Job. Tu remarqueras aussi comment mon Maître et le tien dialoguent. Il est assez plaisant ce dialogue. « D’où viens-tu ?… De parcourir le monde et de m’y promener. » Un peu comme si le monde était sa propriété, son lieu de villégiature, oubliant qu’il a été créé et qui l’a créé. Tu sais bien que ton maître, le grand Shaytân, envoie ses serviteurs, dont toi-même, pour semer la zizanie. Et finalement, il faut bien l’avouer, le résultat est assez probant. Mais n’oublie pas qu’il n’agit pas sans une permission explicite : « Voici, tout ce qui lui appartient est en ton pouvoir; seulement ne porte pas la main sur lui. » Et aussi : « Voici que je le livre entre tes mains; seulement épargne sa vie! » Aussi grand soit son pouvoir, il n’est qu’un pouvoir délégué et qui ne va jamais au-delà de la liberté que peut toujours garder la créature. Si mon Maître lui a accordé, non sans risque, la liberté, ce n’est pas pour autant que vous avez toute faculté pour l’asservir dans n’importe quelle condition et autrement que par le seul pouvoir dont vous disposez : la tentation.

Job a toujours gardé sa fidélité dans l’épreuve et ce, malgré l’opposition et les sarcasmes dont il a été l’objet de la part de ses proches et de ses amis.

En revanche les livres d’Amos et de Malachie nous enseignent deux choses :

–          Dans la prospérité l’homme ne tarde pas à abandonner la voie de la fidélité qui était la condition même de son bonheur.

–          Suivre la voie de la fidélité exige des renoncements, de l’effort, de la volonté, et par comparaison, ceux qui ne craignent pas Dieu, vivent –en apparence- dans la prospérité et s’en tirent en dépit de leurs mépris des préceptes et des commandements.

Job est un exemple pour toute créature qui veut rester fidèle à Dieu et garder la foi. De nos jours le matérialisme ambiant génère toutes sortes de satisfactions comme de déceptions et nombreux sont  ceux qui capitulent quand ils rencontrent la souffrance, l’échec, la perspective de la lutte. Le christianisme n’est pas, comme le prétendent ceux qui n’ont pas compris grand-chose à son message ou tout simplement ne l’acceptent pas, une religion doloriste, une religion qui cultive la passivité et la résignation face à l’épreuve physique ou morale.

G.K. Chesterton a écrit un livre remarquable qui a pour titre « La Sphère et la Croix »[3]. Il décrit avec l’humour qui le caractérise l’opposition entre l’esprit du monde et l’esprit du christianisme.

Je le cite : « Que pourrions-nous trouver qui exprime mieux votre philosophie et la mienne que la forme de cette croix et celle de cette boule ? Ce globe est parfaitement raisonnable ; cette croix est déraisonnable. C’est un animal à quatre pattes dont l’une est plus longue que les autres. Le globe est logique. La croix est arbitraire. Avant tout le globe est conséquent avec lui-même ; la croix est essentiellement et par-dessus tout, ennemie d’elle-même. La croix est le conflit de deux lignes hostiles, de deux directions inconciliables. Cette chose muette qui se dresse ici est une collision, une rupture violente, une lutte dans la pierre. Nous en avons assez de ce symbole. Sa forme même est une contradiction. »

« What could possibly express your philosophy and my philosophy better than the shape of that cross and the shape of this ball? This globe is reasonable; that cross is unreasonable. It is a four legged animal, with one leg longer than the others. The globe is inevitable. The cross is arbitrary. Above all the globe is at unity with itself; the cross is primarily and above all things at enmity with itself. The cross is the conflict of two hostile lines, of irreconcilable direction. That silent thing up there is essentially a collision, a crash, a struggle in stone. Pah! That sacred symbol of yours has actually given its name to a description of desperation and muddle. When we speak of men at once ignorant of each other and frustrated by each other, we say they are at cross-purposes. Away with the thing! The very shape of it is a contradiction in terms. »

 Ainsi des réflexions qu’adresse l’un des personnages que tu connais bien, le Professeur Lucifer, adressées à son interlocuteur, que Chesterton appelle le Moine Michaël.

Je ne vois plus rien d’autre à ajouter … sinon pour conclure qu’aujourd’hui on rencontre encore des hommes et des femmes qui à l’instar de Job font face avec courage et puis la foule des « vautrés » qui affirment que « servir Dieu n’a pas de sens ».

Porte toi bien et à une prochaine fois.

 PizziCathoLogo-Année-de-la-foi_francais.3

2013.11.07


Demander … c’est bien !

Savoir écouter … c’est encore mieux !

Bréhat - Le soir et coucher de soleil (35.panorama)2013.07.14 - Dieu, si tu existes ..

Pape François.3

 

 

 

 

 

 

 

Mon cher cousin,

Vous êtes restés curieusement bien silencieux depuis l’élection du pape François. Je ne suis pas trop surpris de ton silence et de celui de ton mentor… Il doit être quelque peu sidéré par les évènements qui se sont déroulés ces derniers jours. Il faut se faire une raison : maintenant que nous voilà entrés dans une nouvelle étape, je suis bien certain que, de votre côté, vous affûtez les flèches et que vous étudiez la cible afin de l’attaquer dans l’angle qui vous semblera le plus vulnérable.

Une chose déjà est certaine, plus rapides que Lucky-Luke qui tire plus vite que son ombre, les médias ont déjà pointé l’artillerie lourde et armé quelques exocets. Dommage pour eux mais leur objectif n’est que l’ombre portée par l’éclairage blafard de leur vision étriquée du monde en général, et de l’Église en particulier, telle qu’elle devrait être selon eux dans le monde qu’ils imaginent. Ils passent à côté de la réalité.

Quant à moi sois certain que l’une des premières visites que j’ai faites après l’élection du nouveau pape François, a été pour ces médias. Je dois bien avouer que c’est passionnant, même si le plus souvent les bras m’en tombent de constater à quel point les vues sont courtes et réductrices dans la plupart des commentaires, quand elles ne sont pas à côté de la plaque.

On pouvait s’attendre à ce que soient lancés les habituels rappels sur les sujets récurrents … « il devra prendre des décisions sur …  le mariage des prêtres et l’ordination d’hommes mariés, l’admission des femmes au sacerdoce ministériel, l’accès des personnes « divorcées–remariées » aux sacrements[1], l’abandon de la position morale de l’Église sur l’avortement… » Un peu comme si, sait-on jamais, le nouveau pape pouvait oublier une chose : « il est d’abord et avant tout le chef de l’Église catholique, le vicaire du Christ. Mais, et s’il s’intéressait en priorité à « ces » questions …  In fine… et s’il pouvait donner une orientation différente à l’Église, être moins catholique ! »

Sans doute n’ai-je pas lu ces formulations écrites mais il n’est pas difficile de les voir pointer derrière des allusions à peine esquissées mais qui en disent déjà long.

A titre d’exemple ces perles tirées d’une interview[2] : « Il faut regarder d’un peu plus près la théologie du cardinal Bergoglio. … Ses positionnements sont plutôt ceux d’un conservateur qui souhaite maintenir l’ordre social moral. … Lorsqu’il était provincial jésuite d’Argentine il n’a pas soutenu la théologie de la libération…. Le problème de l’Église, c’est sa relation à la modernité. …C’est tout le paradoxe d’une institution écartelée entre une autorité de pouvoir et un message d’amour qui s’appuie sur l’Évangile. » 

A lire ces déclarations je me pose sérieusement une question : l’Église peut-elle se faire entendre comme ce qu’elle est par des personnes qui construisent le monde dans leur tête. Avant l’élection les mêmes         « faiseurs de rois » supputaient les chances de tel ou tel et ne manquaient pas de rappeler, à l’occasion, que le centre de gravité de l’Eglise n’était plus en Europe et qu’un pape venu d’un autre continent serait sans doute un signe d’ouverture, une manifestation de reconnaissance d’une réalité. Mais, pour ce qui est de l’Amérique latine, il faut bien avouer que les idées allaient dans une direction moins orthodoxe. C’est là que s’est développée la théologie de la libération ou en tout cas certaines de ses expressions les plus radicales. Un pape venu de ce sous-continent ? … Mais surtout, qui soit en phase avec cette théologie. Au fond, personne n’y croyait vraiment, personne n’imaginait cette audace des cardinaux et il n’a pas fallu bien longtemps pour se rendre compte que le pape François était et n’était pas celui qu’ils attendaient. Il plait dans la simplicité de sa personne et de sa vie. Il plait moins quand il se prononce sur les sujets qui sont dans la norme pour un pape qui est quand même le vicaire du Christ, le chef de l’Eglise catholique.

Mais de tout cela nous aurons l’occasion de reparler en détail, nous ne sommes qu’aux prémices d’un pontificat qui se présente sous un jour passionnant dans une attente sereine et pleine d’espérance.

Les « grands » de ce monde, … ceux qui sont tenus pour tels, se sont crus dans l’obligation de donner leur sentiment. C’est plutôt sympathique de leur part et atteste, pour le moins, qu’à défaut de prendre en compte la vraie signification de cette élection et du choix de l’élu, ils le considèrent comme un des leurs, une personne avec qui il faudra compter.

Je ne vais pas te faire une revue de presse complète de ces pages d’anthologie de haute voltige diplomatique[3], mais je vais quand même te donner un aperçu ce que j’en ai pensé à travers la « lettre ouverte » que, par un intermédiaire de mes protégés que j’ai dans ce pays, j’ai adressée au Président de Fhollandia[4].

François Hollande en St François            Monsieur le Président de la République,                                        

Après avoir pris connaissance du message[5] de bienvenue que vous avez adressé au nouveau pape François, vous me saurez gré de vous faire part de ma reconnaissance pour les vœux chaleureux que vous avez formulés, au nom de tous les citoyens que vous représentez.

Il va sans dire qu’à titre plus personnel, je m’associe tout particulièrement à ces vœux qui répondent point par point à ce qu’un fidèle catholique souhaiterait exprimer lui-même en ces circonstances, s’il avait la possibilité de le faire.

Je note que vous avez souligné la « haute mission » confiée au nouveau pape « à la tête de l’Église  catholique ».

Il est vrai que toute personne appelée aujourd’hui à assumer une charge à la tête d’un État, d’une Institution civile ou religieuse, ne peut éluder la responsabilité qui lui incombe de faire face en son âme et conscience « aux défis du monde contemporain ».

Sans énumérer explicitement quels sont ces défis, la suite de votre message en donne une certaine idée.

Vous rappelez que le pays à la tête duquel les électeurs vous ont porté, est l’héritier d’une histoire et que cette histoire multiséculaire a inscrit dans ses principes les valeurs universelles de « liberté, d’égalité et de fraternité ».  Ces principes, assurez-vous, sont les fondements de l’action que vous entendez développer dans le monde et qu’ils devront être au service du « dialogue » que ce pays a toujours « entretenu avec le Saint-Siège ». Qu’il me soit permis d’ajouter que ces principes ne sont pas seulement écrits au fronton de tous les édifices publics mais qu’ils le sont d’abord dans le cœur de toute personne.

Vous concluez en précisant que ce dialogue doit servir « la paix, la solidarité et la dignité de l’homme »

Vous voudrez me permettre de m’arrêter sur cette dernière expression, remarquable entre toutes, de votre message.

La « dignité humaine » !

Depuis que vous êtes entré en fonction vous avez, comme vous en donne le droit en vertu du suffrage universel, mis en œuvre des actions concrètes en vue de réaliser les objectifs que vous vous étiez fixés et qui constituaient votre programme électoral.

Depuis plusieurs semaines l’Assemblée Nationale débat dans un climat particulièrement tendu, heurté et non dénué d’une certaine violence verbale et psychologique, autour de votre projet de promouvoir par la loi le mariage entre personnes de même sexe qui était l’une de vos propositions phare inscrite dans votre programme.

Pourrez-vous encore prétendre entretenir un dialogue cohérent avec le pape François qui s’est exprimé sans ambiguïté sur le sujet : « Ce qui est en jeu c’est l’identité et la survie de la famille : père, mère et enfants. C’est la vie de tant d’enfants qui seront discriminés d’emblée car ils seront privés du fait de mûrir entre leur père et leur mère, tel que Dieu l’a voulu . Ce qui est en jeu, c’est un rejet frontal de la loi de Dieu, qui plus est gravée en nos cœurs. Ne soyons pas naïfs : il ne s’agit pas d’une simple lutte politique, mais d’une tentative de destruction du plan de Dieu. Il ne s’agit pas d’un simple projet de loi (ce n’est là que l’instrument) mais d’une poussée du père du mensonge qui entend confondre et tromper les enfants de Dieu. » (8 juillet 2010)»

Il ne s’agit pas de mettre en balance deux conceptions distinctes et, selon vous, respectables sous le même rapport, mais de confronter ces mêmes conceptions à la réalité qui est inscrite dans la nature de l’homme. Vous ne pouvez pas prétendre respecter la dignité de l’homme dès lors que vous décrétez arbitrairement que cette dignité est une construction évolutive au gré d’un supposé progrès des mentalités totalement indépendant de la nature humaine.

Vous avez aussi engagé une étude sur la fin de vie. Je rappelle les termes de l’engagement  que vous avez pris  dans votre programme : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »

Nous voilà au cœur de votre message qui, à l’instar d’une variation sur le même thème, instrumentalise une fois de plus le concept de dignité.

Vous avez dans votre entourage des personnes qui sont, d’après les convictions qu’elles affichent, considérées comme « catholiques ».

Vous avez confié à Mme G. Pau-Langevin le pôle de réflexion sur la famille. A propos de l’adoption par des personnes homosexuelles elle s’exprime ainsi, ancrée sur sa « culture catholique » : « J’ai réfléchi non à partir des positions actuelles de l’Église, mais des textes de la Bible. Le Christ est plus ouvert, plus révolutionnaire que ce qui se dit dans certains milieux catholiques. Je vois l’épopée du Christ comme la bataille d’un homme élevé contre les conservatismes. Pour moi les démarches excluantes ne sont pas caractéristiques de la charité chrétienne ».

Parmi les nombreux projets toxiques de votre gouvernement on trouve encore une énième réforme promue par le ministre de l’éducation nationale. Parmi les articles de son credo on peut lire ceci : « « S’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités. … Libérer les enfants des déterminismes religieux et familiaux. » 

Cette dernière profession de foi a été reprise textuellement par la Garde des sceaux pour défendre son projet de loi sur le mariage entre personnes de même sexe.

Lisant toutes ces profondes réflexions affichées comme un socle de convictions, je ne peux manquer de les rapprocher de vos propres convictions –ou plutôt de l’absence de convictions- qui sont le moteur de votre vie : « Je suis arrivé à un point où ce qui s’impose, c’est plutôt la conviction que Dieu n’existe pas. Je respecte toutes les confessions. La mienne est de ne pas en avoir. La démocratie sera plus forte que les marchés, plus forte que l’argent, plus forte que les croyances, plus forte que la religion. »

Il me semble que vous pourriez faire un effort en évitant de proposer au nouveau pape, comme terrain du dialogue que vous appelez de vos vœux, une région qu’il connaît peut-être bien mais qui n’est sans doute pas le meilleur climat pour dialoguer dans la sérénité : le Cap Horn.

Si telles sont les positions fondamentales que vous adoptez, ce dialogue sera difficile à envisager pour trouver une convergence avec qui que ce soit dans l’Église catholique, dont le pape François a rappelé qu’elle ne saurait être réduite à une « ONG pietosa ».

Tous les médias ont repris mot pour mot la dépêche de l’AFP : «  L’Église n’est qu’une « ONG pietosa » si elle ne professe pas Jésus ». Le terme italien « pietosa » se traduit en français aussi bien par « pitoyable » que « compatissante ». Et personne ne sait pour l’instant ce que le pape argentin, qui a appris l’italien avec sa grand-mère piémontaise, entendait exactement par le terme employé. »

Si vous me permettez un commentaire personnel : avec un peu de sens commun, et même sans être un fin connaisseur de la langue de Dante, il n’est pas trop difficile de comprendre que le pape François veut dire que l’Église n’est pas une institution à but humanitaire, qu’elle doit accepter de suivre « Jésus en portant sa croix ». Ce sont les paroles du Christ que vous pourriez lire dans l’Évangile et il n’y a là aucun mystère. Les deux traductions disent bien ce qu’elles veulent signifier et tous ceux qui par le passé ont cru pouvoir réduire leur action dans l’Église  à du social et rien que du social – notamment les dérives marxistes de la théologie de la libération- font la démonstration des paroles du pape François. Il est heureux que ce pape qui peut s’exprimer sur le sujet sans rougir de ce qu’il a fait, le dise haut et fort.

« Ceux qui cherchent le Christ sans la croix trouveront la croix sans le Christ. »

Et en conclusion vous pouvez vous entourer de toute une galaxie de penseurs prétendument catholiques, vous n’êtes pas crédibles quand vous exercez une volonté qui a valeur de diktat, envers et contre tout, au mépris du respect de la liberté d’opinion qui s’est déjà exprimé, pour imposer coûte que coûte vos décisions qui ne respectent ni la liberté, ni l’égalité et moins encore la dignité humaine.

Croyez, monsieur le Président de la République, en l’assurance de ma haute et respectueuse considération.

Voilà, mon cher cousin, de quoi alimenter les discussions avec ton maître dans la perspective d’une stratégie de combat future.

PizziCathoLogo-Année-de-la-foi_francais.3

2013.03.19



[1] Ils n’ont certes pas accès à certains sacrements et notamment l’Eucharistie, mais ils sont toujours baptisés et il ne leur est pas interdit de se confesser. Quant aux personnes divorcées qui ne vivent pas dans une situation matrimoniale irrégulière et qui restent intérieurement fidèles à leur engagement premier elles peuvent vivre leur foi sans restriction aucune vis-à-vis des sacrements comme tout baptisé.

[2] Trois questions à … Olivier Bobineau – Sociologue des religions, auteur de L’empire des papes, CNRS éditions. Interview du Vendredi 15 mars 2013.

[3]J’ai entendu des réflexions moins délicates disant qu’ils sont tous des « faux derche »… Je n’irais tout de même pas jusque-là … !!

[4] Je rappelle que Fhollandia est ce pays imaginaire dans lequel Charly est envoyé pour faire ses preuves.